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Soupçons de corruption au Parlement européen : que prévoient les règles actuelles entourant le lobbying, critiquées par des ONG et des élus ?

Le scandale qui secoue l'institution met en lumière le manque de règles et de sanctions entourant l'intervention d'Etats non membres, selon des spécialistes interrogés par franceinfo. Des ONG proposent la création d'une nouvelle autorité.
Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, s'exprime devant les eurodéputés le 12 décembre 2022 à Strasbourg (Bas-Rhin). (ABDESSLAM MIRDASS / HANS LUCAS / AFP)

L'affaire jette une lumière crue sur le rôle des lobbys au Parlement européen. L'institution européenne est sous le choc, après l'incarcération pour corruption de la vice-présidente grecque Eva Kaili et de trois autres personnes dimanche 11 décembre. Deux jours plus tôt, elles avaient été interpellées dans le cadre d'une enquête visant d'importants versements d'argent qu'aurait effectués le Qatar pour influencer la politique européenne.

La présidente du Parlement, Roberta Metsola, a depuis promis une réforme de la façon dont les lobbys peuvent agir et "plus de transparence". Devant les eurodéputés réunis en session plénière, lundi à Strasbourg (Bas-Rhin), la Maltaise a dénoncé "une attaque contre la démocratie européenne" et promis de travailler "avec les lanceurs d'alertes pour savoir comment rendre nos systèmes [de défense] plus forts"

Moins d'obligations pour les députés

La place des lobbys dans la politique européenne est régulièrement décriée, d'autant que les "groupes d'intérêts" sont très présents à Bruxelles. L'Union européenne (UE) qualifie de lobbying "toutes les activités menées dans le but d'influencer les politiques et les processus de décision des instruments de l'Union", rappelle la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. La pratique est de fait intégrée au processus de décision européen et près de 12 500 personnes sont enregistrées auprès des institutions européennes, d'après les chiffres officiels

Face aux critiques devant le poids des lobbys, les institutions se sont dotées de règles encadrant ces pratiques au fil des dernières décennies. Les autorités européennes ont mis en place un registre de transparence sur lequel sont invités à s'inscrire "les représentants de groupes d'intérêts". "Dans le cadre de ce code de conduite, les lobbyistes qui veulent accéder au Parlement doivent s'engager à révéler leur identité, mais aussi à ne pas corrompre les députés européens", explique à franceinfo Cécile Robert, professeure à Sciences Po Lyon et spécialiste des institutions et politiques européennes.

Des règles encadrent également les pratiques "du personnel administratif et politiques du Parlement". "Ils ont interdiction explicite de recevoir des paiements et récompenses en l'échange d'un travail politique et doivent se mettre de côté en cas de risque de conflit d'intérêts", détaille la chercheuse. Par exemple, une eurodéputée qui a des parts dans une entreprise de métallurgie ne peut prendre part à un vote concernant cette industrie. Les élus européens doivent également déclarer l'origine de leurs soutiens financiers.

Sur la question de la transparence, si les commissaires européens doivent spécifier, via leur emploi du temps, les rendez-vous avec des représentants de groupes d'influence, ce n'est pas le cas de tous les députés européens. "Seuls les rapporteurs et les présidents de commissions ont l'obligation de le faire", précise Cécile Robert. Certains groupes politiques le font volontairement, mais ça n'est pas le cas de tous les élus."

"Ce système est complètement passif"

Mais selon plusieurs élus et ONG, ces règles sont loin d'être suffisantes, surtout en l'absence d'encadrement des agissements des Etats non membres de l'UE. Seuls quatre "entités, bureaux ou réseaux établis par des pays tiers" sont ainsi répertoriées dans le registre de transparence européen. "Toute discussion entre un Etat tiers et des eurodéputés est considérée comme un échange diplomatique", et n'a donc pas l'obligation d'être déclarée, précise à franceinfo Vitor Teixeira, spécialiste de l'intégrité politique de l'UE à l'ONG Transparency international. Ce qui "accroît le risque de conflit d'intérêts et de corruption".

L'eurodéputé socialiste Raphaël Glucksmann va dans le même sens. "Depuis que je préside la commission spéciale contre les ingérences étrangères, je ne cesse de prévenir que la corruption et la pénétration d’intérêts étrangers touchent tous les pays européens et tous les partis politiques", a-t-il déploré sur Twitter.

Les failles ne s'arrêtent pas là. Au-delà de la question de l'influence d'un Etat étranger sur les politiques européens, se pose aussi celle du contrôle des eurodéputés. "Actuellement, c'est le Comité consultatif sur la conduite des membres, composé d'eurodéputés, qui enquête sur les écarts. Il ne peut le faire qu'à la demande de la présidente du Parlement et ne peut donner qu'une simple recommandation", explique Vitor Teixeira. Ce système est complètement passif." La possibilité, pour les députés européens, d'avoir une activité annexe, sous certaines conditions, est également très critiquée.

Mieux protéger les lanceurs d'alerte

Comment réformer le système ? "D'abord, les gouvernements non européens devraient avoir à s'enregistrer sur le registre de transparence", suggère Vitor Teixeira. Transparency International réclame également dans un communiqué (article en anglais) la mise en place d'une nouvelle entité indépendante qui remplacerait le Comité consultatif. Emily O'Reilly, la médiatrice européenne, partage cette position. Dans un entretien au média américain Politico (article en anglais), elle dit souhaiter que cette entité ait le pouvoir "d'investigation et de sanctions". La proposition est d'ailleurs reprise par plusieurs eurodéputés, comme l'écologiste Yannick Jadot.

"En plus de cette autorité, il faudrait que l'inscription au registre de transparence soit obligatoire et que les règles soient plus strictes sur la question du conflit d'intérêts", suggère Cécile Robert. En plus "d'un cadre plus contraignant", "des moyens supplémentaires pour faire respecter les règles" sont nécessaires, complète la spécialiste, tout comme "une remise en question de la place du lobbying au Parlement européen". Vitor Teixeira réclame également l'amélioration de la protection "des lanceurs d'alerte", "bien moindre au Parlement, comparé aux Etats membres".

Reste à voir si le message sera entendu. Roberta Metsola a promis des réformes du fonctionnement du Parlement, sans en préciser la teneur. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a quant à elle proposé lundi qu'un comité d'éthique soit mis en place "pour toutes les institutions européennes", sur le modèle de celui qui existe à la Commission, rapporte Euronews (article en anglais). La proposition, sur la table depuis trois ans, est accueillie froidement car jugée peu ambitieuse. "On risque de se diriger vers quelque chose qui n'a pas de mordant, qui attendra passivement des signalements", s'alarme ainsi Emily O'Reilly.

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