Naufrage de migrants : France Fraternités dénonce la "totale hypocrisie" des Etats membres de l'Union européenne
Après le naufrage au large de la Grèce d'un bateau de pêche qui transportait des migrants, Pierre Henry, le président de France Fraternités rappelle sur franceinfo, jeudi 15 juin, l'urgence d'une coopération en Méditerranée entre les ONG et les organisations étatiques afin de sauver des vies.
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franceinfo : Près de 80 corps ont été retrouvés après le naufrage au large de la Grèce. C'est une tragédie sans fin ?
Pierre Henry : Depuis dix ans, il y a eu plus de 1 000 morts en Méditerranée et c'est un véritable marronnier. En réalité, les naufrages n'ont cessé de se reproduire. En avril 2015, au large de la Sicile, il y a eu 700 morts. François Hollande était alors président et avait déclaré : "ll faut renforcer le nombre de bateaux et de survols dans le cadre de l'opération Triton et faire une lutte plus efficace contre les trafiquants". Nous sommes huit ans plus tard et rien ne s'est véritablement passé. Plus exactement, tout s'est considérablement durci. Un rapport a été publié par le journal Der Spiegel l'année dernière et accusait l'ancienne direction de Frontex, l'agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes, d'avoir eu connaissance des renvois illégaux de migrants en Grèce et d'avoir même cofinancé des refoulements. Nous sommes en pleine hypocrisie.
Frontex déclare que les migrants ont refusé de l'aide. Quelle est votre réaction ?
Il faut une enquête internationale indépendante pour savoir véritablement ce qui s'est passé. Ce bateau a été repéré depuis plusieurs jours. À partir du moment où ce bateau est surchargé, la question, c'est celle d'un port sûr de débarquement. Or, cette question du port sûr de débarquement où les migrants et les réfugiés vont pouvoir protéger leur vie et faire valoir leurs droits fondamentaux, est un élément de polémique incessant depuis près de dix ans. En fait, depuis près de dix ans, les États membres de l'Union européenne ont réduit considérablement la surveillance et les moyens de sauvetage en mer. Cette question est permanente et récurrente. C'est là-dessus qu'il faut travailler.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a posé la question des voies d'accès légales pour les migrants en Europe. Est-ce un changement d'orientation ?
Gérald Darmanin reprend une proposition qui est formulée par l'ensemble des ONG intervenant sur ce sujet depuis près de dix ans. Il pose la question, évidemment, des voies d'accès légales à l'asile en Grande-Bretagne, qui n'existent pas. La question se pose évidemment dans toute l'Union européenne. Elle se pose dans la relation avec l'Italie, avec Malte, avec l'Espagne ; cela paraît évident. Ce n'est pas comme si on ne le savait pas, depuis dix ans. En réalité, nous sommes aujourd'hui dans un surplace qui est dramatique et qui engendre des morts. Je le rappelle, ce sont des morts documentés. Lorsque je parle de 1 000 morts depuis dix ans en Méditerranée, ce sont les chiffres que nous savons, mais c'est probablement beaucoup plus.
"L'Union européenne a, d'une certaine manière, délégué aux organisations non-gouvernementales le fait d'aller sauver en mer".
Pierre Henry, président de France Fraternitésà franceinfo
Je veux insister sur la coopération qui me paraît nécessaire en Méditerranée entre les ONG et les organisations étatiques. C'est absurde que l'Italie, la Grèce et Malte aient déclenché des enquêtes administratives et pénales à l'encontre des ONG qui ne font que sauver des vies. C'est une activité des Etats qui dure depuis 2016.
Marine Le Pen a accusé jeudi sur franceinfo les ONG de "complicité" avec les passeurs. Comment réagissez-vous ?
C'est une horreur et une abomination. Jamais les ONG ne vont chercher les migrants, comme je l'entends souvent. Elles font du sauvetage en mer. Cela n'induit pas le traitement qui sera réservé aux personnes qui ont été mises à l'abri, à savoir : "est-ce qu'ils resteront sur notre territoire ou pas ?" Ce genre de propos de Marine Le Pen est absolument inqualifiable. Heureusement qu'il y a des ONG comme SOS Méditerranée pour sauver des vies en danger dans cette mer qui est devenue un immense cimetière. Quand je vois qu'il y a trois jours de deuil national en Grèce, je veux croire à une prise de conscience des autorités grecques, mais franchement, nous sommes face à une totale hypocrisie. Il faut un changement de braquet dans la politique des États membres de l'Union européenne sur une question qui est très difficile et dont se sont emparés les populistes de toute l'Europe. C'est là-dessus qu'il faut travailler, sans jamais oublier les valeurs fondatrices de l'Union européenne.
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