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La Grèce a la première marine au monde

En pleine crise, la Grèce possède une rare richesse, sa marine. La flotte grecque est en effet la première du monde en terme de capacité de transport (TPL). Un atout non négligeable pour ce pays dont le PIB a été divisé de près de 30% par les plans venus de Bruxelles. De quoi rendre encore plus visibles les privilèges fiscaux d’un secteur soumis à une très forte concurrence internationale.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La Grèce possède la première marine du monde. Ici, un ferry de la compagnie Blue Star dans la mer Egée. (pierre magnan)

En août 2014, les armateurs grecs comptaient quelque 4.149 navires (de plus de 1.000 gt, mesure de la capacité de transport). Cela représenterait 16% de la flotte mondiale et place la Grèce devant le Japon et la Chine. Cette flotte est entre les mains d'une armada de compagnies maritimes, plus de 700, dont beaucoup ne comptent qu'un ou deux bateaux. Cette armada est dominée par une quarantaine de gros armateurs. Treize armateurs grecs figurent parmi les 100 personnalités qui comptent dans le transport maritime mondial. (un site grec raconte (en anglais) les légendes de la marine hellénique qui en général débutent dans une île...).

Cette dispersion apparente est en fait une force, nous explique Paul Touret, directeur de l’Institut supérieur d'économie maritime. La force de cette flotte «réside justement dans ce modèle éclaté qui est capable de répondre à la diversité infinie du monde du transport maritime», dit-il. Cela n'empêche pas les armateurs grecs de placer une partie de leur flotte sous pavillon de complaisance (20% de la flotte est restée sous pavillon grec). 

Vraquiers, pétroliers (23% de la flotte mondiale des tankers), méthaniers: la flotte grecque est présente sur une grande gamme de secteurs même si de grands acteurs du secteur comme MSC, Maersk ou CGA-CGM ne sont pas grecs (mais ces derniers louent des navires à des armateurs grecs).

«Un armateur grec, c’est un chauffeur de taxi de la mer, qui transporte n’importe quoi, n’importe où, pour le compte de n’importe qui», aime à dire l’un des plus puissants d’entre eux, Nikos Vernikos.

Aristotle Onassis (1906-75) (à droite),en octobre 1970 à Saint Nazaire devant son nouveau supertanker de 220,000  tonnes   (AFP)

Le temps des Liberty ship
Pays jeune, la Grèce a néanmoins une longue tradition maritime, du fait de sa géographie, de la longueur de ses côtes, de son nombre d'îles. Après la Seconde guerre mondiale, la marine grecque prend un nouveau départ. Relancée par l’achat de Liberty Ship au lendemain de la guerre,  symbolisée par des armateurs très people comme Niarchos ou Onassis, la marine grecque s’est mondialement imposée à la fin des années 60. 

La flotte grecque sait s’adapter. Elle profite du boom économique de l’après guerre et de la multiplication des échanges. Elle sait aussi surfer sur les crises. La guerre de Corée est en effet gourmande en matériel et donc nécessite des transports…

C’est l’époque où ces armateurs inventent les super pétroliers. Le Grecs ont toujours su s’adapter, «se spécialiser grâce à leur dynamisme et à leur opportunisme», explique Paul Touret. Une adaptabilité qui ne s'est pas démenti au fil des années. «Les armateurs grecs sont les grands bénéficiaires de l'élan maritime de la première décennie du siècle portés par une croissance globale des demandes de fret. Les taux très rémunérateurs et l’attractivité du secteur pour les financiers ont permis aux armateurs grecs de renforcer leur flotte et leur leadership», précise Paul Tourret.

Méthanier grec immatriculé au Pirée (Maran)

Le soutien de l'Etat
Cette activité a toujours bénéficié du soutien de l'Etat. Au point que le statut des armateurs est protégé par l’article 107 de la Constitution portant sur «l’imposition des navires, l’établissement d’une taxe pour le développement de la marine marchande, l’installation d’entreprises maritimes étrangères et la réglementation de matières connexes».

Dès 1957,  Athènes adopte la taxe au tonnage. Résultat: les armateurs ne sont imposés que sur la base de leur capacité de transport, et non sur leurs bénéfices. Comme si un supermarché était taxé sur sa surface et non sur son chiffre d’affaires ou ses bénéfices. «Le shipping n’est pas un revenu pour l’Etat mais pour l’économie grecque », aime à répéter Paul Tourret pour expliquer que l’Etat grec a toujours tout fait pour aider ce secteur. Une pratique, précise-t-il, qui s’est généralisée dans tous les pays du monde, dans ce secteur à très forte concurrence.

De quoi énerver dans un pays en quasi faillite où les inégalités se creusent et où la question fiscale est omniprésente. «En pratique, les armateurs bénéficient d’une totale exonération fiscale, exception faite d’une redevance symbolique, basée sur le tonnage du navire (1 $ le tonneau ou unité de jauge), indépendamment des bénéfices d’exploitation. C’est aussi pourquoi le montant total de l’imposition sur le revenu en 2013 était de 59 millions, environ autant que les recettes d’impôts des personnels marins (57 millions), alors que les profits des compagnies maritimes sont estimés à 12 milliards d'euros!! Globalement, les bénéfices cumulés des armateurs grecs, selon l’agence Bloomberg, atteignent pour ces dix dernières années 175 milliards € », selon Yannis Tolios, économiste membre de Syriza

Nicos Vernicos, président de la Chambre de commerce international de son pays, et un des rares armateurs à s’exprimer facilement dans les médias se défend: «Nous versons davantage d’impôts (au prorata du tonnage) à l’Etat grec, que les transporteurs français n’acquittent à l’Etat français. Contrairement à certains de nos confrères européens, non seulement nous, compagnies maritimes grecques, payons des taxes à notre pays d’origine, mais nous ne percevons pas de subventions de l’Etat comme cela peut être le cas en France ou en Allemagne, sur des montants qui peuvent atteindre des milliards d’euros», disait cet armateur qui bénéficie d’une bonne image dans son pays, allant jusqu’à critiquer la politique d’austérité imposée à son pays.

Ferry devant l'île de Santorin (Bluestar)

Une part importante du PIB grec
Selon une étude (Boston Consulting Group, 2014), le transport océanique représente 6.5 Mds € d’apport pour la Grèce (11, 3 Mds € en ajoutant les effets indirects). Le transport maritime pèse dans le PIB (5 à7%) et apporte 15 Mds€/an de revenus extérieurs (2e derrière le tourisme). Berf un poids lourd de l’économie du pays. 

En terme d'emplois, la marine grecque a vu ses effectifs fondre. Elle emploierait aujourd'hui (hors secteur domestique quelque 17.000 salariés, dont 43% de Grecs. Un chiffre en constant recul. Mais avec les emplois induits, ce secteur représente tout de même 3,5% des emplois du pays. 

Résultat, la marine grecque semble avoir des beaux jours devant elle. Le ministre en charge de la fiscalité du gouvernement Tsipras le reconnaissait lui même : «si nous augmentons trop l’imposition de la marine marchande, déjà élevée, que se passera-t-il? Elle perdra en compétitivité. Et des armateurs iront s’installer dans un autre Etat».

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