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Mondial de football au Qatar: les esclaves des stades

Le Qatar accueillera en 2022 la Coupe du monde de football. Résultat : le petit émirat du Golfe est en plein chantier. Selon une enquête d’Amnesty International, les nombreux ouvriers étrangers qui y travaillent sont traités «comme du bétail». «Au moins 44» Népalais «sont morts entre le 4 juin et le 8 août 2013», a révélé une enquête du «Guardian». Un chiffre démenti par les autorités.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Chantier à Doha, capitale du Qatar (21-2-2013) (Reuters - Fadi Al-Assaad)
«Des milliers de Népalais, qui constituent le plus important groupe de travailleurs étrangers au Qatar, sont confrontés à une exploitation et des abus qui sont comparables à de l’esclavage moderne», écrivait le Guardian le 25 septembre 2013. Lequel cite des documents obtenus à l’ambassade du Népal dans l’émirat. Les 44 victimes recensées sont décédées de problèmes cardiaques ou lors d’accidents du travail. Un chiffre démenti par les autorités.
 
«Nos observations montrent qu’il existe un niveau alarmant d’exploitation dans le secteur du bâtiment au Qatar», confirme le secrétaire général d’Amnesty International, Salil Shetty. L’organisation des droits de l’Homme dénonce le mépris dont font preuve les autorités qataries à l’égard des droits fondamentaux des travailleurs immigrés.
 
Certains ouvriers cités par le Guardian rapportent qu’ils ont dû évoluer «dans des ambiances excédant 50° sans pouvoir accéder à de l’eau potable». De plus, ils sont contraints de travailler sept jours sur sept et 12 heures par jour, selon le rapport d’Amnesty, publié le 18 novembre 2013. Certains doivent «dormir à douze» dans la même chambre insalubre, précise le quotidien. Sans parler de ceux qui ne sont pas payés et sont forcés de mendier leur nourriture.

Chutes au travail
«Nous devions travailler l’estomac vide pendant 24 heures : 12 heures de travail, sans recevoir à manger par la suite», a raconté au Guardian un Népalais de 27 ans. «Quand je me suis plaint, mon chef m’a frappé et m’a expulsé du camp de travail où je vivais et a refusé de me payer quoi que ce soit», a-t-il poursuivi.

Dans le document d’Amnesty, plusieurs ouvriers dénoncent les conditions d’hygiène et de sécurité sur les chantiers du Mondial. Le document cite un responsable du principal hôpital de Doha selon lequel «plus de 1000 personnes ont été admises en 2012 dans l’unité de traumatologie à la suite de chutes au travail». 10% des personnes concernées sont restées handicapées et le «taux de mortalité était significatif». Amnesty ne confirme cependant pas le chiffre de 44 morts.

Travailleurs étrangers sur un chantier à Doha au Qatar (1-3-2013) (AFP -Amnesty International)

Selon le rapport, certains des ouvriers victimes d’abus sont employés par des sous-traitants d’entreprises internationales : Qatar Petroleum, le sud-coréen Hyundai, l’espagnol OHL Construction…

Les travailleurs sont apparemment pris dans un système de recrutement qui les endette. Ils doivent ainsi rembourser à des intermédiaires des emprunts dont les taux d’intérêt iraient «jusqu’à 36%», selon le journal britannique. Pour prévenir leur fuite, on les prive de leurs passeports. Dépourvus de papiers, les immigrants sont considérés comme des clandestins, susceptibles d’être arrêtés à tout moment et privés de toute protection. 

«Une plateforme pour un changement social positif»
De leur côté, les autorités qataries rejettent les accusations d’esclavage. Elles indiquent avoir confié une enquête «indépendante» à un cabinet d’avocats international. «La Coupe du monde ne se fait pas sur le sang d’innocents», a affirmé le secrétaire général du Comité suprême d’organisation Qatar 2022, Hassan al Thawadi, cité par Al Jazeera. Interrogé par la chaîne, le porte-parole de Qatar 2022, Nasser Al-Khater, explique que «depuis le début, nous avons pris ces informations très au sérieux». «Nous avons établi une charte des travailleurs, nous avons travaillé sur les éléments juridiques que l’on trouvera ensuite dans les contrats que nous passerons. Nous voulons être sûrs que l’on y trouvera des normes minimales qui seront au-dessus des normes internationales minimales».
 
Quant à la Fédération internationale de football (FIFA), elle assure que le respect des droits de l’Homme est au cœur de ses activités. «La FIFA croit fermement à la puissance positive que la Coupe du monde peut avoir au Qatar et au Moyen Orient», a-t-elle dit. Pour elle, le Mondial peut ainsi être pour la région «une grande occasion (…) de découvrir le football comme une plateforme pour un changement social positif».
 
90% de la main d’œuvre est étrangère
Etat le plus riche du monde par habitant (102.800 dollars, immigrés compris), le Qatar, troisième producteur mondial de gaz, a une population de 2 millions d’habitants. En plein boom économique (avec un taux de croissance de 6,6 % en 2012), l’émirat doit «importer» 90% de sa main d’œuvre.
 
Selon le Guardian, il va lui falloir faire venir 1,5 million d’ouvriers, dont 40% de Népalais, «pour construire stades, routes, ports et hôtels nécessaires» dans le cadre du Mondial. Il va ainsi investir 100 milliards de dollars (74 milliards d’euros). Mais au-delà, la Coupe du monde n’est qu’une étape pour changer d’ici 20 ans le visage du petit émirat du Golfe. 

Des ouvriers migrants contraints de travailler sans être payés
«The Guardian», 25-9-2013 (en anglais)

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