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Bulgarie : effets transfrontaliers de la crise grecque

Confrontées dans leur propre pays à une longue crise économique et à la politique d'austérité imposée par les créanciers européens et internationaux, certaines entreprises grecques cherchent un abri en Bulgarie. La politique fiscale y est moins contraignante et le climat est meilleur pour l'investissement.
Article rédigé par Danara Ismetova
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'entrepreneur grec Panagiotis Douvos dans son épicerie à Sofia (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Depuis les débuts de la crise, les sièges de 11 000 entreprises grecques, selon l'AFP, auraient été transférés en Bulgarie, pays de la péninsule balkanique frontalier de la Grèce. Le nombre ne fait pas l'unanimité: un économiste bulgare Guéorgui Kiriakov, quant à lui, parle de 14 000 entreprises délocalisées. D'après lui, dans l'actuel contexte économique en Grèce, il y a « une réelle possibilité » de voir les capitaux grecs se diriger vers la Bulgarie. Ce qui se solderait par un investissement de près de 5 milliards d'euros dans l'économie bulgare en six ans, selon les informations données à l'AFP par Krassen Stantchev, le directeur de l'Institut d'économie de marché de Sofia.
 
Et il ne s'agirait pas seulement des milieux d'affaires : « il en va de même pour les clients des banques grecques qui transfèrent leur argent dans les banques bulgares, » précise Guéorgui Kiriakov dans une interview au site bulgare Bnr.bg. Depuis 2009, entre 50 et 60 mille personnes physiques auraient ouvert des comptes bancaires en Bulgarie, affirme Krassen Stantchev. Pourquoi? Dans le but d'échapper aux mesures de contrôle bancaire dans leur pays.
 
En effet, le climat pour les affaires serait plus propice en Bulgarie qu'en Grèce. Le coût de la vie et celui de l'investissement demeurent plus bas et le taux d'imposition des sociétés (fixé par Sofia à 10%) est moins important qu'en Grèce (29%).
 
Economie libre
Mais le phénomène n'est pas récent. Déjà dans les années 2000, une vague de grandes entreprises helléniques est arrivée en Bulgarie. Elles étaient plus d'une centaine et agissaient surtout dans les secteurs bancaire, métallurgique, commercial, de la distribution de pétrole, du BTP et de l'immobilier. Parmi elles - le groupe grec des produits hygiéniques «Septona». Le patron de la filiale bulgare Ioannis Politis fait valoir à l'AFP qu'en cinq ans le chiffre d'affaires de sa société a augmenté  de 30%.
 
Aujourd'hui, ce ne sont plus seulement des grandes sociétés, mais aussi des PME. En Bulgarie, elles se réfugient contre la déprime économique et les impôts lourds et instables. Panagiotis Douvos, un entrepreneur grec, est toujours content d'avoir ouvert en 2011 une épicerie à Sofia. « La Bulgarie m'a permis de survivre, ce qui est difficile en Grèce de nos jours, affirme-t-il. En Grèce, il est quasiment impossible de gérer une entreprise, une boîte peut fermer en moins de trois mois parce que les taxes et les taux bancaires sont trop élevés ».
 
Selon l'édition 2015 du classement «Index of Economic Freedom» effectué par the Wall Street Journal et le think tank The Heritage Foundation, la Bulgarie est le 55ème pays du monde en termes de liberté économique. D'après le commentaire accompagnant la page dédiée à la Bulgarie, « en cinq ans l'économie bulgare a progressé de deux points grâce à un environnement plus ouvert aux investissements, à l'amélioration des perspectives financières, aux perceptions diminuées de la corruption et à une inflation basse ».
 
Pourtant, ce pays balkanique (membre de l'Union européenne depuis 2007) n'arrive toujours pas à se débarrasser de l'étiquette du pays le plus pauvre des vingt-huit. Sofia applique le régime d'austérité, depuis la crise financière de 1996. Alors même que la dette publique de la Bulgarie est aujourd'hui une des plus faibles de l'Union (29% du PIB), les Bulgares ont le sentiment de vivre constamment sous l'œil stricte des institutions et de se faire critiquer pour un moindre échec.

Le revenu annuel moyen en Bulgarie demeure 3,5 fois inférieur à celui en Grèce, pointe l'agence d'information russe Sputniknews se référant au site bulgare iNews. En Grèce, un revenu équivalent se trouverait sous le seuil de pauvreté. 
 
Une explication, peut-être, à une compassion difficile vis-à-vis de la Grèce en pleine crise. Le premier-ministre bulgare Boïko Borissov déclarait, le 25 juin dernier : « Arrêtons de perdre du temps sur la Grèce, cela fait des années que cela dure. Et tout ce que j’entends est qu’ils veulent plus d’argent mais qu’ils rechignent à faire des réformes. Qu’ils fassent leurs réformes ou qu’ils en assument les conséquences ! »
 
Euro, zone dangereuse
D'après l'économiste Guéorgui Kiriakov, il faut rester méfiant quant aux effets de la crise grecque sur l'économie bulgare. Il évoquait au site bulgare Bnr.bg un possible retour dans leur pays des Bulgares travaillant en Grèce: « Et je parle de plus de 100 000 personnes, si on en croit la statistique. Et s’ils ne se font pas embaucher rapidement chez nous, c’est le budget des allocations chômage qui va en prendre un sérieux coup, quand on sait que les salaires en Grèce sont supérieurs à ceux payés en Bulgarie» .
 
Les effets des délocalisations des entreprises et du transfert de l'argent sont difficiles à anticiper. En revanche, la crise grecque et le risque de la voir sortir de la zone euro pourraient avoir un autre impact sur la Bulgarie : la dissuader encore plus d'abandonner le lev au profit de l'euro. En juin, le premier-ministre a estimé qu'il n'y avait aucune raison d'accélérer le processus d'entrée, si les membres de la zone euro manquent de discipline. 

L'adhésion à l'euro est un dilemme de longue date pour les Bulgares, dont une partie croit que leur économie n'y est pas encore prête. Selon l'économiste écologiste français Jérôme Gleizes, craignant voir flamber le coût de la vie, «entrer dans la zone euro sans aide externe serait suicidaire» pour ce pays balkanique.
 

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