La commission électorale ukrainienne a confirmé mercredi la victoire de l'opposant pro-russe Viktor Ianoukovitch
Selon les résultats définitifs, il obtient 48,95% des voix au 2e tour, contre 45,47 % à sa rivale, la première ministre, Ioulia Timochenko. La participation s'élève à 69,14 %.
Selon l'état major de la perdante, les fraudes "à caractère massif" ont faussé le résultat de l'élection.
Les premières déclarations du vainqueur
"Merci à Dieu de nous avoir aidés à ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire de notre pays", avait lancé Viktor Ianoukovitch dès dimanche soir.
Invitant Mme Timochenko à démissionner, il a promis de former rapidement une nouvelle majorité au Parlement et de mener sans délai des "réformes pour surmonter la crise économique" qui secoue le pays.
Dans les derniers jours de la campagne, la première ministre avait brandi la menace d'une Révolution orange bis en cas de fraudes. Dans la nuit de dimanche à lundi, commentant les premiers résultats partiels, elle a déclaré que rien n'était joué.
Plus de cinq ans après avoir été écarté par les foules de la "révolution orange", Viktor Ianoukovitch peut savourer sa revanche face à son adversaire emblématique. Celle-là même qui le qualifiait de marionnette du Kremlin en décembre 2004.
A l'époque, déjà crédité de la victoire, Vikto Ianoukovitch s'était félicité trop tôt. Des manifestations massives contre les trucages électoraux avaient conduit à l'annulation du scrutin par la justice. Un "troisième tour" fut organisé, qui vit la victoire du pro-occidental Viktor Iouchtchenko, soutenu par Ioulia Timochenko.
Le héros de la Révolution orange a été éliminé sans gloire le 17 janvier, lors du premier tour jugé équitable et transparent par les observateurs de l'OSCE et du Conseil de l'Europe.
Réactions en Russie
Le Kremlin et le gouvernement russe se sont abstenus lundi matin de tout triomphalisme. Un comportement qui tranche avec celui de 2004, lorsque Vladimir Poutine, alors président, s'était empressé de féliciter Viktor Ianoukovitch pour sa victoire à la présidentielle.
"Nous ne savons pas qui a gagné et attendrons le résultat officiel", a juste dit le porte-parole de M. Poutine, Dmitri Peskov,
De son côté, la presse russe s'est faite beaucoup moins prudente et na pas hésité pas à saluer "le crash" de la Révolution orange, source d'humiliation pour Moscou et le vainqueur du scrutin.
Le quotidien Izvestia a évoqué "Le crépuscule orange". A ses yeux, la Russie peut fêter la fin de l'ère farouchement pro-occidentale de l'Ukraine avec le départ du président Viktor Iouchtchenko. "Quel que soit le vainqueur du deuxième tour, il est clair que le 7 février a été la dernière journée orange de l'Ukraine ", relève le journal, ravi de voir disparaître l'"idéologie abusive" du président sortant au coeur des graves tensions russo-ukrainiennes de ces dernières années.
Pour le chef de la commission des Affaires étrangères de la Douma (chambre basse du Parlement russe), Konstantin Kossatchev, le résultat de l'élection est aussi celui de la politique du président sortant. Lequel "pour plaire à l'Occident, a provoqué une grave détérioration des relations avec la Russie". "Je suis sûr que Viktor Ianoukovitch entendra l'opinion de la majorité en Ukraine et qu'il va rapidement pouvoir rétablir les relations de bon voisinage entre l'Ukraine et la Russie", a poursuivi le député.
De son côté, la mission d'observateurs internationale conduite par l'OSCE a estimé que l'élection s'est déroulée de façon "transparente et honnête", ouvrant la voie à une passation "pacifique" du pouvoir.
L'analyse de la presse ukrainienne
Pour la presse ukrainienne, la défaite du camp orange était sans surprise, après les crises à répétition au sommet de l'Etat et la déroute économique observées durant le quinquennat de M. Iouchtchenko.
"C'était prévisible et il n'y a pas eu de miracle", titrait le quotidien Gazeta po-Kievski, proche de Mme Timochenko, en se félicitant du déroulement "civilisé" de l'élection "malgré les accusations habituelles de fraudes". "La campagne de Timochenko a été beaucoup plus spectaculaire (...) Mais la plupart des électeurs ont choisi le pain et pas le divertissement", a renchéri le quotidien Segodnia, pro-Ianoukovitch.
D'autres se demandaient si le Premier ministre allait reconnaître sa défaite. "Elle pourrait tenter d'organiser un troisième tour devant les tribunaux et dans les rues. Mais une chose est claire: l'époque des héros de (la Révolution orange de) 2004 cède la place à celle de ses anti-héros", estime le quotidien économique Ekonomitcheskie Izvestia.
Le retour du "vilain"
Présenté comme le "vilain" de la Révolution orange, Viktor Ianoukovitch était déjà revenu une première fois au premier plan lorsque le président Iouchtchenko, en pleine querelle avec Ioulia Timochenko, l'avait rappelé au poste de premier ministre en 2006. Mais il n'était resté qu'un an, jusqu'à la défaite de son Parti des régions lors d'un scrutin anticipé l'année suivante.
L'ancien mécanicien de 59 ans doit son nouveau retour sur le devant de la scène au soutien des riches industriels de sa région, l'est de l'Ukraine. Il a profité de la désillusion des Ukrainiens après les espoirs suscités par la révolution de 2004. "J'ai tout fait pour arrêter cette folie ces cinq dernières années", a-t-il dit lors d'un entretien télévisé. "L'objectif de cette soi-disant Révolution orange (...) était d'affaiblir la Russie, pas de renforcer notre Etat", a-t-il ajouté.
Viktor Ianoukovitch a construit son programme de campagne sur un message simple: la lutte contre la pauvreté, le "véritable ennemi de l'Ukraine ".
Viktor Ianoukovitch: portrait
Viktor Ianoukovitch est un "pur produit" de l'Est industriel de l'Ukraine.
Ce géant de deux mètres, âgé de 59 ans, est à l'image de sa région natale, le Donbass, coeur industriel de l'Ukraine: massif, aux manières carrées et peu éloquent - rustre, disent volontiers ses détracteurs. Il parle lentement, enchaînant des phrases courtes, et est coutumier des gaffes qui font le bonheur de ses adversaires, comme durant la campagne lorsqu'il a qualifé le dramaturge russe Anton Tchekhov de poète ukrainien.
"Il n'aime pas parler, il ne sait pas trop parler, mais le pays n'en a pas vraiment besoin", riposte une de ses proches, Ganna German, député et ancienne journaliste.
M. Ianoukovitch, né près de Donetsk (est) le 9 juillet 1950, a fait toute sa carrière dans sa région natale, où les cheminées d'usine le disputent aux terrils des mines de charbon, avant d'être appelé à Kiev en 2002 comme Premier ministre.
Mécanicien, puis patron d'une entreprise de transport, il fut nommé gouverneur de Donetsk en 1997 quand des luttes de clans, ponctuées de règlements de compte, faisaient rage pour le contrôle des usines métallurgiques de la région.
Comme à l'époque soviétique, politique et industrie restent très imbriquées dans le Donbass. Viktor Ianoukovitch y demeure aussi très populaire, avec un score de 75% au premier tour de la présidentielle.
Paternaliste, autoritaire, "homme du peuple", il fait parfois penser aux dirigeants de l'époque soviétique. Deux d'entre eux, Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev, sont d'ailleurs aussi nés dans l'est de l'Ukraine, grand pourvoyeur de cadres du Parti communiste à l'époque soviétique. "C'est un dirigeant de la vieille école, un homme rigide, aux convictions assez conservatrices", résume Iouri Iakymenko, analyste au Centre international d'études politiques et économiques Razoumkov.
Aidé de conseillers américains, "l'homme de Donetsk" a toutefois poli son image. Il insiste désormais sur les valeurs démocratiques, a perfectionné son ukrainien, même s'il s'exprime plus volontiers en russe comme ses concitoyens de l'est, et s'est mis à l'anglais.
Orphelin dès l'âge de deux ans, M. Ianoukovitch a connu une enfance difficile que son entourage met volontiers en avant pour justifier ses traits de caractère.
A terre lors de la Révolution orange pro-occidentale de 2004 - sa victoire à la présidentielle, entachée de fraudes, fut alors annulée sous la pression des manifestants - il s'est rapidement relevé. Dès 2006, il redevenait Premier ministre à la faveur des divisions dans le camp orange, et n'a cessé depuis de surfer sur la désillusion ambiante pour se poser en alternative.
Instruit par les erreurs de 2004 où, soutenu par Vladimir Poutine, il passa pour le "candidat du Kremlin", il prône désormais une politique d'équilibre entre la Russie et l'Union européenne.
Ioulia Timochenko: un sinueux parcours
Ioulia Timochenko a connu un parcours un parcours rocambolesque ponctué de zones d'ombre qui révèlent au moins une chose: son goût immodéré pour le pouvoir.
En robes moulantes et talons vertigineux, la première ministre, femme menue de 49 ans, a remué ciel et terre pour combler un retard de dix points sur son adversaire au premier
tour.
Business
"Elle ressent une passion pour le pouvoir. Et elle a eu pour cela de bons maîtres", écrit d'elle son ancien conseiller Dmytro Vydrine. L'un de ces "bons maîtres" est Pavlo Lazarenko, ancien premier ministre aujourd'hui incarcéré aux Etats-Unis pour escroquerie et blanchiment d'argent, qui l'a aidée à poser ses jalons à la tête d'une puissante compagnie énergétique. L'autre est l'ex-président Léonid Koutchma qui serait à l'origine de son incarcération en 2001, une expérience qui lui montra l'avantage du pouvoir sur
l'argent et la transforma en opposante prête à tout.
Née le 27 novembre 1960, Ioulia Timochenko, ingénieur-économiste à l'époque
de l'URSS, fut promue chef d'une importante compagnie énergétique. Laquelle obtint le
monopole sur l'importation du gaz russe en Ukraine, après l'indépendance du pays en 1991. Ce poste lui a valu des poursuites en Ukraine pour vol ainsi qu'en Russie
pour le versement présumé de pots-de-vin en 1996 à des responsables du ministère
russe de la Défense.
Ces affaires, closes en 2005 dans des circonstances obscures, ont été ressorties pendant la campagne par ses adversaires, dont le président sortant Viktor Iouchtchenko, ancien allié devenu son pire ennemi. Adversaires qui l'accusent d'être corrompue et manipulée par Moscou.
De pro-occidental à pro-russe
Considérée comme pro-européenne, elle sait aussi arrondir les angles avec Moscou, ricanant ostensiblement à des plaisanteries de son homologue russe Vladimir Poutine lorsqu'il s'en prenait à M. Iouchtchenko.
La carrière de cette femme flamboyante s'est bâtie "sur des méthodes radicalement anti-féministes", estime l'écrivain ukrainien Oxana Zaboujko qui lui reproche d'afficher "sa féminité pour obtenir des dividendes". Pour son ancien conseiller Dmytro Vydrine, "il n'y a pas en Europe de femmes politiques présentant une telle alliance de charme, d'insolence et de rejet de toutes les règles".
La carrière politique de Mme Timochenko commence en 1997 lorsqu'elle devient député, puis vice-premier ministre dans le gouvernement de Viktor Iouchtchenko en 1999. Limogée en 2001, elle est incarcérée un mois pour le vol présumé d'un milliard de dollars destiné au paiement du gaz russe.
En 2004, elle se range aux côtés du pro-occidental Viktor Iouchtchenko, face au candidat du pouvoir et de Moscou, Viktor Ianoukovitch, accusé de fraudes électorales à la présidentielle. Elle devient l'un des symboles de la Révolution orange, sa tresse enroulée autour de la tête, faisant de l'Ukraine un pays à la mode en Europe occidentale.
Après la Révolution orange, le libéral russe Boris Nemtsov, qui conseillait Viktor Iouchtchenko, affirme avoir passé son temps à "lutter contre le populisme" de la première ministre qui "gelait les prix et révisait les privatisations".
"Son comportement chaotique repousse ceux qui font un choix rationnel, d'autres attirés par son aplomb lui font une confiance aveugle", conclut le politologue ukrainien Andri Ermolaïev.
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