Le monde arabe est une mosaïque de régions qui connaît aujourd'hui peut-être les plus grandes mutations. Qu'on l'admire ou le rejette, qu'il fascine ou révulse, qu'il déchaîne passions ou incompréhension... les mots pour le définir se rencontrent et s'entrechoquent: ordre, chaos, paix, violence, barbarie, indépendances, Israël, islam, misère, milliardaires, révolutions...
Comment sortir des clichés, préjugés, des visions superficielles. Comment montrer à voir ce qui autrefois était caché, interdit ou simplement oublié. C'est ce que propose cette première biennale des photographes du monde arabe contemporain organisée conjointement par l'IMA et la MEP ainsi que de nombreux autres partenaires.
Paysages, Mondes intérieurs, Cultures/Identités, Printemps: quatre axes ont été privilégiés pour décrire ce monde arabe pluriel qui impose la nuance, qui demande chaque jour de combattre les idées reçues, les amalgames et les confusions et qui interroge l'intime.
Les expositions proposées n'ont pas vocation première de rendre compte de l’actualité telle qu'on la perçoit habituellement dans les médias. Si des vocations sont nées des révolutions de 2011, au-delà du travail admirable des photojournalistes et des reporters, les photographes présents sont autodidactes, artistes, poètes, mais avant tout auteurs. Certains sont nés ailleurs, d'autres ont dû fuir leur pays, mais tous aspirent à témoigner des réalités changeantes de ce monde arabe en mutation, à engager une réflexion.
De cette nouvelle génération, les femmes ne sont pas absentes, elles se sont approprié ce média avec parfois beaucoup d'humour. De ce regard multiplié, où la diversité de points de vue se côtoient, ces expositions nous montrent à comprendre les convulsions d’un monde à l'aube de sa nouvelle histoire.
20 photos illustrent ce propos.
Photographier les campagnes marocaines et le rapport de l’homme à la nature est le souhait de cet infatigable marcheur. Khalil Nemmaoui veut laisser un témoignage sur le monde agraire, «cette nature civilisée, trait encore persistant de son pays», sur le besoin de «retour aux sources» des citadins «en proie à un sentiment de malaise grandissant, dans des atmosphères urbaines et artificielles. (Khalil Nemmaoui)
Le bleu de la Méditerranée et l’horizon partie intégrante de la ville ont disparu peu à peu du paysage. Seuls quelques nantis qui vivent en front de mer ou en haut des tours peuvent encore en bénéficier. Architecture démesurée, en perpétuelle reconstruction... la métropole s’est métamorphosée au fil du temps en jungle urbaine. «Conscient dès le début de l’absence totale d’études et de planifications urbaines dédiées à une croissance fonctionnelle et durable, j’eus, dès 1999, le réflexe de photographier régulièrement des panoramas, afin de suivre l’évolution frénétique et chaotique de la ville.» Voir son reportage... (Joe Kesrouani/Œuvre exposée à l'IMA)
La photographe veut montrer la politique de grands travaux des Emirats arabes unis et plus précisément de Dubaï, sa ville la plus peuplée. Avec lucidité mais humour, elle dénonce la folie des grandeurs des nouveaux bâtisseurs. Elle constate que cette ville artificielle, ses constructions aseptisées, ses façades monumentales censées incarner les aspirations idéalistes de mégalopoles du Golfe amènent la population à un étonnant sentiment d’aliénation. Voir ses photos... (Farah Al Qasimi/Courtesy Third Line Gallery/Œuvre exposée à l’IMA)
Le Sinaï est un point de passage stratégique entre l’Afrique et l’Asie. Malgré les tensions régionales, l’économie du tourisme porté par le Caire et les pays du Golfe a transformé peu à peu la région en une immense zone factice. Palais de plâtre, architecture démesurée et décors de mille et une nuits sont à l’image de ce que l’ethnologue Marc Augé définissait par «un monde artificiel et naïf, détaché de la réalité locale de la région». Les Bédouins, population nomade indigène du Sinaï, sont mis à l’écart de cette manne touristique laissant place à une culture folklorisée. Voir le reportage...
(Andrea & Magda/Œuvre exposée à la MEP)
«Le Qatar a été l’un de mes lieux de résidence. C’est un pays qui est en effervescence, en marche vers son futur à grande vitesse. Doha en est son pouls. Le présent est déjà dans l’avenir. Le passé est en survie. Mon travail sur Le «Temps suspendu» interroge ces traces perdues et imagine des lieux de mémoire. Mon idée est de raconter une mémoire vouée à disparaître ou qui n’a pas forcément existé. C’est celle d’un pays aux traditions puissantes mais qui, étrangement, a du mal à préserver son passé et préfère le reconstruire avec du neuf. Je suis donc parti à la recherche de ce temps perdu avec ce sentiment de vide et d’abandon.»
( Maher Attar/Œuvre exposée à la Courtesy Photo 12 Galerie)
«Il s’agit d’un témoignage sur des familles en quête d’alternatives pour faire face à la recrudescence des coupures d’électricité à Gaza. Cette étrange atmosphère lumineuse qui se déploie dans l’environnement urbain est portée par une gamme de couleurs inattendue, au milieu d’une combinaison d’odeurs générées par les gaz d’échappement des générateurs électriques ; mais aussi par le bruit de ces machines, mêlé au brouhaha des gens qui se répandent en dehors de leur maison... Le mot «Shambar» renvoie au plus ancien luminaire alternatif, une lampe à pétrole conçue pour fonctionner au gaz naturel, bon marché, portative et adaptée aux besoins des maisons, magasins, mais utilisable également en promenade.» Voir ses photos...
(Mohamed Abusal)
Loin des images habituellement véhiculées pour évoquer la Palestine, Yazan Khalili propose une œuvre ouverte, dans laquelle l’imaginaire et la recherche photographique prévalent. Déréalisant le contexte politique, il privilégie une errance nocturne dans laquelle la nuit restitue le territoire et son étendue. «A l’été 2002, lors des importantes incursions israéliennes dans la bande de Gaza, nous nous sommes retrouvés avec mon ami Mohannad coincés dans la ville de Birzeit, pendant plusieurs semaines, prisonniers du couvre-feu. Une nuit, nous décidâmes de faire une promenade sur la colline voisine... Et là, ça y était, juste là, dans l’obscurité totale, brillante comme un diamant venant de se poser sur terre, se trouvait la ville, la côte : Jaffa. Il n’y avait rien entre nous, que cette vaste obscurité.» Voir les photos... (Yazan Khalili/Œuvre exposée à l'IMA)
«Dans les carrières de Menya, les conditions de travail des enfants sont dures : pour tailler la pierre, les enfants manipulent des machines primitives et extrêmement dangereuses. Les accidents dus aux lames et aux contacts électriques défectueux sont quotidiens, souvent mortels, et la poussière qu’ils inhalent entraîne des maladies respiratoires et pulmonaires. En raison de la grave crise économique traversée par l’Egypte, même si les familles sont conscientes des dangers de ces activités, elles envoient tout de même leurs enfants y travailler, car c’est là leur seul moyen de subsistance.» Voir les photos... (Myriam Abdelaziz/Œuvre exposée à l’IMA)
Le photographe explore ici les anciennes demeures de Djeddah. Ces palais, merveilles de savoir-faire architecturaux et décoratifs, et autrefois lieux vibrants de la vie sociale et communautaire, sont aujourd’hui vides, à l’abandon. «Ce projet participe d’une approche documentaire qui cherche à capturer la beauté d’un patrimoine disparaissant lentement...
Selon moi, il subsiste une beauté dans ce phénomène de dilapidation. Je cherche à questionner, à interpeller les autres. Que s’est-il passé dans notre société pour que nous ayons pu négliger et détruire autant de beauté, mais surtout pouvons-nous y remédier? Comment ralentir ce processus pour préserver ce qui nous reste, est-ce inéluctable.» (Emy Kat/Œuvre exposée à l’IMA)
En photographiant, les «Majlis», salons de conversation émiratis où il est d’usage de recevoir les invités pour discuter, Lamya Gargash explore la tradition du pays et sa sphère intime. Montrer à voir ces lieux clos est une manière de révéler de l’intérieur certaines problématiques culturelles et identitaires propres aux pays du Golfe. (Lamya Gargash)
Le photographe pose un regard inattendu et poétique sur les cabanes des réfugiés syriens au Liban. Avec le conflit qui perdure et son million de réfugiés, les accueillir devient de plus en plus compliqué. Mobilier, draps, tapis, tout ce qui devait être installé pour un temps très bref finit, avec le temps, par être vécu comme une situation presque permanente, transformant ces abris de fortune en situation durable. Voir son reportage... (Giulio Rimondi/Œuvre exposée à l'IMA)
Cette série est une suite de portraits de femmes égyptiennes victimes de maltraitances. Les femmes et les jeunes filles égyptiennes sont victimes de violences d’une ampleur très inquiétante, tant dans la sphère privée que publique, notamment d’agressions sexuelles collectives et d’actes de torture dans le cadre de détentions. Être une femme aujourd’hui en Egypte est un combat de chaque jour à tel point que pour nombre d’entre elles, sortir de chez soi devient un acte de résistance. (Mouna Saboni/Œuvre exposée à l'IMA)
George Awde photographie de jeunes hommes solitaires et secrets dans leur environnement quotidien, à la périphérie des centres-villes, dans le semi-urbain. La série souligne le corps masculin pour mieux questionner les idées traditionnelles de la masculinité et la notion de famille. A la limite du récit, toujours au bord de quelque chose, ses personnages sont habités par une indéfinissable et poétique attente. Ce travail «s’inscrit dans le prolongement de plusieurs séries commencées en 2007 et dont le projet est d’observer un groupe de Syriens vivant et travaillant au Liban. Ces photographies ont été prises avant la révolution syrienne et la crise des réfugiés que nous connaissons aujourd’hui... L’œuvre porte un regard intimiste sur les luttes et les espoirs personnels.» Voir les photos... (George Awde/Œuvre exposée à l'IMA)
Photographier un détail, un geste, une expression, une attitude, le quotidien des gens simples, sans artifice est ce qui donne un sens universel à ses photos. Qu’il photographie une mère, un pêcheur, un potier, un saltimbanque ou un travestis, il fait de ses images des poèmes. Le regard de Daoud Aoulad-Syad s’ouvre sur plusieurs dimensions. (Daoud Aoulad-Syad/Œuvre exposée à la MEP)
Ces clichés se veulent le reflet de l’intimité, du quotidien et des pratiques des croyants pendant ce mois de jeûne. La photographe s’attache aux aspects heureux de l’islam, l’envisageant comme une religion avant tout spirituelle, méditative et empreinte de merveilleux, loin des bruyantes explosions de violence que connaît l’Egypte. «J’ai lancé le projet photographique Ramadan en 2013, au début du Ramadan. J’ai décidé de prendre une photo ou une série de photos chaque jour, avec pour objectif de montrer l’esprit et les différents aspects culturels de ce mois. Certaines ont été prises dans la rue, d’autres chez moi, d’autres encore sont des autoportraits. J’ai souhaité évoquer la grande richesse du mois du Ramadan, qui est tissé de spiritualité, de rassemblements familiaux, d’aliments particuliers, de décorations de rues et de générosité.» (Wafaa Samir/Œuvre exposée à l'IMA)
Hommes, femmes, de tous âges, de différentes ethnies, toutes les personnes photographiées viennent pour la plupart du Moyen ou Haut Atlas, du Rif au Nord ou de Khamlia au Sud. La plus importante difficulté rencontrée par Leila Alaoui fut de convaincre les gens de poser devant un appareil photo (dans un studio mobile installé dans des lieux publics). Pour beaucoup d’entre eux cet objet est chargé d’appréhensions superstitieuses, la photographie demeurant une pratique occulte, une «voleuse d’âme». Cette série a été Inspirée par «The Americans» de Robert Frank et «In The American West» de Richard Avedon. Voir les photos... (Leila Alaoui/Œuvre exposée à la MEP)
En 2014, le photographe rejoint l’Armée libre syrienne à Tell el-Riffat près d’Alep. Malgré le danger, il souhaite offrir une autre vision des populations ayant pris les armes. S’amorce alors un travail de portraits des enfants des combattants qu’il a côtoyés. «Cette image est extraite d’une série inspirée des histoires et légendes pour enfants de la région de la Syrie et du Levant. Ce travail a pour objectif de contribuer à la promotion de la culture et de l’histoire du pays, à une époque où la guerre et la mort sont les termes les plus souvent employés pour évoquer la réalité du pays.» (Mohamed Lazare Saïd Djeddaoui/Œuvre exposée à l’IMA)
Sur cette photo, Aysha montre son tatouage qui dit : «Pourquoi m’as-tu quittée lorsque j’avais besoin de toi?» à son mari devenu combattant de l’Armée syrienne libre. Aysha est veuve depuis un an, après 11 ans de vie commune. Tanya Habjouqa explore l’intimité et la vie quotidienne de quatre veuves de martyrs syriens. «Les femmes de martyrs syriennes luttent pour trouver une forme de normalité dans la poussiéreuse ville de Ramtha en Jordanie. Ville frontière, douloureusement proche des maisons et des vies qu’elles avaient auparavant à Deraa. «Demain il y aura des abricots» est un proverbe familier du Levant, signifiant que demain n’arrivera jamais.» (Tanya Habjouqa )
«Wadi al Salam (Vallée de paix) est un cimetière localisé à Najaf, province située à l’ouest de l’Irak. Cet immense cimetière (plus de cinq millions de sépultures) est considéré comme le plus ancien et le plus vaste cimetière au monde. C’est la dernière demeure de générations successives d’Irakiens et de chiites, mais aussi le témoin, pour les générations à venir, des tourments et des guerres qui eurent lieu directement sur son sol et juste en dessous. Le site a également été le théâtre de féroces combats entre les troupes américaines et l’armée du Mahdi en 2004 lors de la bataille de Najaf. C’est la valeur symbolique de son nom, «Vallée de paix», nichée au cœur d’une nation très affectée par la guerre, qui m’a imposé cette série photographique.» (Tamara Abdul Hadi/Œuvre exposée à l’IMA)
Cette photographie a été prise sur la grande place du Bardo, début août 2013, lors d’une des premières et innombrables manifestations de l’après révolution. Une foule immense s'est réunie pour demander la dissolution de l’Assemblée et la démission du gouvernement, tous deux, majoritairement islamistes. Avec cette série «Silence ça tourne», Amine Landoulsi témoigne des moments les plus saisissants de l’histoire des Tunisiens après la révolution. (Amine Landoulsi/Œuvre exposée à l’IMA)
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