La crise des migrants et la mort d'Aylan Kurdi : l'hypocrisie des tabloïds anglais
Le "Sun" et le "Daily Mail" affichent jeudi, en une, la photo d'un enfant syrien mort dans un naufrage. Mais ils n'ont pas toujours fait preuve de compassion...
Elle ne transformera peut-être pas la politique européenne, ni l'opinion française. Mais la photo du petit Syrien Aylan Kurdi, 3 ans, mort sur une plage de Turquie, a mis une gifle aux tabloïds britanniques. Jeudi 3 septembre, l'enfant fait la une de la presse européenne, y compris du Sun et du Daily Mail. Les internautes dénoncent l'hypocrisie de ces deux quotidiens, toujours prompts à porter des idées anti-immigration, glissant régulièrement vers le racisme, mais prêts à surfer sur l'émotion suscitée par cette photographie.
Les réfugiés comparés à des "cafards" dans le "Sun"
Dès décembre 2013, le Sun demandait au Premier ministre britannique, David Cameron, de "tracer une ligne rouge" pour "stopper l'immigration". Plus récemment, en avril, Katie Hopkins, chroniqueuse connue pour ses outrances, écrivait dans le même quotidien : "Ne vous trompez pas, ces immigrants sont comme des cafards". Une chronique xénophobe publiée deux jours après le naufrage de 400 personnes au large de la Syrie. "Ils peuvent ressembler un peu à l’Ethiopie de Bob Geldof en 1984 [référence aux concerts humanitaires Live Aid], mais ils sont fabriqués pour survivre à une bombe nucléaire", poursuivait-elle. "Je n’en ai rien à faire. Montrez-moi les images de cercueils, montrez-moi les corps flottants dans l’eau, jouez du violon et montrez des personnes affamées et tristes. Je n’en ai toujours rien à faire", écrivait encore cette commentatrice trash, dans un article "si haineux qu'il ferait pâlir Hitler", dénonçait alors The Independent.
Jeudi matin, le Sun a retourné sa veste. Sur la photo du garde-côte turc portant l'enfant, à côté de celle d'un nourrisson, lui aussi réfugié, né dans une gare hongroise, le journal écrit : "C'est la vie et la mort." Sur un ton solennel, dans ses pages, le Sun "exhorte David Cameron à aider les innocents qui luttent entre la vie et la mort". Le journal estime que la Grande-Bretagne a raison de repousser les migrants qui tentent d'entrer sur le territoire par Calais, mais se rappelle que le pays "a toujours été fier d'accueillir les gens désespérés et il n'y a pas de raison de reculer, si nous sommes certains qu'ils ont fui pour leur vie".
Tomorrow's front page: Mr Cameron, deal with the biggest crisis facing Europe since WW2 http://t.co/AVYx3x4pBU pic.twitter.com/CtwjldJkIA
— The Sun (@TheSun) 2 Septembre 2015
Le "Daily Mail" diabolise régulièrement les migrants
De son côté, le Daily Mail, deuxième journal le plus lu du pays, a aussi mis en une cette "toute petite victime d'une catastrophe humaine". Pourtant, le tabloïd mène depuis plusieurs mois une virulente campagne anti-immigration, appelant à "envoyer l'armée" à Calais, dénonçant "la nuée [de migrants] dans nos rues" et le coût pour le pays. En juin, il estimait (lien en anglais) aussi que "la seule manière de gérer la crise [était] d'empêcher les bateaux de quitter la Libye, par n'importe quel moyen".
Depuis fin août, une pétition circule d'ailleurs pour réclamer qu'une tribune soit accordée à un migrant de Calais, "pour montrer les deux visions de l'histoire, pour une fois". Il a fallu cette photographie pour que le journal s'intéresse aux victimes des naufrages en Méditerranée et relaie le témoignage de la sœur d'Abdullah Kurdi, le père de Aylan et Galip, morts tous les deux avec leur mère Rehan.
6 jours entre ces deux unes. Le même journal, le Daily Mail, droit dans son ignominie pic.twitter.com/r5omDx3iZY
— JD Beauvallet (@JDBeauvallet) 3 Septembre 2015
Kevin Maguire, rédacteur en chef adjoint du Daily Mirror, autre tabloïd, n'a pas manqué de souligner l'obscénité de ces revirements. Sur Twitter, il se dit "désolé de ne pas applaudir les journaux qui, pendant des années, ont diabolisé les réfugiés et les migrants mais qui utilisent maintenant la photo d’un enfant mort pour montrer leur soi-disant préoccupation". Son journal, qui a accompagné l'une de ces photos du mot "insupportable", s'est toujours prononcé pour une Grande-Bretagne plus accueillante.
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