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Joëlle Fontaine: en Grèce, la gauche «n'a jamais été vraiment étouffée»

Alors que le gouvernement grec de coalition élabore un énième plan d'austérité en collaboration avec la Troïka, retour sur l'histoire de la Grèce à la fin de la Seconde guerre mondiale. Une histoire qui, selon l'historienne Joëlle Fontaine, explique une partie du climat politique qui règne aujourd'hui à Athènes.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Décembre 1944 à Athènes : opération de l'armée britannique contre les partisans communistes. (AFP)

Joëlle Fontaine «fréquente très régulièrement la Grèce depuis... 1962», est diplômée de Sciences-Po et agrégée d'histoire. Elle a travaillé sur l'histoire récente de la Grèce et a publié De la Résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946 aux éditions La Fabrique. «Ces années 40 sont souvent évoquées dans la presse, et même sur les murs d'Athènes, parfois», explique-t-elle.

Vous avez écrit un livre sur l'écrasement de la Résistance grecque, en décembre 1944, un épisode mal connu en France. Pèse-t-il encore sur la vie politique grecque ?
La Résistance grecque, qui fut particulièrement massive, a été écrasée par une intervention militaire britannique, deux mois à peine après la libération du pays. Churchill n'a pas hésité à faire bombarder Athènes par ses tanks et ses avions. L'EAM, le Front de Libération qui réunissait communistes et socialistes, avait en effet, comme le CNR (Conseil national de la Résistance) en France, un programme de profondes réformes politiques et sociales qui aurait remis en question l'ordre d'avant-guerre (une dictature appuyée sur une monarchie étrangère et très impopulaire, NDLR). Et c'est sur cet ordre que s'appuyait la domination britannique sur ce petit pays, position stratégique de choix en Méditerranée orientale.

Cette intervention a empêché pendant trente ans toute expression du mouvement populaire et toute réforme de l'Etat et de la société grecques, en maintenant au pouvoir les ex-collaborateurs et des «élites» associées aux intérêts britanniques, puis américains. Ce n'est qu'en 1974 que la Grèce est sortie du fascisme ! Entre-temps, les démocrates avaient subi de telles persécutions qu'ils avaient  tenté de reprendre les armes, puis avaient dû s'exiler par milliers. Si l'on ajoute à cela l'émigration massive des années 50 et 60, voulue par les gouvernements pour «soulager» la pression sociale et politique, on peut dire que la Grèce a ainsi perdu ses éléments les plus dynamiques, qui lui ont fait défaut lorsque la situation s'est normalisée après 1974.

Manolis Glezos, héros de la resistance, avec Alexis Tsipras, leader de l'opposition de gauche (AFP/LOUISA GOULIAMAKI)

Y a-t-il une culture forte de contestation dans ce pays, qui pourrait venir de cette période et qui se manifesterait aujourd'hui dans la Grèce en crise plus fortement que dans d'autres pays d'Europe ? Si oui, comment, par rapport à l'Allemagne notamment ?
En Grèce, le mouvement de gauche n'a jamais été vraiment étouffé, malgré la répression terrible qui s'est abattu sur lui jusqu'en 1974.

Ainsi, dès 1951, deux ans après la défaite de la guerre civile, est créée la Gauche démocratique unie, l'EDA, qui progresse rapidement dans la population et même aux élections, pourtant frauduleuses... Devant les tentatives du roi pour imposer les gouvernements de son choix, d'immenses manifestations ont lieu en 1965 et 1966, avec la participation massive des Jeunesses Lambrakis (du nom du député assassiné en 1963, évoqué dans le film Z de Costa Gavras, NDLR). C'est pour briser ce nouvel élan de la population que les colonels prennent le pouvoir en 1967.

Les gouvernements grecs sont conscients de cette tradition de contestation, qui cherche aujourd'hui un nouveau souffle. C'est l'une des raisons pour lesquelles ils ont tant de difficultés à présenter à la «troïka» des plans lui donnant satisfaction.

Par rapport à l'Allemagne, il est bon de rappeler, pour comprendre les réactions de la presse grecque unanime, que les nazis se sont livrés en Grèce à des atrocités sans nom, qu'ils ont laissé le pays en ruines et n'ont jamais payé leurs dettes de guerre.

La vie politique grecque est marquée par l'alternance des deux grands partis quasi-familiaux (socialiste et conservateur). L'actualité a montré l'émergence d'une gauche radicale, sorte de Front de gauche. S'agit-il d'une poussée éphémère ou profonde et durable ?
Ce qui ressort des deux dernières élections, c'est qu'une majorité de Grecs ne croit plus à cette alternance : les deux partis ne recueillent désormais qu'environ 40% des suffrages, malgré les pressions inadmissibles exercées sur la population en juin dernier pour la faire voter dans le «bon» sens.

Mais la gauche radicale n'est pas unie. Outre Syriza, qui frôle les 27% aux dernières élections, il y a un Parti communiste qui a perdu la moitié de ses voix au profit de ce dernier en juin 2012r (4,5% au lieu de 8,5%) mais garde une capacité considérable de mobilisation à travers le syndicat PAME. Il milite pour la sortie de l'euro et même de l'UE, alors que Syriza – qui est une coalition de diverses sensibilités – veut rester dans ce cadre, tout en refusant les «diktats» de la troïka. Et la menace du parti néo-nazi Aube dorée se précise... 

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