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Piketty s'engage pour une Europe plus démocratique

Alors que l'Europe connaît un véritable désamour dans les sondages et que les Européennes devraient confirmer le rejet des institutions et des politiques européennes, des économistes et des intellectuels, comme l'économiste star Thomas Piketty, proposent des réformes pour relancer l'Union européenne.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Thomas Piketty a signé un manifeste sur l'Europe avec des économistes et des universitaires. (LEON NEAL / AFP)

A quelques jours des Européennes, le manifeste de l’économiste Thomas Piketty en faveur d’une «union politique de l’euro» interroge les partisans de l’Europe et propose des pistes de réformes de l’UE. Pour les signataires de ce manifeste, «les institutions européennes actuelles sont dysfonctionnelles, et doivent être repensées. L'enjeu central est simple: il faut permettre à la démocratie et la puissance publique de reprendre la main.»

 
«Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, et donc de renoncer à l’arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs. Cet entre-deux est la pire des situations», note le manifeste proposé par des économistes (Thomas Piketty, Xavier Timbeau, Julia Cagé, ou Daniel Cohen), des universitaires (Pierre Rosanvallon, Laurence Tubiana) ou des journalistes (Guillaume Duval, Jean Quatremer).

Le manifeste est né d'un constat d'échec d'une certaine Europe. «On ne peut pas faire fonctionner une monnaie unique comme ça. On a besoin d'un minimum d'union budgétaire et fiscale et pour cela d'un minimum d'union politique, démocratique, explique Thomas Piketty. Cela exige non pas de faire le deuil de l'Europe à 28, mais d'accepter qu'il y ait, de façon plus ou moins durable, deux architectures politiques, démocratiques en Europe.»

Aujourd'hui, le texte compte plusieurs milliers de signataires et a été publié dans sept langues.

Un parlement de la zone euro...
Dans cet appel très critique sur le fonctionnement de la zone euro et les politiques engagées, les signataires, qui souhaitent voir la zone euro se doter d’un budget «alimenté par un impôt européen», estiment que la zone euro doit se doter d’un parlement. Il «faut instituer une Chambre parlementaire», estiment-ils. Pour eux, cette chambre doit être constituée «d’une partie des députés des parlements nationaux (par exemple, 30 députés français issus de l’Assemblée nationale, 40 députés allemands issus du Bundestag, 30 députés italiens... en fonction du poids démographique de chaque pays, suivant un principe simple: un citoyen une voix).»
 
«Dans ce schéma, l’Union européenne comporterait deux chambres : le Parlement européen actuel, élu directement par les citoyens des 28 pays, et la Chambre européenne, représentant les Etats au travers de leurs parlements nationaux. La Chambre européenne ne concernerait dans un premier temps que les pays de la zone euro souhaitant aller vers davantage d’union politique, fiscale et budgétaire. Mais elle aurait vocation à accueillir tous les pays de l’UE acceptant d’aller dans cette voie. Un ministre des Finances de la zone euro et à terme un véritable gouvernement européen seraient responsables devant la Chambre européenne.» 

Aujourd'hui, le Parlement européen n'est pas spécialement adapté aux décisions touchant spécifiquement à la zone euro. Et les parlements nationaux ne sont consultés que pour ratifier des traités ou des décisions entraînant des dépenses nouvelles, sans avoir vraiment de rôle de contrôle. C'est le conseil des ministres européens qui a la charge de représenter les Etats. D'où cette idée qui semble se développer que l'Europe est technocratique et peu démocratique.
 
Thomas Piketty, qui intervenait à un colloque le 21 mai à l’Assemblée nationale sur ce thème, a souligné que «le conseil européen ne sera jamais une chambre parlementaire». 
 
Claude Bartolone avait réuni des élus et des économistes sur le thème: «Pour une europe plus démocratique». Un thème rêvé pour le socialiste, président de l’Assemblée nationale, qui se prive rarement de critiquer le fonctionnement de l’Europe. Lors de ce colloque, trois visions se sont opposées. Deux en faveur de la création d’un parlement de la zone euro et une autre, plutôt défendue par des officiels socialistes, en faveur du statut quo actuel.

...ou le conseil des ministres ?
Outre les partisans du «manifeste» Piketty, les membres du groupe Eiffel, un think tank pluraliste, défendent l’idée d’une représentation au niveau de la zone euro. Mais pour eux, cette assemblée de la Communauté de l’euro pourra être composée de députés siégeant également au Parlement européen.

Deux solutions pour une même idée... pas forcement partagée par tous les socialistes. Approche très différente sur cette question entre un Claude Bartolone (auteur d'un petit livre L'Urgence européenne, favorable à l’idée d’un parlementarisme à l’échelle de la zone euro) qui estime que «l’Europe peine à se faire aimer» et une Elisabeth Guigou (Présidente de la commisson des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale) qui s’est montrée beaucoup plus positive sur la construction européenne et beaucoup plus «sceptique» sur l’idée d’une chambre de la zone euro.
 
Même retenue chez Pierre Moscovici qui, lui, défend le conseil des ministres (européens) comme représentant des Etats plutôt que la création d’un parlement de la zone euro.

L'ancien ministre de l'Economie du gouvernement Ayrault est en revanche en faveur du renforcement de l’exécutif de la zone euro, proposant que le poste de président de l’Eurogroupe soit également le commissaire européen aux Affaires économiques. Un poste taillé sur mesure pour celui qui n’est plus ministre de l’Economie et qui vise ouvertement un poste de commissaire européen?

Pour Thomas Piketty, qui vient de connaître un succès planétaire avec son livre Capital et une tournée triomphale aux Etats-Unis, «il est possible de faire aimer l'Europe. Une Europe synonyme de justice fiscale, sociale et pas seulement basée sur la concurrence». Il n'est pas sûr que les Européennes aillent dans ce sens.

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