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Serbie : les migrants dans une impasse glaciale aux portes de l’Europe

La ville de Belgrade, en Serbie, va-t-elle devenir un nouveau Calais aux portes de l’Europe ? Ce qui devait n’être qu’un lieu de transit se transforme en zone d’attente pour des réfugiés de plus en plus nombreux, dans des conditions hivernales éprouvantes.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Dans un entrepôt désaffecté de Belgarde, les migrants brûlent ce qu'ils peuvent pour tenter de se réchauffer (CARE)

La ville de Belgrade, en Serbie, va-t-elle devenir un nouveau Calais aux portes de l’Europe ? Depuis plusieurs mois, les migrants qui tentent de rejoindre les pays d’Europe de l’ouest par la route des Balkans, se heurtent à des frontières hermétiques, ainsi que l'a constaté franceinfo dimanche 5 février. Ce qui devait n’être qu’un pays de transit se transforme en zone d’attente pour des réfugiés de plus en plus nombreux. Ils ont fait le voyage depuis l’Afghanistan, la Syrie ou l’Irak, et aujourd’hui ils luttent pour ne pas mourir de froid.

Des conditions hivernales épouvantables

A Belgrade, dans un gigantesque entrepôt abandonné en centre-ville, glacial et ouvert aux quatre vents, plus de 1 000 migrants dorment à même le sol, enroulés dans les couvertures grises des associations humanitaires. Les ordures s’accumulent, il n’y a pas de toilettes.

L'entrepôt où vivent plus d'un millier de migrants se situe en centre-ville de Belgrade. (CARE)

Une épaisse fumée brûle la gorge et pique les yeux : celle des feux de camp autour desquels les hommes tentent de se réchauffer. Ahmad a 20 ans et il lutte contre le froid depuis trois mois.

Les feux de camp provoquent une fumée permanente dans l'entrepôt. (RADIO FRANCE / ISABELLE LABEYRIE)

Pour se réchauffer, on brûle du bois, et tout ce qu’on trouve. C’est très toxique. Mais si on ne fait pas de feu, c’est le froid qui nous tue.

Ahmad, migrant à Belgrade

Ahmad sait que la fumée est très toxique, mais il n'a pas le choix, expliquant que la semaine dernière, il faisait -15°C degrés la nuit à Belgrade.

La forteresse européenne imprenable

Dans sa vie d’avant, Ahmad était traducteur pour l’armée américaine. Il a fui les menaces de mort des talibans et veut rejoindre l’Autriche, où vit une partie de la famille. Mais comme les autres, il se heurte aux murailles infranchissables de la forteresse européenne. La Croatie et la Roumanie ont fermé leurs portes et la Hongrie ne laisse plus passer que dix personnes par jour, contre 150 personnes, il y a encore quelques semaines.

Belgrade et Adasevci en Serbie (GOOGLE MAPS / FRANCEINFO)

De peur de se voir refouler en Macédoine, toujours plus loin de son objectif, Ahmad n’a pas voulu se faire enregistrer par les autorités serbes. Et comme il n’a pas les moyens de payer les 3 000 euros demandés par les passeurs, il a essayé tout seul. A quatre reprises déjà, il a tenté d’entrer en clandestin dans l’Union européenne. Il a réussi, une fois, mais il assure que les policiers croates l’ont directement renvoyé en Serbie, après l’avoir copieusement tabassé. "Je ne sais pas si les Européens nous considèrent vraiment comme des êtres humains", s'interroge le jeune homme.

Partout sur les murs de l'entrepôt, des appels à l'aide. (CARE)

"On ne peut pas condamner tout un pays ou toute une religion pour quelques terroristes. On mérite qu’on nous donne notre chance, celle de vivre la même vie que vous", ajoute Ahmad.

Un petit garçon né en Serbie

Depuis la fermeture de la route des Balkans, le nombre de migrants bloqués dans l’impasse serbe augmente de manière continue. Ils sont presque 9 000 aujourd’hui. Les autorités avaient fixé le seuil maximum à 6 000. Mais la Serbie, très marquée par les réfugiés de la guerre des Balkans, et par ailleurs en pleine négociation d’adhésion à l’Union européenne, tient à afficher sa bonne volonté. Le gouvernement a donc ouvert une dizaine de centres d’accueil à travers le pays. 

A Adaševci, à l'ouest de Belgrade, 1 700 personnes s’entassent dans un ancien motel et sous les immenses tentes installées autour du bâtiment. La moitié des migrants accueillis sont des enfants. Dans l’une des chambres, aux murs blancs et nus, un ancien pharmacien afghan de Kaboul, Sharif, est entouré de sept membres de sa famille. Le petit dernier, un fils, est né sur le sol serbe en novembre dernier. Cela fait six mois que Sharif et les siens attendent l’autorisation de passer la frontière. "On ne sait pas quand ce sera. Mais à cause de la guerre, on ne peut pas revenir en arrière et rentrer chez nous. On ne peut pas non plus entrer en Europe." Tant que Sharif n'a pas de nouvelles, il attend.

Une centaine de personnes sont hébergées sous chacune des cinq tentes du centre d'Adaševci. (CARE)

Un ancien motel, transformé en centre d'accueil à Adaševci, à l'ouest de Belgrade. (RADIO FRANCE / ISABELLE LABEYRIE)

Un départ d'Afghanistan il y a "un an et un mois" 

Le paradoxe, c’est que les migrants n’ont aucune envie de s’installer en Serbie. En 2016, ils étaient 574 à avoir fait une demande d’asile dans le pays, 19 seulement à l’avoir obtenue. La plupart rêvent d’Autriche et d’Allemagne, les plus motivés peuvent d’ailleurs suivre des cours d’allemand dans les centres. Nasser, visage concentré au-dessus de son cahier, est un jeune élève assidu.

Cela fait trois mois et 20 jours que je suis ici et ça fait un an, un mois et 25 jours qu’on est partis d’Afghanistan.

Nasser, 13 ans

A 13 ans, Nasser a traversé son pays, puis l’Iran, la Turquie, la mer Méditerranée sur un canot pneumatique, la Grèce, la Macédoine et la Serbie. L’adolescent n’a pas abandonné son rêve : gagner l’Allemagne et y devenir programmateur informatique.

Nasser, un jeune Afghan de 13 ans, assidu en cours d'allemand (RADIO FRANCE / ISABELLE LABEYRIE)

Une économie défavorable en Serbie

Plus le provisoire se prolonge, plus les difficultés s’accumulent. Sumka Bucan dirige le bureau régional de l'association humanitaire CARE : "Si l’on compare avec la Bulgarie ou les autres pays qui nous entourent, la Serbie est un pays sûr pour les migrants. Mais nous sommes encore dans une économie de transition." Le responsable local de l'ONG explique que le pays est confronté à un niveau de vie très bas et un chômage élevé. "Même les Serbes et les habitants des Balkans cherchent à partir en Europe de l’ouest pour trouver du travail et cela rend les choses plus difficile", ajoute Sumka Bucan.

Un manque crucial d'aide financière

Quand les délais s’allongent, les financements, eux aussi, ont besoin de rallonges. "Avec la restriction des passages en Hongrie, le délai d’attente des familles en Serbie est brutalement passé d'un à deux ans", explique Bruno Rotival, qui dirige le bureau humanitaire de l’Union européenne dans les Balkans. "L'Union européenne fait des efforts importants, mais il faut toujours plus."

S'il y a eu beaucoup d'argent en 2015, aujourd'hui les flux se sont taris. Quand le gouvernement serbe a demandé 40 millions d'euros d'aide en décembre dernier pour les migrants, seule l'Union européenne et la Corée du Sud ont accepté de verser de l'argent. 

>> Depuis l'été 2015, dans les Balkans, l'ONG Care est venu en aide à 230 000 migrants à qui elle a distribué nourriture, produits d'hygiène ou vêtements. Care a aussi construit, pour eux, des toilettes et des douches et dispensé des cours de langues. L’ONG demande aux pays européens d’agir en urgence.

 

Serbie : les migrants dans une impasse glaciale aux portes de l’Europe - un reportage d'Isabelle Labeyrie

Distribution de chaussures dans un centre CARE (ISABELLE LABEYRIE / RADIO FRANCE)

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