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Ocean Viking : "On ne peut pas sacrifier la vie des gens sur l'autel de la politique intérieure de tel ou tel pays", affirme SOS Méditerranée

Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée France réagit sur franceinfo alors que l'Ocean Viking, le nouveau navire de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, s'apprête à prendre la mer.

Article rédigé par franceinfo
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Une bouée à bord de l'Ocean Viking, le 23 juillet 2019. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

"On ne peut pas sacrifier la vie des gens sur l'autel de la politique intérieure de tel ou tel pays", a expliqué vendredi 2 août sur franceinfo Sophie Beau, cofondatrice et directrice générale de SOS Méditerranée France, alors que le nouveau navire de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières s'apprête à prendre la mer pour venir en aide aux migrants en détresse. Sept mois après l'arrêt de l'Aquarius, l'Ocean Viking s'apprête à partir pour les côtes libyennes.

franceinfo : À quel moment prendrez-vous la mer ?

Sophie Beau : Nous sommes dans les derniers préparatifs, le départ est imminent. C'est une question d'heures ou de jours, au maximum. Il y a urgence à reprendre la direction des eaux internationales, au large de la Libye et de la mer Méditerranée centrale. C'est là où il y a toujours le plus grand nombre de victimes aujourd'hui.

Nous avons dû rendre l'Aquarius à l'armateur, donc au propriétaire de ce navire, en décembre dernier. Ce n'était pas du tout de gaieté de cœur, nous avons été contraints. Les autorités italiennes avaient fait une demande de saisie préventive du navire sur un motif fallacieux, la soi-disant mauvaise gestion des déchets à bord du navire. Cela a justifié une procédure judiciaire. Cette procédure n'a pas avancé d'un pouce depuis le mois de novembre, bloquant de fait la possibilité de reprendre la mer avec ce navire. Comme il y a une urgence absolue, nous avons lancé des recherches pour reprendre nos opérations avec un nouveau navire. Nous n'avons pas du tout l'intention d'aller dans les eaux italiennes, étant donné les orientations prises par le gouvernement italien aujourd'hui, mais par contre, il faut repartir dans les eaux internationales, dans cette zone de Méditerranée centrale qui est toujours la zone la plus meurtrière.

Cela veut dire que malgré toutes les difficultés qui se sont dressées devant vous, vous ne lâchez pas et vous ne lâcherez jamais ?

On ne lâche pas, parce qu'il y a une urgence humanitaire majeure. Depuis le début de l'année, l'Organisation internationale des migrations décompte 628 victimes sur cet axe de Méditerranée centrale. On voit encore aujourd'hui que malgré la baisse drastique du nombre de départs, les flux s'étant reportés sur d'autres axes migratoires, cette mer Méditerranée reste la plus meurtrière : il y a une très grande distance entre les côtes de Libye et les côtes d'Italie. Notre mission à nous, c'est le sauvetage en mer. Sauver des vies humaines, c'est notre priorité. Il faut mener ces opérations de sauvetage en dehors de toutes considérations politiques. On ne peut pas sacrifier la vie des gens sur l'autel de la politique intérieure de tel ou tel pays, ce n'est pas possible.

Votre bateau bat pavillon norvégien : pourquoi la Norvège ?

Nous avons recherché un navire qui puisse combiner différents critères. Il y avait tout d'abord un cahier des charges techniques très compliqué, pour pouvoir accueillir les personnes et rechercher des embarcations dans de meilleures conditions et déployer suffisamment de canots de sauvetage. Il fallait pouvoir combiner ce cahier des charges complexe avec des critères plus politiques, avec la question du pavillon notamment. On a bien vu l'année dernière avec l'Aquarius qu'à deux reprises, les États de pavillon, Gibraltar puis Panama, ont subi des pressions de l'Italie et ont cédé à ces pressions. Il fallait donc trouver un État de pavillon qui ne serait pas influencé par ces pressions et qui y résisterait. Il s'agit d'un État de droit, respectant le droit maritime international et les principes des conventions agréés par tous. En ce qui concerne la Norvège, ce pays a une grande tradition maritime et est donc sensible aux questions du sauvetage. C'est notoirement un pays défenseur des droits humains dans le monde.

Est-ce que Matteo Salvini est votre adversaire, compte tenu des pressions venues d'Italie ?

On n'a jamais parlé de quiconque comme adversaire. Il faut rappeler que l'Italie a toujours été le pays qui a crié à l'aide auprès des autres États européens sur cette question de sauvetage en mer et ensuite de l'accueil des personnes à terre. L'Italie a été seule, pendant des années, à gérer ces questions. L'urgence pour nous aujourd'hui est de remettre la responsabilité auprès de l'ensemble des États européens, même si on déplore évidemment ce qui se passe en Italie. L'urgence est que l'Europe prenne ses responsabilités. Il y a encore aujourd'hui 28 États européens qui doivent travailler ensemble, et se coordonner pour mettre en place un mécanisme prévisible de débarquement des rescapés.

Il y a quelques jours, les migrants du Gregoretti ont été répartis. C'est le résultat d'un mécanisme de solidarité annoncé par Emmanuel Macron fin juillet : une répartition automatique, volontaire des migrants entre 14 pays. Est-ce le début d'une solution ?

Absolument, c'est le développement que nous appelons de nos vœux depuis un an, depuis que l'Italie a fermé ses ports : qu'il y ait enfin un mécanisme européen de prise en charge. Après, ce n'est pas du tout à SOS Méditerranée de dire comment il faut que cela se passe, c'est aux États de travailler ensemble sur ce sujet. Notre compétence est le sauvetage en mer, mais un sauvetage n'est fini que lorsque les personnes sont débarquées dans un lieu sûr, selon le droit maritime international. Un lieu sûr, ce n'est évidemment pas la Libye, donc il faut bien trouver des solutions. Pour respecter ce droit maritime, il faut que les États prennent leurs responsabilités. On a vu qu'il y a des avancées, des choses qui se mettent en place, mais le mécanisme n'est pas encore abouti à ce jour, car les pays doivent se revoir en septembre à Malte. On espère qu'on est proche d'un accord. Nous allons de toute façon être en position de tester ce mécanisme très prochainement, dès que nous serons en mer. Il y a eu beaucoup de naufrages en mer ces dernières semaines et beaucoup de morts. Tout cela peut être évité, et il faut arrêter de faire un sujet politique de ces sauvetages sur quelques dizaines de personnes.

Nous appelons aussi de nos vœux une flotte européenne, pour qu'au-delà de la question du débarquement, il y ait suffisamment de moyens de sauvetage sur zone. Les ONG de sauvetage ont été criminalisées, la plupart ont arrêté leurs opérations ou se trouvent bloquées. Il n'y a donc presque plus de navires humanitaires, et les navires militaires européens qui étaient sur zone avec l'opération Sophia ont été retirés. Il n'y a plus de dispositifs de sauvetage et la situation est encore pire que celle que nous connaissions quand nous avons créé SOS Méditerranée en 2015.

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