Cet article date de plus de neuf ans.

PRIX BAYEUX. L'armée forme des correspondants de guerre

L'image fait vraie. Et pourtant il s'agit d'une mise en scène faite par l'armée pour ses stagiaires journalistes. Correspondant de guerre, cela peut s’apprendre (en partie). L’armée organise en effet des stages de «sensibilisation» aux risques en zones de conflits. Des stages d’une semaine destinés à «mettre les journalistes en conditions réelles».
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Image du «stage de sensibilisation des journalistes aux risques en zone de conflits» au Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Collioure. (DICoD)

Ces stages ont été impulsés à la demande de l’association des journalistes de Défense en 1993, après la première guerre du Golfe. Après une interruption, les stages ont repris en 2003 leur rythme de deux formations par an. «Depuis cette date, plus de 550 journalistes, tous médias confondus, ont fait ce stage», indique-t-on au ministère de la Défense.

Ces stages, qui réunissent 25 journalistes, durent une semaine et sont gratuits. Les journalistes envoyés par leur rédaction, ou freelance, ne doivent payer que leur transport, leur coucher et la nourriture : la formation est, elle, gratuite. «Cela revient environ à 300 euros la semaine pour un journaliste», indique le service de communication des armées. A comparer avec certains stages du même genre organisés par des sociétés de sécurité privées en Angleterre qui peuvent dépasser les 6000 euros…
 
C’est au Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Collioure, en novembre et février de chaque année, que l’armée dispose son savoir-faire au journaliste voulant s’initier un minimum à l’art de la guerre sur le terrain.

Exercices de tirs, franchissement de checkpoints
«Les stages se déroulent en deux parties, une théorique suivie de journées sur le terrain», explique le ministère de la Défense. Pas besoin d’un physique de Rambo pour s’inscrire. Un certificat médical pour la pratique sportive suffit.
 

Image du stage pour journalistes organisé par l'armée (DICoD)

Au menu des réjouissances : cours théoriques, présentation des différents types d’armes (de l’arme de poing au fusil-mitrailleur), exercice de tir, apprentissage de techniques de dégagement et de self-défense, franchissement d’un checkpoint, prise d’otage, soins de base, simulation de reportage «en situation de guerre», parcours de franchissement d’obstacles...
 
Parmi les moments forts, la découverte des armes. «Nous faisons la queue pour vider nos chargeurs dans les cibles. L'impression riante de kermesse et la fierté animale de tirer avec le magnum 357 de Dirty Harry laissent rapidement place à l'hébêtement devant l'étendue des dégâts : le mur de parpaings a fini en miettes et la voiture-cible n'est plus qu'un gruyère de tôle. Moralité : "En cas de déluge de feu, mettez-vous plus bas que terre, comme une merde ! Sinon, courez en zigzags irréguliers : ça, en général, on y arrive très bien", crie le lieutenant pour détendre l’atmosphère», racontait le journaliste Antoine de Tournemire pour VSD

Pendant le stage, le journaliste découvre ce que peuvent faire des balles sur une carrosserie de voiture et apprend ainsi où il doit se positionner pour se protéger des tirs (plutôt derrière la partie moteur, près de la roue avant). Il apprend des techniques de base pour soigner un blessé (garrot, «pansement israélien», point de compression...). Il découvre les différentes configurations d’un checkpoint (du simple pneu au sol avec deux hommes armés de machettes ou le mur en béton entouré de soldats) et apprend à reconnaître si les fusils sont armés et mesure le niveau d’agressivité des militaires ou miliciens… 


La semaine finit en beauté avec des exercices sur le terrain. Plus fatigant, reconnaît le ministère. Il s’agit d’une journée complète de combats en zone urbaine, accompagnée de militaires. «Le journaliste a sa place au centre du groupe de militaires. Il doit apprendre à réagir quand ça tire. Et choisir ses priorités entre ramener des images ou se ramener lui», explique le formateur. 

Gilet pare-balles et prise d'otage
Cela se fait avec l’équipement complet, le gilet et le casque. L’armée prête même des caméras hors d’usage pour rendre l’ambiance encore plus réaliste. Pour pousser le réalisme encore plus loin, le stagiaire subit même une prise d’otage. De quelques heures. «Pour certains, ça paraît cependant très long», note le militaire. Le tout est suivi d’un «debriefing» qui attire leur attention sur les sécurités à prendre. «C’est ainsi qu’on leur dit de ne pas donner d’infos sur leurs positions sur les réseaux sociaux, car cela peut être dangereux.»

En fin de semaine, un journaliste vient témoigner de son expérience de terrain. Ainsi, «le cameraman Ivan Cerieix a raconté aux stagiaires sa prise d'otage en Irak en 2004. Particulièrement ému de raconter son enlèvement au cours duquel interrogatoires et simulacres d'exécution se sont succédé, le journaliste a permis de mesurer le traumatisme engendré dans un tel cas de figure. "Je n'avais pas relaté mon enlèvement de façon aussi complète depuis plusieurs années. J'espère simplement avoir agité les consciences sur les risques que court tout journaliste envoyé dans une zone de conflits"», témoignait le stagiaire Quentin Michaud dans le JDD.

L’idée du stage «est de donner au journaliste une boîte à outils» pour réagir au mieux en cas de situation difficile. Apprendre à se comporter, à se connaître. «Ce n’est pas parce qu’on a fait le stage qu’on ne court pas de risques», tient à préciser le capitaine Marc Dejean, l’un des responsables de ces formations. «Le risque zéro n’existe pas», conclut-il.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.