Gaza, le traumatisme des enfants de la guerre
Une salle de classe avec quelques ordinateurs. Sur le mur : un tableau blanc et un poster de Winnie l’Ourson. Nous sommes à Zeitun, dans une école des Nations Unies, transformée depuis trois semaines en refuge pour une centaine de familles qui ont fui leurs maisons sous les bombes.
Awaida encadre 1 groupe de onze enfants. Awaida n’est pas une institutrice, c’est une psychologue formée par l’ONU. Elle leur propose une séance de relaxation.
"Venez les chéris. Bienvenue. On se met tous en rond. On va prendre un peu de temps. On va discuter. Mettez-vous à l’aise. Fermez les yeux. On respire profondément comme si on respirait un parfum agréable. Et maintenant, imaginez que vous êtes ailleurs, dans un bel endroit tranquille", ordonne la jeune femme d’une voix agréable.
Ces enfants ont entre 7 et 13 ans et sont déjà en train de vivre leur troisième guerre. Quand Awaida leur donne la parole un à un pour qu’ils se libèrent après ce moment de méditation, leurs propos ne sont pas ceux de petites filles et petits garçons de leur âge.
Des enfants qui vivent leur troisième guerre
"Plein d’enfants de ma ville, Shadjaya sont morts. Ça me rend très triste. Je suis angoissé aussi parce que même ici, on continue de nous viser. Un obus est tombé tout près ce matin. La nuit, je me réveille tout le temps à cause des bruits, je reste éveillé souvent. Je suis fatigué du coup", raconte Bajhat douze ans.
"Moi quand je ferme les yeux, je rêve que je peux rentrer chez nous à la maison parce que les chars sont partis. Ce que je souhaite le plus fort, c’est que bientôt, on soit en paix et que ce soit pour toujours" , explique Asma, coquette fillette de 9 ans.
Un autre enfant dit qu’il rêve, lui, de voir Jérusalem. Son voisin ajoute amusé : "Moi, j’aimerais partir sur une autre planète, loin… " . Un dernier confie qu’il souhaiterait se réveiller un jour et qu’il n’y ait plus de murs autour de Gaza.
Des dessins de missiles et de destructions
Awaida distribue des feuilles aux enfants. Ils doivent dessiner ce qui occupe leurs pensées. Et le résultat est déconcertant. Absolument tous dessinent des chars et des missiles dans le ciel. Beaucoup représentent des soldats et des explosions.
"J’ai dessiné un immeuble qui est effondré. Ça s’est vraiment passé. C’était dans ma rue. Ça m’a fait beaucoup de peine
Là, en bas, ce monsieur que j’ai dessiné, c’est un monsieur blessé. Et il est bloqué sous la maison cassée. Cet homme, je l’ai vu et maintenant, j’ai tout le temps son image dans ma tête" , explique** Moayad en nous montrant son dessin.
Awaida aide aussi les enfants à gérer le stress des bruits de la guerre. Pour cela, elle leur distribue des ballons de baudruches. Et justement à ce moment là…une explosion survient. Les enfants sursautent puis aussitôt rigolent. C’est sans doute nerveux. Et sans transition, ils passent à l’exercice des ballons.
"Ce sont des ballons verts…. La couleur de l’espoir ! Vous allez gonflez ces ballons les enfants…. Au maximum…. Toute votre colère tout votre chagrin…. Vous le mettez dans votre ballon en soufflant…. Et on ne s’arrête pas… ; à force ils vont exploser. Et vous verrez ça n’est pas grave… ; ce sont juste des ballons. Pas d’inquiétude", prévient la jeune psychologue. Les enfants jouent le jeu et s’amusent même malgré la frayeur que cela crée à certains.
"Maux d'estomacs et vomissements"
Awaida ne cesse jamais de sourire aux enfants. Elle veut faire de cette séance, la cinquième qu’elle organise ici, une douce parenthèse :
"Ces exercices les libèrent un peu. Ce sont des enfants à bout ! Regardez leurs cernes. Et puis beaucoup deviennent agressifs avec leurs copains. D’autres ont des douleurs d’estomac ou même vomissent. Il leur faudra beaucoup de temps pour oublier les choses terribles qu’ils ont vues. La plupart par exemple associeront à vie l’odeur de brûlé au danger à la guerre", commente Awaida.
Imane, maman de 5 enfants venue chercher à la sortie de la séance la plus jeune de ses filles reconnaît qu’elle trouve que ses enfants ont beaucoup changé depuis trois semaines.
"Je leur répète tout le temps : 'N’ayez pas peur !' Je dois souvent les serrer dans mes bras. C’est bien tout ce que je peux faire ! Ce qui est le plus dur c’est de leur cacher mes propres peurs par exemple quand les bruits d’explosions se rapprochent. Les plus petits me collent en permanence. Et puis ma grande fille de 18 ans, elle, elle est traumatisée. Depuis les premières frappes, elle reste assise dans un coin, ne bouge plus, ne mange plus, ne nous parle presque plus", témoigne cette mère inquiète.
La jeune fille prostrée viendra un peu plus tard pour une séance individuelle avec la psychologue. Les enfants eux aussi reverront Awaida ces prochains. Cette nuit encore, leur sommeil a été haché par le bruit de bombes.
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