24 heures dans le camp de migrants d'Idomeni
Quelque 12 000 personnes sont installées aux abords du dernier village grec avant la Macédoine. Tous espèrent passer la frontière. En attendant, la vie s'organise tant bien que mal. Reportage.
Il est 9 heures. Le soleil ne brille pas mais le jour s'est levé sur le camp de migrants d'Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne. De la fumée s'élève d'une tente qui trône au milieu d'une mer de boue glissante et collante. Sous la bruine, juchées sur de fins blocs de bitume mis bout à bout, une trentaine de personnes font la queue. Elles viennent chercher du thé. Ici, il est gratuit. Elles repartent avec un ou deux grands gobelets fumants, bien remplis, qu'il ne faut pas renverser en avançant sur ce sol traître.
Certains choisissent de faire leur thé eux-mêmes. On trouve plusieurs points d'eau dans le camp. A l'entrée, certains vont en chercher à un robinet qui n'en a pas l'air, mais dispense de l'eau potable.
Ici, à l'entrée du camp d'Idomeni, cela n'y ressemble pas mais c'est un point d'eau potable pic.twitter.com/FRwRdIcsZB
— Louis San (@Louis_San) 16 mars 2016
Le camp se réveille doucement. Les traits sont tirés, les nuits sont rudes. Il fait 6°C, plus frais la nuit, et avec l'humidité le froid est pénétrant. Au cœur du camp, il y a une autre file. Beaucoup plus longue, quelques centaines de mètres. Les migrants attendent plusieurs heures pour un petit sandwich, une bouteille d'eau, des oranges. Et peut-être un vêtement imperméable ou une couverture, s'il y a eu un nouvel arrivage.
Sous le toit en tôle, c'est la queue pour obtenir un sandwich et de quoi se protéger de la pluie #Idomeni pic.twitter.com/y2ySmY8BX2
— Louis San (@Louis_San) 15 mars 2016
Pendant que certains patientent, d'autres rallument un feu pour se réchauffer. Une tâche difficile car tout est humide. Le bois surtout. Alors, dans des poêlons de fortune faits de bric et de broc, on brûle ce qui peut l'être : vêtements, couvertures, bâches. La fumée noire se propage dans le camp, répandant une désagréable odeur de plastique brûlé.
Ceux qui en ont les moyens et souhaitent changer de menu peuvent se ravitailler auprès de vendeurs à la sauvette postés à l'entrée du camp, près du passage à niveau. Sur de petits étals en carton, parfois tenus par des enfants, on trouve différentes variétés de pain, des chips, des gâteaux et des bouteilles d'eau.
Une intimité quasi inexistante
Les bébés aussi ont faim. Environ 40% des 12 000 personnes vivant dans le camp sont des enfants, parfois très jeunes. Pour allaiter les nourrissons, dans ce contexte où l'intimité est, comme le moindre confort, quasi inexistante, les mères peuvent se rendre dans la tente de l'ONG Save The Children. Au fond, il y a une petite pièce fermée dans laquelle elles peuvent donner le sein à leur bébé.
Pour aller aux toilettes, c'est compliqué. D'après Médecin sans frontières (MSF), le nombre de WC dans le camp est huit fois inférieur à ce qui est nécessaire. Le nombre de douches est lui aussi insuffisant. Yussuf, un Afghan de 23 ans venu avec ses parents, ses quatre sœurs et ses trois frères, se contente ainsi d'une douche par semaine. Du coup, la toilette de chat se fait près de la tente, et les enfants se lavent en extérieur.
Après avoir tenté de mener un semblant de routine matinale, il est temps d'aller soigner cette toux qui persiste à cause des températures fraîches, de la pluie incessante et des conditions de vie spartiates. En marchant dans le camp, on l'entend : ça tousse de partout. "Même moi, j'ai attrapé froid", s'exclame Isabelle Bouton, infirmière pour Médecins du monde. Il est possible d'être reçu dans la tente de son ONG ou dans un préfabriqué de MSF.
Juste à côté, certains se renseignent sur une réouverture éventuelle de la frontière et sur les démarches administratives à suivre. A proximité de la petite baraque de l'agence des Nations unies pour les réfugiés, des membres du Bureau européen d’appui en matière d’asile assurent des points d'information. Debout dans le froid, on refait la queue pour un conseil, un avis, des précisions.
Quand le feu finit par prendre, le déjeuner s'organise. Et les fourneaux sont l'affaire de tous, hommes et femmes. Les repas sont simples : souvent du riz, des pommes de terre en soupe ou des haricots.
Des alternatives existent pour déjeuner, comme ce café en face de la gare, désormais occupée, d'Idomeni. Les Grecques Joanna, Effi et Nopi servent du thé et du café à 1 euro la tasse. On peut aussi y manger différents plats plutôt appétissants préparés par leurs soins. Deux euros pour une portion de frites, 3 euros pour du riz et du poulet. Le plus cher, c'est ce bœuf en sauce avec du riz ou des pâtes, à déguster pour 4 euros.
Les plats ont plutôt l'air appétissant #Idomeni pic.twitter.com/LxTyRQnU4N
— Louis San (@Louis_San) 17 mars 2016
Certains s'attardent dans ce lieu qui compte une cinquantaine de places assises, et qui est sûrement l'endroit le plus confortable du camp. Installé au chaud, on peut aussi y boire simplement un verre en discutant et en jouant aux cartes. Bref, avoir un semblant de vie normale. Sans compter que la Wi-Fi est gratuit et qu'il est possible, comme à l'entrée du camp, d'y recharger son téléphone portable.
40-50 personnes dans le café, à siroter une boisson, discuter, charger les téléphones, jouer aux cartes #Idomeni pic.twitter.com/Fx3hqtkInn
— Louis San (@Louis_San) 17 mars 2016
S'équiper contre le froid et la boue
Mais la pause n'est jamais très longue. Il faut passer à l'agence Western Union, juste en face, prise d'assaut dès son ouverture à 9h30.
De nombreux migrants ne sont pas préparés à affronter le froid et la boue omniprésente. Certains manquent de vêtements chauds, d'autres sont en sandales. Des enfants marchent avec des chaussures trop basses et trop grandes pour eux, les chaussettes gorgées d'eau. Une distribution de chaussures se transforme alors facilement en bousculade.
A l'autre bout du camp, ca se bouscule pour une petite distribution de chaussures #Idomeni pic.twitter.com/JV4kcroGVV
— Louis San (@Louis_San) 16 mars 2016
Certains continuent à soigner leur apparence et se font couper les cheveux, tailler la barbe. Au moins quatre hommes proposent leurs services dans le camp, ciseaux et tondeuse à la main. Les salons sont rudimentaires : une chaise posée en plein air, toujours dans la boue, et une bâche en guise de blouse pour les "clients".
En milieu d'après-midi, ceux qui n'ont pas eu la chance de déjeuner convergent vers la tente où l'on sert du thé gratuitement. Le Britannique Barry et ses compagnons de Hot Food s'installent dans cette zone, sur le bord du chemin bitumé. A l'arrière de leur 4X4, on dresse une tonnelle abritant trois gigantesques casseroles. Ils distribuent une "soupe indienne chaude, très riche en épices et en protéines". Il y a du monde. Ces volontaires, qui agissent de façon autonome veillent à ce que la distribution se passe dans le calme. "Tout le monde est fatigué, a froid et faim. C'est électrique, ça peut partir très vite, explique Barry. Il faut être concentré, ferme mais pas violent", poursuit-il en invitant un resquilleur à rejoindre l'extrémité de la queue.
L'heure tourne. Une cargaison de bois sec vient d'arriver à l'autre extrémité du camp, près du café de la gare. C'est la cohue pour ce bien si rare ici. Tout le monde est mis à contribution : hommes, femmes, enfants. Les plus chanceux chargent le bois dans des poubelles domestiques, dotées de roulettes et d'un couvercle. Certains ont transformé des poussettes en brouettes. D'autres s'y mettent à plusieurs et transportent dans des couvertures d'importantes quantités de bois. Il y a aussi l'option plus limitée du sac plastique fin ou tout simplement des mains nues.
Quand je parle de cohue à #Idomeni pour aller chercher du bois sec, je parle de ça pic.twitter.com/zWp6VVtq0Z
— Louis San (@Louis_San) 17 mars 2016
Le soleil décline. L'air se rafraîchit drastiquement. Le bois tout juste récupéré permet de facilement relancer les braises. Le feu réchauffe et permet de préparer le dîner. Dans les casseroles d'Alla, venu de Bagdad avec sa femme et ses cinq enfants, il y a du riz et des tomates en conserve. Un repas qui sera avalé devant leur petite tente située au bord de la voie ferrée.
Alors que la nuit tombe, demeure cette question qui l'obsède, comme tout le monde ici : la frontière va-t-elle rouvrir ? "De voir les frontières fermées, c'est hyper difficile, explique la Française Isabelle Bouton. C'est un peu leurs rêves qui se ferment. Ils jouent leur vie." Elle raconte : "Il y en a pas mal qui me disent : 'C'est soit la mort, soit on passe la frontière.'"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.