L'opposant islamiste tunisien Rached Ghannouchi est arrivé dimanche midi à Tunis après plus de 20 ans d'exil
Le leader du mouvement Ennahda a été accueilli par des centaines de partisans, mais aussi des défenseurs de la laïcité.
Quelques heures après son retour, il a annoncé qu'il ne serait pas candidat à la présidentielle.
"Il n'y aura aucun (candidat) membre d'Ennahda", a déclaré le dirigeant du mouvement islamiste. "Après 20 ans d'absence, mon parti n'est pas prêt à jouer un rôle sur la scène politique, la priorité est de reconstruire Ennahda", a-t-il expliqué.
Retour au pays après 20 ans d'exil
L'avion qui arrivait de Londres s'est posé vers 12H30 à l'aéroport de Tunis où les forces de l'ordre se faisaient très discrètes.
Dans le hall du terminal plein comme un oeuf jusque sur la coursive du premier étage, des centaines de partisans du mouvement Ennahda l'attendaient, agglutinés devant la porte de sortie du vol British Airways.
Un peu en retrait, plusieurs dizaines de défenseurs de la laïcité brandissaient de leur côté des pancartes contre le fondamentalisme. Rached Ghannouchi, qui a quitté Londres dans la matinée en compagnie notamment d'une de ses filles, s'était déclaré "très heureux" juste avant son départ.
"Je rentre à la maison aujourd'hui, mais je retourne aussi dans le monde arabe", avait dit le quasi septuagénaire qui rentre au pays deux semaines seulement après la chute de Ben Ali le 14 janvier.
Chef historique du mouvement islamiste tunisien, Rached Ghannouchi , longtemps considéré comme un radical proche des Frères musulmans égyptiens, se pose désormais en "modéré", symbole d'un islam étouffé par un régime de fer qui se cherche une place dans une Tunisie démocratique.
"Je ne suis pas un Khomeiny", "nous avons un parti islamiste et démocratique, très proche de l'AKP turc", répète le fondateur d'Ennahda (Renaissance) à la presse depuis la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui la Tunisie le 14 janvier.
Silhouette fragile, visage allongé cerclé d'une barbe poivre et sel soignée, cet homme de 69 ans a l'air d'un inoffensif homme de lettres. Difficile d'imaginer qu'il fit trembler le pouvoir tunisien au point que le père de l'indépendance, Habib Bourguiba, voulait le voir "pendu au bout d'une corde" et que son successeur l'a contraint à un exil de plus de 20 ans.
Privé d'un rôle actif dans la révolution populaire qui a secoué la Tunisie, le vieux leader fait profil bas, s'appliquant à gommer toute trace de radicalité de son discours. "Il ne rentre pas en triomphant, mais comme simple citoyen", assure un de ses proches au sein d'Ennahda, Houcine Jaziri.
Pour lever toute ambiguïté, il a d'ores et déjà fait savoir qu'il ne briguerait pas la présidence, ne serait pas candidat aux législatives. Né à El Hamma, une petite ville du littoral du sud-est, le 22 juin 1941 dans une famille modeste, Rached Ghannouchi s'oriente vers des études religieuses. Après avoir obtenu un diplôme de théologie à Tunis en 1962, il devient instituteur à Gafsa, ville du bassin minier du centre-ouest du pays où il découvre "la misère de l'intérieur".
"Assoiffé de connaissances" et "fasciné" par le nationalisme arabe selon son entourage, il part poursuivre ses études au Caire puis à Damas où il décroche une licence en philosophie. Après un bref passage en France, il rentre en Tunisie à la fin des années 60 et découvre avec effroi une société lancée sur la voie de la laïcité et où les femmes ont obtenu l'interdiction de la polygamie et de la répudiation.
Il s'illustre dans les années 70 par des prêches enflammés, prônant la destruction des "légions d'Israël" et réclamant l'application stricte de la charia (loi coranique) pour mettre de l'ordre dans une société qu'il juge dépravée.
Avec quelques compagnons de route, il fonde début 1981 le Mouvement de la tendance islamique, qui deviendra Ennahda, dont il est désigné l'émir.
Rached Ghannouchi commence à inquiéter le pouvoir. Accusé de fomenter des troubles, il est condamné une première fois à 11 ans de prison fin 1981 puis aux travaux forcés à perpétuité début 1987.
C'est paradoxalement l'arrivée de Ben Ali au pouvoir, en novembre 1987, qui lui sauve la mise: il est gracié en 1988 et en retour, fait allégeance au nouveau président.
"Il rejette la violence et reconnaît le statut de la femme. Mais cela ne suffit pas. Aux législatives de 1989, on a remporté plus de 17% des voix et on a commencé à être matraqués", raconte Ali Laraidh, un des responsables du mouvement à Tunis arrêté en 1990 et qui a passé 14 ans en prison.
Fin 1989, Rached Ghannouchi quitte la Tunisie pour l'Algérie, puis gagne Londres en 1991. L'année suivante, un tribunal militaire de Tunis le condamne avec d'autres responsables religieux à la prison à vie pour "complot" contre le président.
Son retour à Tunis dimanche est pour le noyau dur du mouvement "le symbole d'une liberté retrouvée", et signifie pour les féministes et les laïcs la nécessité d'une "vigilance" accrue contre "la tentation de l'obscurantisme".
Sofia BOUDERBALA (AFP)
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