Italie : le féminicide de Giulia Cecchettin choque le pays et bouscule le patriarcat

Article rédigé par Camille Laurent
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
"Pour Giulia Cecchettin et toutes nos sœurs tuées avant elle", peut-on lire sur cette pancarte affichée sur les grilles de l'université de Milan en Italie, le 22 novembre 2023. (PIERO CRUCIATTI / AFP)
La mort de cette étudiante de 22 ans, dont le corps a été retrouvé samedi dernier, au nord de Venise, émeut la péninsule. Son ex-petit ami, soupçonné de l'avoir tuée, est en attente d'extradition après avoir été arrêté en Allemagne au terme d'une semaine de cavale qui a tenu le pays en haleine.

L'Italie sous le choc d'un nouveau féminicide. Celui de Giulia Cecchettin, étudiante de 22 ans, portée disparue pendant une semaine avant d'être retrouvée morte dans un ravin samedi 18 novembre, à 100 kilomètres au nord de Venise. Filippo Turetta, ex-compagnon de la victime, qui avait lui aussi disparu, a finalement été arrêté samedi soir dernier en Allemagne, près de Leipzig. Cet étudiant de 22 ans, camarade de Giulia Cecchettin, est soupçonné de l'avoir kidnappée et tuée. L'enquête autour de la mort de la jeune femme fait la une des médias italiens. Et ce 106e féminicide depuis le début de l'année dans la péninsule, d'après le ministère de l'Intérieur italien, suscite une vague d'indignation qui secoue l'Italie.

Un crime d'une "férocité inouïe"

Samedi dernier, une semaine après sa disparition, Giulia Cecchettin est retrouvée morte dans un ravin près du lac Barcis, à une centaine de kilomètres au nord de Venise. Son corps a reçu 26 coups de couteau, selon le rapport du médecin légiste consulté par le Corriere della Sera.

Filippo Turetta, camarade et ex-petit ami de Giulia Cecchettin, lui aussi porté disparu pendant une semaine, fait l'objet d'un mandat d'arrêt international. Il est interpellé samedi soir dernier par la police allemande. Sa voiture était arrêtée, les phares éteints et à court de carburant, sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute reliant Berlin à Munich, près de Leipzig, à plus de 1 000 kilomètres du lieu du crime.

Lors de son arrestation, le suspect Filippo Turetta déclare aux policiers : "J’ai tué ma petite amie", selon les informations de Corriere della Sera. Un couteau est découvert dans son sac et des taches de sang couvrent ses vêtements et les sièges de sa voiture.

L'extradition de Filippo Turetta a fait l'objet d'un accord, d'après le ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani. En attendant, l'enquête tente de reconstituer la nuit du 11 au 12 novembre derniers, au cours de laquelle Giulia Cecchetin a été tuée, et s'appuie notamment sur les images de vidéosurveillance. Une séquence de 22 minutes d'une "violence et d'une férocité inouïe", selon la juge d’instruction Benedetta Vitolo, en charge de l'enquête.

L'émoi politique

L'ensemble de la classe politique italienne s'émeut de ce nouveau féminicide. Notamment, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, qui réagit à la découverte du corps de Giulia Cecchettin samedi 19 novembre sur X (ex-Twitter) : "Nous avions tous espéré ces derniers jours que Giulia était en vie. Malheureusement, nos plus grandes craintes se sont réalisées. Tuée. Je ressens une tristesse infinie en voyant les photographies souriantes de cette jeune fille et, avec la tristesse, une grande colère."

Dans la foulée du meurtre de l'étudiante, le Sénat italien adopte à l'unanimité mercredi un projet de loi "visant à renforcer les mesures de protection des femmes" qui avait déjà été voté par la chambre basse. La secrétaire du Parti démocrate italien, Elly Schlein, cheffe de file de l'opposition à Giorgia Meloni, souhaite aller plus loin et appelle à l’adoption "d’une loi qui introduit l’éducation au respect dans toutes les écoles" du pays, car "la répression ne suffit pas s’il n’y a pas de prévention, souligne-t-elle. "La culture toxique du patriarcat existe et persiste et c'est une responsabilité collective d'y mettre fin, en particulier pour les hommes", déclare aussi Elly Schlein.

L'écho national et la jeunesse en colère

Dans une lettre ouverte publiée lundi dans le Corriere della Sera, la sœur de Giulia Cecchettin, Elena, refuse l'habituelle minute de silence décrétée mardi par le ministre italien de l’Éducation. Au contraire, elle appelle à "faire du bruit", à "tout brûler", afin de dénoncer "la société patriarcale" qu'elle considère comme responsable dans la mort de sa sœur.

"Les monstres ne sont pas malades, ce sont des enfants sains du patriarcat, de la culture du viol […] Le féminicide est un meurtre d’État parce que l’État ne nous protège pas. Le féminicide n'est pas un crime passionnel, c'est un crime de pouvoir"

Elena, la sœur de Giulia Cecchettin

dans une tribune publiée dans le "Corriere della Sera"

Des lycéens, des étudiants et des mouvements féministes répondent à l'appel de la sœur de la victime et annoncent qu'ils ne participeront pas à l'hommage de mardi. Une partie de la jeunesse transalpine dénonce, elle aussi, la culture du viol et le silence à propos des féminicides en Italie. Plusieurs rassemblements ont eu lieu depuis le week-end dernier, notamment à Padoue, où Giulia Cecchettin et Filippo Turetta étudiaient. La jeune femme devait recevoir son diplôme d'ingénieur biomédical ces jours-ci. Et la mobilisation va se poursuivre, une grande manifestation est prévue à Rome samedi, le 25 novembre, à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

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