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Ibrahim, Ajmal, Abbas : ces migrants qui ont fui la mort pour échouer sur l'île de Kos

Dans cette station balnéaire grecque submergée par une vague migratoire en provenance de Turquie, trois hommes racontent leurs histoires.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - De notre envoyé spécial à Kos (Grèce),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des migrants campent sur une plage de Kos (Grèce) au pied du poste de police, le 20 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Depuis le début de l'année, environ 160 000 migrants ont débarqué sur les îles grecques de la mer Egée. Il y a une semaine, ils étaient encore plus de 20 800 à arriver, selon le HCR, l'agence de l'ONU pour les réfugiés. Leur nombre augmente sans cesse et de plus en plus vite. Car, pour tous ces immigrants, ces confettis de Grèce, à quelques kilomètres seulement des côtes de la Turquie, sont autant de portes d'entrée vers un havre de paix : l'Europe. A Kos, station balnéaire hellène submergée par cette vague migratoire, trois hommes racontent leur histoire.

Ibrahim : la peur de voir la guerre tuer ses enfants

Ibrahim est un Kurde de Syrie. Il habitait Kobane, cette ville du nord du pays, théâtre d'effroyables combats. Sa famille n'a pas été épargnée. Il raconte que leur maison a été détruite il y a un an dans un bombardement. L'armée de Bachar Al-Assad n'a pas été la seule à les terroriser. Ibrahim évoque le souvenir des atrocités de l'Etat islamique, qui a exécuté des hommes et des enfants pendant leur sommeil. "Daech a tué beaucoup de gens", conclut le père de famille.

Ibrahim, migrant syrien (deuxième à gauche), avec ses amis et ses enfants devant leur tente sur le bord de mer de Kos (Grèce), le 19 août 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Alors avec sa femme Kawther, leurs trois enfants, Meheden, 4 ans, Bahaa, 6 ans, et Oma, 8 ans, et des amis, ils ont fui la menace et traversé la frontière toute proche avec la Turquie. A l'abri des combats, ils ont gagné la côte turque. Ils y ont retrouvé des amis libanais, venus de Saïda. A Bodrum, Ibrahim a acheté à des passeurs des places sur un bateau pour l'Europe. Débarqués à Kos, ils se sont installés sur le front de mer sous une tente de camping. Ils y ont passé une semaine, manquant de tout. Leur pénible séjour prend fin ce soir, jeudi 20 août. Ils ont obtenu une place sur un ferry pour Athènes. Des amis les accueilleront en Allemagne. "La vie en Syrie est impossible. Surtout pour les enfants. Ce pays n'est plus bon pour personne. On y a peur tous les jours", confie Ibrahim.

Ajmal : le deuil de ses parents tués par les talibans

Ajmal occupe avec sa famille trois chambres à l'étage du Captain Elias, cet hôtel désaffecté insalubre, devenu par la force des choses un centre d'hébergement pour les migrants en transit. Du haut de ses 26 ans, le jeune homme veille sur sa femme, ses deux sœurs, et six jeunes enfants. Son neveu le plus âgé ne le lâche pas d'une semelle. Il sourit de toutes ses dents, des taches de rousseur égayent un peu plus sa chevelure rousse. Ajmal et les siens viennent d'Afghanistan. Ils habitaient la région de Surobi, à une heure de route de Kaboul, la capitale, au pied des montagnes afghanes. Là-bas, les talibans ont tué son père et sa mère, relate le jeune homme. L'attentat à la bombe a soufflé leur maison.

Ajmal, migrant afghan, tient contre lui un de ses neveux, le 19 août 2015 à l'ancien hôtel Captain Elias, transformé en centre d'hébergement, à Kos (Grèce). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

Ajmal a décidé de fuir. Son frère et l'une de ses sœurs, plus jeunes que lui, ont préféré rester. Cette fuite a conduit Ajmal, les femmes et les enfants en Iran, puis en Turquie, et enfin en Grèce. Après vingt-quatre jours à Kos, à attendre devant le commissariat de police de pouvoir se faire enregistrer, ils ont fini par obtenir des policiers le document autorisant leur présence sur le territoire grec pendant un mois. Ajmal espère embarquer à bord d'un ferry pour Athènes le plus vite possible. "Je veux aller à Paris", sourit-il, avant de réciter son plan de route, qu'il connaît par cœur : "Macédoine, Bulgarie, Serbie, Hongrie, Autriche, Allemagne, France." Le voyage est loin d'être terminé.

Abbas : la menace de l'Etat islamique sur sa famille

Abbas ne tient pas en place. Il est anxieux. Il a peur de rater son bateau pour Athènes. Il a en fait plus de deux heures d'avance, mais il est déjà sur le port de Kos, prêt à embarquer, mercredi 19 août au soir. Il tient à la main son précieux ticket de ferry. Abbas a 20 ans. Il est irakien. Il a fui Bagdad, raconte-t-il. Son père était avocat. Sa profession a fait de lui une cible pour les terroristes du groupe Etat islamique. Après la mort de son père, Abbas a préféré partir. Il a quitté sa famille et sa maison en pleine nuit, sans rien dire à personne. Il n'a donné de ses nouvelles qu'une fois arrivé en Turquie. Un voyage périlleux à travers le Kurdistan irakien puis turc, à travers la guerre que se livrent les jihadistes, les peshmergas et la coalition internationale.

Abbas, migrant irakien, le 19 août 2015 sur le port de Kos (Grèce) avant son embarquement à bord d'un ferry pour Athènes. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

En Turquie, les passeurs l'ont amené jusqu'à Bodrum et ses plages pleines de touristes. C'est là que, comme les autres migrants débarqués à Kos, il a pris un canot pneumatique. Il a fait la traversée en pleine nuit. A Kos, il a sympathisé avec deux autres jeunes Irakiens. Abbas est resté une semaine. Sans donner signe de vie à sa famille. Il économise son forfait téléphonique, mais fait tout son possible pour garder son smartphone chargé. Son périple lui a déjà coûté une fortune : "1 500 euros payés aux passeurs." Et il a encore du chemin à parcourir. Une fois arrivé à Athènes, Abbas va traverser tout le continent européen, jusqu'à Kiel, cette ville d'Allemagne, au bord de la mer Baltique. "C'est là que vit mon frère, Mahmoud", glisse-t-il, plein d'espoir.

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