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Six ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, le suivi sanitaire interpelle les spécialistes

Six ans après l’accident nucléaire de Fukushima, au Japon, quelles sont les conséquences sanitaires ? Selon Jean-René Jourdain, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les statistiques disponibles soulèvent d'autres interrogations.

Article rédigé par Anne-Laure Barral, franceinfo - Edité par Cécile Mimaut
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un médecin procède, le 13 septembre 2013, à l'examen de la thyroïde d'un enfant à Iwaki. Cette ville, située à une soixantaine de kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima, a servi de refuge à des milliers de sinistrés des zones évacuées.  (DAMIR SAGOLJ / REUTERS)

Le 11 mars 2011, un tremblement de terre de magnitude 9,0 déclenchait un gigantesque tsunami sur la côte nord-est du Japon, causant la mort de 18 500 personnes et la disparition de 2 500 autres. Il provoquait aussi une catastrophe à la centrale nucléaire de Fukushima, où les cœurs de trois des six réacteurs sont entrés en fusion. Des dizaines de milliers de personnes habitant la zone ont dû être déplacées. Six ans plus tard, le gouvernement japonais s'apprête à décréter certaines zones évacuées de nouveau habitables. Mais sait-on vraiment quelles conséquences sanitaires a eu l’accident nucléaire sur les populations exposées à l’époque ? Et quels sont les risques éventuels pour celles qui s’apprêtent à retourner vivre dans la région ?

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Contrairement à la catastrophe de Tchernobyl et l’opacité quasi-totale sur ses conséquences  réelles sur la population, le Japon publie des données extrêmement précises sur le suivi mené auprès des personnes concernées. Les premiers chiffres de ces analyses statistiques tendent à montrer par exemple qu’il y a peu de cas de cancer de la thyroïde chez les enfants liés à l’accident nucléaire de Fukushima. Pourtant, ces données manquent d’interprétation, souligne sur franceinfo Jean-René Jourdain, adjoint à la directrice de la protection de l’homme à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et soulèvent d'autres interrogations.

Franceinfo : La quasi-stabilité du nombre de cas de cancer de la tyroïde chez les enfants de Fukushima suite à l’accident nucléaire mérite selon vous d’être relativisée. Pourquoi ?

René Jourdain : L’université médicale de Fukushima publie des chiffres extrêmement précis sur le suivi  des cancers de la thyroïde chez les enfants. Aujourd’hui, il semblerait qu’il n’y ait pas encore d’augmentation de ces cancers. Par contre, on aimerait une analyse plus fine et plus qualitative de la part de l’université de Fukushima. À titre d’exemple, on note une diminution du taux de participation. On passe de 82% à 71% de taux de participation pour une population qui est quand même extrêmement concernée. Il y a un autre chiffre qui mériterait commentaire. Les cas suspects, pour lesquels on a une suspicion de cancer de la thyroïde, sont opérés ou non opérés. Or, dans la première campagne les trois premières années, on avait près de 90% des enfants qui étaient opérés, et aujourd’hui, on est à un taux de 65%. On s’interroge sur la raison pour laquelle il y a moins d’opérations aujourd’hui. Est-ce que les médecins sont finalement plus prudents en se disant qu’ils se donnent du temps pour opérer ? Est-ce que ce sont les parents qui ne souhaitent pas que les enfants soient opérés ? Est-ce une manière de diminuer les statistiques de diagnostics ? Parce que forcément, quand on n’opère pas, on ne confirme pas le cas de cancer…  On a beaucoup de données quantitatives mais on aimerait avoir plus de commentaires, d’analyses de la part de l’université médicale de Fukushima.

Un compteur Geiger mesure la radioactivité à Namie le 1er mars 2017. Cette ville située à moins de dix kilomètres de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi comptait plus de 20 000 habitants avant son évacuation le 12 mars 2011. (TORU HANAI / REUTERS)

Que révèlent les données sur la dernière campagne 2016-2017 ?

C’est un peu déconcertant. Jusqu’à présent, que ce soit sur la première ou la deuxième campagne de dépistage, on avait des informations extrêmement régulières, tous les trois ou quatre mois. Pour la troisième campagne, qui a démarré au mois de mai 2016, plus de 30 000 enfants ont déjà été examinés et aujourd’hui nous n’avons pas du tout   d’informations sur ce qui a été observé chez ces 30 000 enfants. Est-ce que c’est un nouveau mode de communication de l’université qui souhaite finalement publier des chiffres consolidés à la fin de la campagne pour éviter des interprétations erronées ? On ne sait pas. Quand on regarde les derniers rapports, ils communiquent toujours mais de façon moins exhaustive qu’ils ne l’avaient fait jusqu’à présent. 

Un questionnaire adressé aux femmes enceintes révèle des indicateurs inquiétants selon vous. Lesquels ?

L’université de médecine de Fukushima a envoyé un questionnaire à toutes les femmes qui ont déclaré une grossesse juste avant ou juste après l’accident. Ces femmes ont donné naissance à un enfant qui est âgé de quatre ans aujourd’hui. Et lorsque l’on demande à ces mères comment vont leurs enfants, on s’aperçoit que 25 % des enfants qui sont nés ont été hospitalisés au moins une fois et on n’a pas d’explication sur la raison pour laquelle ces enfants ont été hospitalisés. On sait juste qu’ils ont présenté une maladie ayant nécessité une hospitalisation. Des enfants de moins de quatre ans qui vont souvent voir le pédiatre, ce n’est pas étonnant. Mais des enfants de moins de quatre ans, dont un quart sont hospitalisés, ça paraît beaucoup. On est aussi interpellé par le fait que plus de 60% des mères de famille interrogées disent être toujours inquiètes à propos des éventuelles conséquences pour la santé de leurs enfants. Un quart d’entre elles se disent déprimées, dont 10%, qui sont quand même des femmes jeunes a priori, disent ne pas se sentir en bonne forme. Ce sont quand même des indicateurs qui ne sont pas très positifs.

Des enfants évacués du périmètre de la centrale nucléaire de Fukushima sont soumis à des tests de radioactivité le 13 mars 2011 à Koriyama. (KIM KYUNG HOON / REUTERS)

Disposez-vous d’indicateurs sur les doses auxquelles ont été exposées les personnes évacuées après la catastrophe ?

On a très peu d’informations. Un questionnaire a été envoyé à tous les habitants de la préfecture de Fukushima pour essayer d’évaluer la dose qu’ont reçus ces habitants au moment de l’accident. Mais quand on regarde de plus près les résultats qui sont présentés, on s’aperçoit que les doses n’ont été calculées que pour les personnes qui sont restées dans les quatre mois qui ont suivi l’accident, ce qui exclut d’emblée les personnes qui ont été évacuées. Cela veut dire finalement qu’on n’a pas reconstitué, via ce questionnaire, la dose à laquelle ont été exposées les personnes qui sont susceptibles d’avoir été le plus exposées. Et ça c’est très étonnant. Même si une personne n’est restée qu’une journée dans une zone très contaminée, elle aura reçu une dose plus importante qu’une personne qui est restée quatre mois dans une zone qui n’a pas été évacuée. 

Le gouvernement japonais incite aujourd’hui ces "réfugiés nucléaires" à revenir dans certains villages décontaminés. La zone est-elle sûre pour autant?

Ce qui est clair c’est que les zones qui ont été décontaminée sont les zones qui ont vocation à être habitées. Ce sont les maisons, les routes autour, on a enlevé les couches de macadam, etc… Par contre, le gouvernement japonais n’a absolument pas décontaminé les forêts, et on sait que la région de Fukushima est une zone très agricole avec beaucoup de forêts avec des biotopes qui sont particulièrement sensibles à la radioactivité. Elle se dépose aux pieds des arbres et elle est transférée aux champignons, aux baies sauvages, au gibier qui mange ces baies et ces champignons.

Opération de décontamination aux abords d'une forêt de Tomioka, dans la préfecture de Fukushima, le 24 février 2015. (TORU HANAI / REUTERS)

Certes, il y a eu une décontamination de ces villages, mais il n’en reste pas moins que vivre dans ces régions, c’est ce qu’on a observé à Tchernobyl toujours aujourd’hui, ça reste compliqué dans le sens où il y a des contraintes qui consistent à ne pas aller séjourner longtemps dans la forêt, à ne pas manger les champignons qui poussent dans la forêt, à éviter les baies sauvages, la viande de gibier, etc. Ce n’est pas un retour à la vie normale.

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