Un dissident kazakh dans les mains de la justice française
C’est un scénario à la Hitchcock, un scénario digne de La Main au collet. L’histoire d’un homme riche retiré dans une villa de la Côte d’Azur jusqu’à ce que la police se mette à ses trousses. Dans le rôle du nanti traqué: Moukhtar Abliazov, un opposant kazakh aujourd’hui incarcéré à la prison de Luynes, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
L’histoire commence en 2002, à Astana, la capitale kazakhe. Ancien ministre de l’Energie, Moukhtar Abliazov est emprisonné après avoir pris la tête de Choix démocratique, un parti d’opposition au président Noursoultan Nazarbaïev. Libéré, il devient le patron de la banque BTA, une des plus grandes du Kazakhstan. Mais l’expérience est de courte durée: en 2009, l'établissement financier est nationalisé et déclaré insolvable. Il doit alors fuir le pays, accusé par le régime d’avoir détourné 5 milliards de dollars.
L’exil de Moukhtar Abliazov débute au Royaume-Uni, à Londres où il obtient l’asile politique en 2011. Risquant une peine de prison de 22 mois pour outrage à un magistrat, il quitte le pays l’année suivante pour l’Italie. Mais le 29 mai dernier, les autorités italiennes viennent arrêter le dissident dans sa villa de Rome. Seules sa femme et sa fille de six ans sont présentes : elles sont renvoyées deux jours plus tard au Kazakhstan sans avoir pu déposer un recours contre cette expulsion ni demander l’asile politique comme le prévoient pourtant les lois italiennes et européennes. L’affaire et ses zones d’ombre entraînent la démission de Giuseppe Procaccini, le chef de cabinet du ministre de l’Intérieur.
Me Bruno Rebstock, l'avocat de Moukhtar Abliazov, parle de son client
Lourdes conséquences d'une éventuelle extradition
L'opposant kazakh se réfugie alors en France, sur la Côte d'Azur. Mais le Kazakhstan, la Russie et l’Ukraine ont demandé l’extradition de Moukhtar Abliazov. Seule la requête ukrainienne semble pourtant envisageable. "Il n'y a pas de convention d'extradition entre la France et le Kazakhstan. Avec la Russie, il est possible, en l'espèce, qu'il y ait prescription. Nous examinons donc celle de l'Ukraine, dans laquelle la banque BTA avait aussi des intérêts" explique Solange Legras, avocate générale à la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Pourtant, une extradition vers l’Ukraine pourrait signifier un retour de l’opposant kazakh dans son pays. Dans un rapport publié le 3 juillet 2013, Amnesty International raconte comment les services de sécurité de Russie, d’Ukraine et des pays d’Asie Centrale, dont le Kazakhstan, s’associent pour enlever, faire disparaître, transférer illégalement, emprisonner et torturer des individus. Sur son site, l’ONG de défense des droits de l’homme réagit par ailleurs à l’arrestation de l’opposant kazakh en mettant en garde la France. «Les autorités françaises doivent veiller à ce que Moukhtar Abliazov ne soit pas envoyé dans un pays susceptible de le transférer au Kazakhstan, où il risque d’être victime de torture et d’un procès inique.»
Une extradition vers l'Ukraine, qui agirait donc pour le compte du Kazakhstan, est-elle alors probable ? L’année dernière, la chambre d’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait refusé d’extrader vers la Russie Vitali Arkhangelski, un homme d’affaire spécialisé dans le transport maritime de Saint-Pétersbourg, réfugié à Nice. Les juges aixois avaient alors estimé qu’il existait «de sérieux doutes sur l’équité de la procédure pénale». Ils ajoutaient ne pas avoir la certitude que M.Arkhangelski «ne risque en aucune façon de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas d'extradition.» Dans ce contexte, au regard de la multiplication des rapports sur l'utilisation de la torture au Kazakhastan, la justice française pourrait refuser l'extradition de Moukhtar Abliazov pour les mêmes motifs que dans l'affaire Vitali Arkhangelski.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.