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"Normalement, un ancien président a un devoir de réserve"

Ex-chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy s'est pourtant entretenu mardi avec le président du Conseil national syrien. Une initiative sans précédent, pour l'historien Christian Delporte

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Nicolas Sarkozy et François Hollande lors de la passation de pouvoirs, le 15 mai au palais de l'Elysée. (BERTRAND GUAY / AFP)

POLITIQUE - Nicolas Sarkozy n'est plus président de la République, mais il pèse toujours dans la vie politique française. Mardi 7 août, un communiqué a rendu public son entretien téléphonique avec le président du Conseil national syrien (CNS) et chef de l'opposition, Abdelbasset Sieda. Depuis, l'opposition accuse le président François Hollande d'immobilisme, quand la majorité dénonce l'intervention de Nicolas Sarkozy.

Contacté par FTVi, l'historien Christian Delporte revient sur l'initiative de l'ancien chef de l'Etat, qu'il juge inédite dans l'histoire de la Ve République. 

Est-il surprenant qu’un ancien chef de l’Etat français continue de jouer un rôle diplomatique ?

Christian Delporte : Par le passé, on n’a jamais entendu Charles de Gaulle, François Mitterrand ou Jacques Chirac après leurs départs. Mais Nicolas Sarkozy a 55 ans. Rares ont été les présidents à partir aussi jeunes.

Je ferais tout de même le parallèle avec Valéry Giscard d’Estaing. En septembre 1981, il a fait sa première apparition internationale après sa défaite, au cours d’un voyage personnel aux Etats-Unis, où il a été reçu par Ronald Reagan. Un peu plus tard, en octobre, il a également fait une déclaration lors de l’assassinat du président égyptien Anouar el-Sadate. Mais ces événements n'ont pas abouti à des déclarations publiques, encore moins à une parole au nom de la France. En cela, l’entretien de Nicolas Sarkozy avec le président du Conseil national syrien marque une rupture profonde.

Chez Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy, il y a tout de même une revanche à prendre. Après sa défaite, le premier n’a jamais renoncé à la politique et a d’ailleurs refusé de siéger au Conseil constitutionnel. Il est revenu à la fin de l’année 1981 lors du premier déjeuner avec l’UDF, puis s’est relancé activement en politique l’année suivante. En 1984, il a finalement été élu député de la 2e circonscription du Puy-de-Dôme.

A l’étranger, d’autres chefs d’Etat ont continué de prendre parti sur les dossiers internationaux après leur défaite…

La différence avec Tony Blair, Bill Clinton ou Jimmy Carter dans les années 1980, c’est qu’ils n’intervenaient pas dans les affaires de leur pays, ne parasitaient pas le nouveau pouvoir en place. En revanche, leur stature internationale leur permettait de donner des conférences dans le monde entier.

Nicolas Sarkozy et Abdelbasset Sieda ont signé un court communiqué commun. Mais la teneur de leur échange n'a pas été rendue publique... 

Je ne connais pas d’équivalent dans le passé à cette initiative de Nicolas Sarkozy. Lorsqu’on distille ce type d’informations, on sait bien que ça dépasse le simple communiqué. Un ex-président de la République qui a échoué aux élections respecte d’ordinaire une sorte de période de deuil. Ce qui me frappe, c’est ce retour très vif et rapide sur la scène politique française. Toute la question est justement de savoir s’il souhaite indiquer son possible retour sur la scène politique française, ou construire et peaufiner son image à l’international.

Nicolas Sarkozy pense en effet que la principale réussite de son mandat réside dans sa politique de libération et de soutien aux peuples opprimés, comme en Géorgie, en Côté d’Ivoire et plus récemment en Libye. Le président de la République a toujours été soucieux de laisser une empreinte dans l’histoire. Rappelons qu’en 2009 , Nicolas Sarkozy faisait partie d’une liste de 200 personnalités présentées pour le Prix Nobel de la Paix. En juin, Eric Raoult, député UMP de Seine-Saint-Denis, a proposé à nouveau son nom, en écrivant aux parlementaires, au comité Nobel et au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault.

En s’attaquant à la stratégie de François Hollande, l’ancien président a-t-il transgressé une règle ?

Après sa défaite, François Mitterrand a été discret… Jacques Chirac également, hormis un ou deux voyages qui m’ont peut-être échappé. Quand un ancien président de la République est accueilli à l’étranger, il ne parle pas d’Europe, ne fait pas de déclaration publique car il a normalement un devoir de réserve.

Il y a donc une grande contradiction chez Nicolas Sarkozy, qui doit siéger au Conseil constitutionnel, puisque c’est justement la Constitution qui prête au président de la République le rôle de chef des armées ! On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre, à savoir s’exprimer sur la validité des lois tout en s’exprimant sur la politique globale du gouvernement.

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