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Italie: comment la mafia s’infiltre dans la reconstruction après les séismes
Le séisme de la nuit du 23 au 24 août a fait près de 300 morts, 2.600 déplacés et rasé trois villages. Dans les ruines, des bâtiments récents se sont effondrés. Les mafias, qui seraient intervenues dans leur construction, sont montrées du doigt. Aujourd'hui, certains craignent que ces organisations criminelles ne mettent la main sur les futurs marchés de reconstruction dans la région d'Amatrice.
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«Les risques d’infiltration sont toujours importants. La reconstruction post-tremblement de terre est un morceau juteux pour les organisations criminelles et les intérêts économiques», prévient Franco Roberti, procureur à la Direction nationale anti-mafia, cité par la Reppublica.
Une crainte justifiée tant les mafias ont, par le passé, profité des séismes pour ensuite récolter des marchés de reconstruction. «En 1980, cela a déjà eu lieu, lors du tremblement de terre d’Irpinia (vers Naples). Il y avait eu 3000 morts, et il a été clairement démontré que la mafia avait contribué à construire les bâtiments», relève Clotilde Champeyrache, Maîtresse de conférence à Paris 8 et spécialiste des mafias en Italie, interrogée par Géopolis.
Pourtant, la région du Latium, autour de Rome, n’est pas traditionnellement touchée par les réseaux mafieux. Mais selon Mme Champeyrache, «les mafias du Sud ont des implantations dans tout le pays. Quand elles s’exportent, elle se partagent un territoire, reproduisant les schémas en vigueur dans le Sud.»
Un pied dans l’illégalité, l’autre dans la légalité
Pour ces organisations criminelles, les tremblements de terre sont une aubaine. Le BTP est un secteur dans lequel elles sont historiquement bien implantées, exerçant des activités illégales mais ayant aussi un pied dans des domaines légaux.
«Le BTP intéresse les mafias parce que c’est un secteur d’une fragilité énorme et ça rapporte», affirme la spécialiste.
Pour infiltrer un marché, ces réseaux utilisent des méthodes complexes. Le recours aux prête-noms est généralisé. L’Italie a eu beau tenté de mettre en place des certificats anti-mafia pour identifier des entreprises propres, «cela ne garantit qu’un temps la non-infiltration de ces entreprises. Ces certificats attirent désormais les mafias. Le but est d’en obtenir pour une entreprise et d’en prendre ensuite le contrôle pour bénéficier des marchés publics», éclaircit Clotilde Champeyrache.
Et d’ajouter: «Souvent, une entreprise hors de tout soupçon récolte un marché puis la sous-traite à d’autre entreprises contrôlées par différents clans. Ils se partagent donc les marchés entre eux et chaque clan peut vivre en respectant un territoire. Dans le Sud, on dit que pour la construction des autoroutes, chaque clan a son tronçon.»
Un cercle vicieux
Une question qui ne se limite pas à la reconstruction, puisque ce sont souvent des bâtiments construits par les mafias qui s’écroulent le plus vite. Une question qui s’est une fois de plus posée lors du récent tremblement de terre. «L’hôpital et l’école à Amatrice n’auraient jamais dû s’écrouler. L’école date de 2012. Trois ans avant, on s’était aperçu que l’édifice était à risque. De l’argent a été donné, mais rien ne s’est passé. On a même retrouvé du polystyrène dans les piliers du bâtiment», déplore Mme Champeyrache.
Il s’agit donc bien d’un cercle vicieux : les mafias construisent des immeubles fragiles, qui s’effondrent lors de tremblements de terre. Elles s’infiltrent ensuite lors des reconstructions en n’appliquant pas les normes sismiques aux monuments.
Comment lutter ?
«Il y a toujours de gros risques, mais l’expérience dramatique du tremblement de terre d’Aquila (en 2009, NDLR) nous a donné un modèle important à suivre qui a bien marché. Nous sommes près», proclame Franco Roberti à la Reppublica.
Un vœu pieux tant il a été démontré que l’infiltration de groupes mafieux a eu lieu lors de l’après-séisme. Infiltration rendue plus facile grâce à la corruption de nombreux élus.
Malgré les succès récents des autorités italiennes contre les mafias et la saisie de milliers d’entreprises, ces réseaux criminels agissent toujours et le droit a souvent un temps de retard.
«Dans des situations d’urgence comme pour les tremblements de terre, les gens veulent être vite relogés. Par exemple, quand les entreprises reconstruisent, elles déclarent utiliser du béton solide mais ont recours en fait à du médiocre. Or, contrôler prend du temps», détaille Clothilde Champeyrache.
Elle est d’ailleurs pessimiste quant à ces catastrophes : «On peut malheureusement s’attendre à encore à beaucoup de désastres …»
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