Mineurs étrangers : quand les départements se les renvoient !
Pour être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, les jeunes migrants doivent être reconnus mineurs par l’administration. Problème : quelle que soit la méthode, déterminer la date de naissance d’un sans papier est compliqué. 16 ou 18 ans ? L’âge d’une même personne peut varier d’un département à l’autre. Au risque de perdre ses droits.
Quel est l’âge de Moussa ? Un jeune guinéen que nous avons rencontré. 16 ans comme l’affirme le département d’Indre et Loire ou 18 ans selon la Sarthe voisine ?
Moussa est arrivé en France il y a un an. Depuis, c’est le parcours du combattant. En quelques semaines, d’un département à l’autre, il a vieilli de deux ans et a perdu son logement : “Je n'ai pas compris pourquoi, juste ils m’ont dit qu’ils ne sont pas d’accord” Pas d’accord sur son âge.
Moussa est mineur
Pourtant l’enjeu est de taille, s’il est reconnu mineur, il doit être nourri et logé par l’aide sociale à l’enfance. Alors pour faire valoir ses droits, avec l’aide d’associations, Moussa obtient les conseils de Jérôme Damiens-Cerf, avocat. Pour le jeune homme, tout avait pourtant bien commencé. Arrivé à Tours il y a un an, il a dû passer un entretien pour confirmer son âge, comme tous les jeunes migrants. La procédure est la même à travers la France : deux heures de questions posées par les représentants du département sur son histoire, ses conditions d’entrée en France, son projet... Conclusion : Moussa est mineur.
Le procureur valide la décision et déclare même Moussa en danger. Il ordonne son placement dans la Sarthe. Mais ce département décide de réévaluer son âge. "L'évaluateur me disait je suis un menteur, je ne suis pas un mineur. Il était en colère, je ne comprenais pas pourquoi il me traitait sévèrement”, se souvient Moussa. En 30 minutes seulement, sans faire appel à aucun test osseux, le département de la Sarthe s’est fait une conviction : il n'est pas mineur.
Moussa n’est plus mineur
Dans son rapport d'évaluation le département de la Sarthe écrit : “Sa stature, son apparence physique et les discordances relevées tendent à remettre en question la minorité déclarée”.
“Ca veut dire qu’on se moque totalement de la décision d’un juge et on la contourne avec la technique de la réevaluation pour essayer d’y échapper. Ce qui est insupportable en démocratie et dans un état de droit”, s'indigne l'avocat du jeune homme.
Alors pourquoi la Sarthe a-t-elle refusé de prendre en charge Moussa alors qu’un magistrat l’a déclaré mineur en danger ? “Moi j’ai une responsabilité, c’est que des jeunes qui sont suivis au titre de la protection de l’enfance sont au minimum mineur.", explique Bertrand Mesme, directeur de l'enfance au département de la Sarthe.
Le département confirme remettre en cause la décision du magistrat : "on remet en doute, très clairement."
La Cour d’appel d’Orléans vient de donner tort à la Sarthe. Selon la Justice, Moussa est bien mineur ! Il est aujourd’hui à l’abri à Tours, dans un foyer.
Depuis janvier, 12 559 mineurs étrangers ont été pris en charge. Répartis dans toute la France par le ministère de la Justice pour éviter une saturation à Paris. Combien d’entre eux ont vu leur âge réévalué par le département d’accueil ? Il n’existe aucun chiffre, mais les cas se multiplient comme l'explique Perrine Gouelt. “On ne peut pas continuer à évaluer, désevaluer, un coup il est mineur, un coup il est majeur. Pendant ce temps là, c’est de l’incertitude, on ne peut pas commencer l'insertion du jeune. On ne peut pas continuer à traiter ces jeunes ainsi. Humainement c’est les montagnes russes, c’est pas normal.
Pour limiter ces réévaluations, le ministère de la Justice va envoyer un guide des bonnes pratiques, aux départements. Quant à la Sarthe, il lui faudra patienter jusqu’au 21 mai 2020 pour souhaiter ses 18 ans à Moussa.
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