Chute du prix du pétrole : des gagnants ?
Les cours du pétrole ont chuté début novembre à des plus bas depuis trois ans à New York et depuis quatre ans à Londres, dans un marché miné par ce que des analystes appellent la «guerre des prix» de l'Arabie Saoudite face aux Etats-Unis. L’Arabie a en effet décidé de baisser ses prix alors que la tendance est déjà à la baisse. Cette décision saoudienne montre «une fois encore que le pays s'inquiète plus de la préservation de ses parts de marché que de la stabilisation des prix», relève Ole Hansen, analyste chez Saxo Bank. En faisant cette annonce, l’Arabie change de politique. Plutôt que de réduire sa production pour garantir un certain niveau de prix, elle a décidé d’inonder le marché.
Ce n'est pas la première fois que le pétrole connaît des variations de prix importantes. Ainsi en 2008, les cours étaient passés de 113,3 dollars le baril en août à 40,3 dollars en décembre. Aujourd'hui certains analystes redoutent que le plancher des 80 dollars ne soit enfoncé.
Pourquoi une telle baisse ?
Deux raisons principales expliquent la baisse du prix du brut. La situation économique peu favorable et la concurrence des hydrocarbures non conventionnels (gaz de schiste...). Il faut ajouter à ces causes la hausse du dollar. «Le cours du pétrole a nettement moins baissé dans les autres monnaies», précise Olivier Rech, responsable de la recherche énergie chez Beyond Ratings.
Dans un contexte plus qu'instable au Proche-Orient, la baisse des prix du brut apparaît surprenante. Même les experts du FMI se sont pris les pieds dans le tapis. Début octobre, ils «envisageaient une hausse des prix du brut de 20% en 2015 et un impact négatif sur l’activité internationale compris entre -0,5 % et -1,5 %. C’est le contraire qui se produit», note Jean-Pierre Séréni.
«La chute des prix s’explique par le surplus mondial de l’offre de 2,2 millions barils par jour, alors que la consommation n’a augmenté que de 1,2 mm bbl/j», explique l'expert en énergie Ali Kefaifi dans le journal algérien El Watan.
A ces mauvais chiffres, il faut ajouter des évolutions dans les sources d'énergie. «Le recul dans la production primaire d’énergie du pétrole au profit de ses concurrents est spectaculaire; en 1973, au moment du premier choc pétrolier et de l’embargo arabe contre les Etats-Unis et les Pays-Bas, punis pour leur soutien à Israël dans la guerre d’octobre, sa part était de 53%. Elle était tombée en 2012, dernière année connue, à 36% alors que la part du gaz passait durant la même période de 19 à 26% et que la charbon faisait un retour en force inattendu dans la production d’électricité, en raison de son bas prix», note Orient XXI. Parmi les nouvelles sources d'énergies, «les hydrocarbures non conventionnels, développés actuellement presque exclusivement aux Etats-Unis, ont éloigné le spectre du peak oil (pic pétrolier). En quelques années, grâce au gaz et au pétrole de schiste, ce sont plus de 3 millions de barils/jour, l’équivalent de la production de l’Iran qui sont venus desserrer l’étau», ajoute Jean-Pierre Séréni.
Conséquences nombreuses
Dans d'autres pays, les conséquences ne sont pas forcément excellentes non plus. Les budgets des pays producteurs risquent de se retrouver dans le rouge. «L’Afrique compte pour environ 12% sur le total du pétrole exporté dans le monde. Les principaux pays qui ont fait des hydrocarbures un pilier de l’économie sont le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, la Libye, l’Egypte, la Guinée Equatoriale, la RDC, les deux Soudan, le Gabon ou encore le Ghana. Au Nigeria, le pétrole représente 80% du revenu total du pays, en Algérie 97% des exportations totales sont représentées par les hydrocarbures, en Angola le pétrole représente la moitié du PIB», note le site Afrique Inside.
Pour la Russie, gros producteur d'hydrocarbures, qui connaît déjà des difficultés avec la crise de l'Ukraine, la note pourrait aussi être salée. «Pour Alexeï Koudrine, ancien ministre russe des Finances, ce phénomène est la conséquence directe d’un complot entre les Etats-Unis et le Proche-Orient contre la Russie», explique un journal russe.
Les conséquences peuvent être importantes dans le monde de l'énergie. L'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels pourrait souffrir. «En dessous de 90 dollars le baril, explique Benjamin Carton, économiste au Cepremap, le gaz et le pétrole de schiste produits aux Etats-Unis ne sont plus rentables. Cela peut donc dissuader les Américains d’investir dans ce domaine». Même chose pour les pétroles difficiles à exploiter, comme ceux du Brésil.
Avec un prix de l'énergie plus bas, il n'est pas certain de voir la croissance en profiter. Comme le note un économiste, «on aimerait voir le pétrole mieux performer, car la demande de pétrole est un signe que l'économie se porte bien».
A l'heure où le GIEC vient de publier son rapport sur le réchauffement climatique, la baisse du prix de l'énergie carbonée n'est pas non plus une bonne nouvelle. Les investissements dans les économies d'énergie ou les énergies renouvelables deviennent moins rentables... Reste à savoir si cette baisse du prix du pétrole n'est que conjoncturelle ? C'est en tout cas ce que pensaient les experts de l'Agence Internationale de l'Energie qui affirmaient en juin 2014 que les investissements futurs nécessaires pour s'assurer une énergie suffisante étaient colossaux.
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