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​Cannes 2015 : quand le cinéma indépendant dépeint le quotidien des Indiens

Gurvinder Singh et Neeraj Ghaywan sont les heureux ambassadeurs du cinéma indien à la 68e edition du Festival de Cannes. La particularité de leurs films présentés à Un Certain regard : leur cinéma se veut au plus près du quotidien de leurs compatriotes.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Gurvinder Singh (à gauche) et Neeraj Ghaywan, les réalisateurs respectifs de «Chauthi Koot» et «Masaan», présentés à Un Certain Regard. Cannes 2015 (© Gaganjit Singh (pour Gurvinder Singh) et Neeraj Ghaywan)

Quand on demande au cinéaste indien Gurvinder Singh, qui signe Chauthi Koot (The Fourth direction) projeté à Un Certain Regard à Cannes, pourquoi il aime raconter la vie des gens ordinaires, il vous répond : «Je suis une personne ordinaire». Son film, qu’il considère «comme un document sur la souffrance humaine», s’intéresse à une famille prise entre deux feux (les rebelles et la police) au moment de la rébellion sikhe dans le Punjab dans les années 80. 

Photo du film «Chauthi Koot» (Photo du Film © The Film Café)


Des Indiens qui parlent des Indiens pourrait être l'une des descriptions de ce cinéma indépendant dont les auteurs débarquent sur la Croisette depuis quelques années. Gangs of Wasseypur d’Anurag Kashyap, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2012, est assez emblématique du phénomène, même s’il s’agit d’une fresque historique qui s'inscrit dans un style particulier.

Ce cinéma indépendant, qui s’intéresse au quotidien et à l’Inde contemporaine, existait déjà dans les années 70-80, mais ces dernières années, il commence à être reconnu sur la scène internationale.

En finir avec «le glamour» de Bollywood
Neeraj Ghaywan, qui réalise Masaan également présenté à Un Certain Regard, s’est formé auprès d’Anurag Kayshap, qui est aujourd’hui l’un producteurs de ce cinéma indépendant. Il le considère d’ailleurs comme son mentor. Dans son film, il évoque les problèmes d’une jeunesse confrontée à une société encore très traditionnaliste. Alors que les mentalités évoluent sans cesse sur le plan social et économique en Inde, «nous vivons aujourd’hui une situation paradoxale : nous sommes encore très ancrés dans nos traditions. Mon film s’inscrit au cœur de ce paradoxe», dit-il.

Masaan revient sur le parcours de quatre jeunes gens dont les amours sont contrariées par les lourdes conventions qui gouvernement la société indienne. Notamment la problématique des castes qui n’est jamais « explicite ». «Personne n’en parle publiquement, mais tout le monde en est conscient», affirme Neeraj Ghaywan. «Les mariages se font sur la base des castes».

Le mariage est une affaire de famille», poursuit le cinéaste qui souligne que des changements s’opèrent, surtout dans les grandes villes comme New Dehli.  Cependant, la société indienne reste intransigeante sur certaines questions. «En Inde, le sexe est en quelque sorte interdit avant le mariage», rappelle Neeraj Ghaywan. «Les gens ne peuvent pas tomber amoureux. Ils doivent s’unir dans le cadre de mariages arrangés.»

Photo du film «Maasan» (Photo du Film © Ketan Mehta)


«Je ne sais pas si c’est une tendance, mais certains cinéastes veulent montrer à quoi ressemble vraiment la société indienne. Nous ne voulons pas la rendre glamour», souligne Neeraj Ghaywan qui s’est appuyé sur un panel de jeunes femmes pour confirmer les traits de caractères progressistes de ses personnages féminins dans Masaan. «En Inde, les films sont liés au week-end. Tout pour le box office.» Et de conclure : «A Bollywood, on veut des danses et des chansons. Personne ne veut voir la vraie vie au cinéma.»

Coproduire pour financer le cinéma indépendant
Gurvinder Singh n’en pense pas moins et estime que sans la coproduction, leurs films pourraient difficilement exister. Chauthi Koot et Masaan ont d’ailleurs des coproducteurs français. Il déplore que la riche Bollywood ne puisse pas investir dans le cinéma indépendant indien.
 
Ces nouveaux cinéastes défendent une vision du cinéma dont les projets ont du mal à trouver des financements. D'autant plus que le public n'est pas toujours au rendez-vous. Gurvinder Singh a une explication : «La vie quotidienne est un combat, il ne veut pas le retrouver sur les écrans.» Les spectateurs veulent s’évader et cela passe par «les stars et des décors à l’étranger» offerts par Bollywood.
 
Gurvinder Singh souligne néanmoins qu’il y a des Indiens, notamment les jeunes, qui souhaitent «voir des films qui ont un fort parti pris artistique». Voir des films différents, c’est aussi le souhait « d’une classe moyenne indienne influencée » par le cinéma international, constate Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs. «Il y a un changement même à Bollywood. Récemment, beaucoup de blockbusters n’ont pas bien marché. Ce sont des histoires plus proches des gens qui ont rencontré du succès », précise  Neeraj Ghaywan  
 
Mais encore faut-il que le public puisse les découvrir dans les salles obscures. «Il y a une audience mais pas de cinémas qui montrent nos films.» En attendant de devenir prophètes en leur pays, Gurvinder Singh et Neeraj Ghaywan ont, grâce à Cannes, commencé à se faire un nom sur la planète cinéma. La Croisette, un argument supplémentaire pour convaincre les producteurs de Bollywood de les suivre dans leur prochaine aventure cinématographique.

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