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Un possible allègement de l'austérité en Europe

Trop vite, trop fort ? L’Europe a-t-elle pris des mesures trop radicales pour tenter de juguler la crise des dettes souveraines dans les pays du sud ? L’amorce de révision des plans imposés au Portugal et en Grèce pourrait le laisser penser.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
A.Merkel et A.Samaras devant le Bundestag. L'Allemagne accordera-t-elle un délai à la Grèce ? (GUIDO BERGMANN / BUNDESREGIERUNG / AFP)

Les malades (Grèce, Portugal…) sont-ils sur le point de mourir guéris comme le craignaient les détracteurs de la politique d’austérité décidée par la troïka (BCE, Commission de Bruxelles et FMI) ? A voir les résultats économiques affichés par ses pays, mais aussi par les autres pays touchés par des plans d’austérité, on pourrait le croire. On est loin, très loin, en effet, des résultats promis par les promoteurs de cette politique.

Le peu gauchiste FMI reconnaît d'ailleurs que «dans les récents programmes mis en place dans les pays européens, la coordination entre le Fonds monétaire international et l'Union européenne (...) a été essentielle mais complexe». En langage très diplomatique, le rapport précise que les «contraintes institutionnelles» au sein de l'Union européenne ont parfois limité le champ des alernatives politiques qui «auraient autrement pu être envisagées», comme la restructuration de la dette.

En clair, le FMI laisse entendre que la potion a été un peu violente. Résultat, le débat sur un allègement des plans de rigueur imposés à ses pays émerge en Europe. Après l’acceptation de déficits plus importants que prévus au Portugal, le débat se focalise actuellement sur la Grèce. Les créanciers internationaux devraient prendre une décision définitive concernant le programme de financement révisé de la Grèce au cours de la seconde moitié du mois d'octobre

Un délai pour la Grèce ?

Manifestation anti austérité à Athènes (LOUISA GOULIAMAKI / AFP)

Croissance en berne (le gouvernement grec table désormais sur une récession pire que prévu (autour de 7% pour 2012 contre un objectif de départ de -4,5%, après une chute de 6,9% en 2011), explosion du chômage, déficits accrus, progression de la dette… Il n’y a pas que le FMI qui s’interroge. Même les financiers qui ont prété à la Grèce se posent des questions. «L'accent a trop été mis sur l'austérité à court terme et pas assez sur les mesures de moyen terme pour renforcer la compétitivité», a estimé Charles Dallara, directeur général de l'Institut de la finance internationale (Ifi), qui représente les détenteurs d'obligations grecques du secteur privé.

Même pessimisme dans la presse allemande. «Jusqu'à maintenant, les créanciers partaient du principe que la Grèce aurait retrouvé un niveau soutenable d'endettement d'ici 2020. Ce but n'est plus atteignable», écrit le quotidien allemand Handelsblatt, citant des sources proches de la «troïka» (Union européenne, FMI et BCE).

Pour le Premier ministre grec Antonis Samaras, qui va affronter une grève général le 26 septembre, Athènes  a besoin d'obtenir de ses créanciers un délai supplémentaire de deux ans pour respecter ses objectifs budgétaires. M.Samaras souligne que son pays est déterminé à adopter de nouvelles mesures d'austérité pour un montant de 11,7 milliards d'euros, mais que celles-ci devraient s'appliquer sur quatre ans au lieu des deux ans prévus.
      
En proposant deux ans de plus, Athènes vise à calmer la colère de sa population et à faire monter les enchères en Europe. La Grèce pourra disposer "de quelques semaines" de plus, a déjà concédé la ministre autrichienne des Finances Maria Fekter. L'idée d'accorder à Athènes deux ou trois années de plus pour respecter ses engagements de déficits est clairement écartée, a-t-elle précisé. «On lui donnera  quelques semaines de plus», a-t-elle dit. «Il n'est question que d'un court délai.»

Les Etats européens n’ont pas tous la même position sur l’ampleur de ce délai. On sait que Paris et Berlin ne sont peut être pas d'accord entre eux... Prudent, Pierre Moscovici est resté très flou lors de son passage à Athènes. La Grèce «doit faire preuve de détermination, que les efforts demandés soient faits jusqu'au bout. Mais une fois qu'ils seront faits, et j'ai bon espoir qu'ils le soient, il faudra que l'Union européenne soit aux côtés de la Grèce», a-t-il affirmé.

En attendant que les Européens se décident, la récession grecque se creuse. «La récession est profonde. Voilà cinq ans que nous y sommes et, à ce jour, elle est de l'ordre de 20%. Elle devrait atteindre 25% d'ici 2014», a reconnu Athènes.

Le Portugal a obtenu un délai mais amplifie l'austérité

Manifestation d'enseignants au Portugal (PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP)
 
L'Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international ont accepté d'assouplir les objectifs budgétaires fixés au Portugal, sous assistance financière. Une façon de reconnaître que Lisbonne ne peut pas atteindre les résultats que lui fixait la «troïka».

Le Portugal peut dorénavant afficher un déficit budgétaire de 5% du PIB cette année, de 4,5% en 2013 et de 2,5% en 2014. Auparavant, l'objectif était de 4,5% cette année et de 3% en 2013. Ce déficit s'explique par la récession qui frappe le pays. Le recul du PIB du pays devrait atteindre 3% en 2012.

La détérioration a été causée par l'aggravation de la crise de la dette dans la zone euro, y compris en Espagne (qui mène son plan d’austérité sans passer, pour l’instant, par la tutelle de la «troïka») qui est le principal débouché pour les exportations portugaises, a souligné Lisbonne.

Cet échec n’a pas empêché le gouvernement d’annoncer de nouvelles mesures… d’austérité (augmentation des cotisations sociales), provoquant un malaise au sein même de sa majorité et dans la population. Les citoyens ont manifesté en grand nombre contre les mesures déjà prises (et notamment une modification du droit du travail).

Une austérité dénoncée par des économistes

Cette politique de rigueur et de réduction budgétaire est vivement critiquée par de nombreux économistes. Notamment par l'Américain  Joseph Stiglitz qui explique son incompréhension face aux plans d'austérité: «C’est pour moi un véritable mystère. Nous avons expérimenté de telles politiques d’austérité des dizaines de fois et, à chaque fois, cela a été un échec. En 1929, cela a été le cas avec le président des États-Unis, Herbert Hoover, qui a transformé l’effondrement de la Bourse en une grande dépression. Plus récemment, le FMI a fait pareil dans le Sud-Est asiatique et en Argentine, et cela a été un désastre. La plupart des pays européens qui ont engagé des politiques d’austérité sont maintenant en récession ; l'Espagne et la Grèce sont en dépression. Compte tenu de toutes ces expériences, la possibilité pour les politiques d’austérité de réussir paraît minime. La plus forte probabilité est que l’économie cesse de croître, les recettes fiscales cessent d’augmenter, les dépenses sociales et le chômage continuent de croître et que, au final, les améliorations budgétaires espérées ne soient pas au rendez-vous», affirmait le prix Nobel 2001.

"Si nous ne regardons que la consolidation budgétaire sans tenir compte du ralentissement économique, nous risquons de nous enfoncer dans la récession", a d'ailleurs reconnu le ministre belge des finances, Steven Vanackere.

Le centre de réflexion économique Bruegel préconise de reporter d'un an les objectifs de retour des déficits en deçà de 3% du PIB pour tous les pays de la zone euro. Pour ces économistes, il est difficile pour un pays de demander un tel report de manière unilatérale : il serait automatiquement sanctionné par les marchés. «Il est donc préférable d'alléger la pression collectivement pour contrer le ralentissement économique», justifie l'économiste Jean-Pisani-Ferry dans "Le Monde". La solution ne déplairait pas à Paris, qui a promis, à marche forcée, de respecter cet engagement...quitte à plomber un peu plus la croissance.

Doutes sur l'Europe
Faut-il s'étonner, dans ce contexte, de voir partout en Europe monter des signes d'euroscepticisme. Vingt ans après la ratification, de justesse, du traité européen de Maastricht, les Français voteraient dans leur majorité (64%) contre ce texte qui prévoyait notamment la monnaie unique, selon un sondage Ifop paru lundi dans Le Figaro.       

Alors que le 20 septembre 1992, le traité avait été adopté à 51% contre 49%, il ne serait aujourd'hui soutenu que par 36% des personnes interrogées. Même la très européenne Allemagne n'échappe pas au phénomène. Près des deux tiers des Allemands pensent que la situation de leur pays serait meilleure s'il n'était pas dans la zone euro, selon un autre sondage.

Du travail en perspective pour "vendre" aux Européens le "Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire", connu sous son petit nom de TSCG.

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