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Requiem pour une huître

On trouve des huîtres partout dans le monde, dans des sites abrités – bassin, étangs, lagons –, là où l’eau est assez oxygénée et salée. Mais un méchant virus décime les précieux mollusques, qui pourraient déserter, à terme, les tables de fêtes. Focus sur les difficultés du marché ostréicole.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Des Bouzigues, pêchées dans l'étang de Thau, dans l'Hérault.  (AFP PHOTO PASCAL GUYOT)

En 2006, les amateurs en mangeaient quelque 4,7 millions de tonnes dans le monde, selon Cultures Marines. Premiers consommateurs et producteurs, les Chinois qui s’approprient 80% du marché mondial, avec 3,7 millions de tonnes produites. Suivent ensuite la Corée du Sud (241.000 tonnes produites), le Japon (210.000 tonnes), les Etats-Unis (129.000) et, bonne 5e, la France (105.000).

Le marché hexagonal, le premier en Europe, représente 90% de la production européenne. Il est très lié aux saisons, la moitié de la consommation annuelle ayant lieu durant les fêtes de fin d’année (Rungis en vend trois fois plus en décembre qu’un mois normal). Les sites ostréicoles sont nombreux en France (Normandie, Bretagne, Méditerranée, Bassin d’Arcachon, de Marennes-Oléron, étang de Thau, de Leucate…).
 
La filière se retrouve près d'Arcachon
Un premier Mondial de l'huître a vu le jour fin novembre 2012 à Gujan-Mestras, en Gironde. Il a mis en présence quelque 370 acteurs mondiaux de la filière – producteurs, scientifiques, experts de la commercialisation… venus de vingt-cinq pays, dont la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la Chine, la Corée, le Japon, les Etats-Unis, le Canada et le Mexique.
 

Tous craignent pour la survie du secteur de l’huître creuse, laminé par le fort taux de mortalité des naissains, notamment en France, en Espagne, au Portugal, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Aucun des pays producteur n’y échappe.
 
En cause, un herpès virus
Si l'acidification des océans et l'insuffisance de l'oxygène dans certaines zones, voire le réchauffement climatique, ont des effets négatifs sur la santé de ces coquillages (à l’état sauvage ou en culture), selon l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), la surmortalité des creuses de type Crassostrea Gigas (90% des huîtres creuses exploitées dans le monde) est principalement due à la présence d’un herpès virus, l’OsHV-1.
 
Il semblerait que les souches du virus mortel en cause, qui a muté depuis 2008, soient différentes selon les pays. L’huître plate (10% de la production française) n’est pas impactée par le phénomène.

Une hécatombe depuis 2008
Les ostréiculteurs traditionnels, dont les huîtres naissent en mer, se demandent si les triploïdes introduites notamment en France par l'Ifremer dans les années 90 n'auraient pas conduit pas à un affaiblissement du capital immunitaire des huîtres. Voire même si ces triploïdes ne sont pas à l'origine de la mutation du virus. Ces huîtres dites des «quatre saisons» sont des mutantes rendues stériles par manipulation du nombre de leurs chromosomes. Elles arrivent à maturité en deux ans au lieu de trois dans le cas des diploïdes, mollusques non-trafiqués.
 
En 2011, dans l’Hexagone, le taux de mortalité a atteint 73% des larves issues de captages naturels et 43% de celles nées en écloseries. «Entre 1995 et 2007, les taux de mortalité sont restés relativement stables au niveau national, et situés aux alentours de 15%», selon l'Ifremer, mais «2008 a montré un accroissement brutal et depuis, le taux reste élevé (...) atteignant 63% en moyenne nationale en 2011.»
 

Naissains : tout le littoral français est touché par un virus mortel. (AFP PHOTO PASCAL GUYOT)

Dans les années 70, une épizootie avait failli voir disparaître les portugaises, alors remplacées par des Gigas, venues de Sendaï, au Japon, plus résistantes. Ce sont elles qui sont touchées aujourd’hui. Elles pourraient être de nouveau remplacées par une nouvelle souche japonaise en provenance de l’archipel ou du Brésil. A condition toutefois qu’elles sachent résister au virus.
 
Dans ces mêmes années 70, l'Ostrea Edulis, nom scientifique de l’huître plate, alors la plus répandue sur le littoral avait été ravagée par deux maladies parasitaires, la bonamiose et la marteiliose. Revenue depuis sur les étals, la plate (comme la Belon de Bretagne) n’a jamais retrouvé sa production de l’époque : 30.000 tonnes par an contre 1.700 tonnes en 2012, dont 1.400 en Bretagne.
 
Les prix impactés
Comme il faut de deux à trois ans pour qu'une huître parvienne à maturité, les ostréiculteurs doivent aujourd’hui faire face à une pénurie apparue sur le marché en 2010 et qui devrait s'accélérer, selon l’Ifremer.
 
D’un point de vue économique, 950 entreprises emploient 17.800 salariés en France. A cause de la surmortalité, les producteurs ont compensé les pertes en remontant les prix (+30% depuis 2008). Un phénomène que la chute prévue de la production 2012 à 80.000 tonnes pourrait amplifier (+10 à 15% prévus en 2012).
 
Alors, à l’instar de Guy de Maupassant, qui décrit avec gourmandise dans Bel Ami les «petites oreilles enfermées en coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés», mangez des huîtres avant qu’il n’y en ait plus !


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