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Mieux légiférer en Europe une idée qui peut fâcher
La cambrure des concombres, la taille des flacons d’huile d’olive sur les tables de restaurant. Entre rumeur et faits avérés se pose la question de la législation européenne. On en fait sans doute de trop, alors on veut mieux légiférer. De bonnes intentions mais un enfer peut-être pavé d’intentions politiques, pour le coup, un peu moins sympathiques.
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Mais d’abord, rappelons les règles du jeu, les grandes lignes du paysage européen. Qui fait quoi, qui décide ?
Il y a les grands chefs. Lors des Conseils européens, ils définissent les grandes lignes. Puis la Commission européenne, et elle seule élabore les futurs textes, directives ou règlements. Ces textes, dans la très grande majorité des cas, seront étudiés puis amendés et enfin adoptés et par les Etats par l’intermédiaire de leurs ministres spécialisés, ce que l’on appelle le Conseil, et par le Parlement européen. Et ce texte sera le même à la virgule près. C’est ce que l’on appelle la procédure législative ordinaire, l’ancienne codécision. Vous suivez ?
Mieux légiférer
L’idée de faire plus simple, de mieux légiférer, n’est pas neuve. Déjà des programmes dont REFIT sont destinés à simplifier la législation. Mais là, l’idée neuve agitée par la nouvelle Commission par l’intermédiaire de son Vice-président Frank Timmermans porte en elle quelques interrogations. D’autant que la Commission ne mégote pas quand il s’agit de décider toute seule. La Cour de Justice de l’Union européenne vient d’ailleurs de lui rappeler qu’elle n’était pas autorisée à supprimer d’un simple coup de baguette magique tel ou tel texte en vigueur.
Il n’empêche. Dans ces grandes lignes, l’idée de la Commission est bien la suivante : moins de textes dont certains abandonnés dans l’attente d’une nouvelle réflexion, des études d’impacts avant même la décision parlementaire, des groupes d’experts pour limiter l’aspect administratif des textes. Tout un système rendu public le 19 mai 2015.
Au Parlement européen, on craint fort que l’ancien allié naturel des eurodéputés face aux Etats membres, c’est-à-dire la Commission européenne, ne cherche à accroître ses pouvoirs au détriment de l’Assemblée de Strasbourg. Et cela même si l’on accepte l’idée d’une simplification des législations. Françoise Grossetête, les Républicains, connaît bien le fonctionnement de la machine européenne.
Cette idée d’études d’impact avant la décision des eurodéputés passe mal. D’autant qu’on sait la Commission européenne assez perméable quant à l’indépendance de certains experts. On se rappelle de certaines affaires retentissantes concernant des médicaments, les OGM ou les gaz de schiste. De plus, une étude récente rendue publique souligne le fait que dans la très grande majorité des rencontres de la Commission européenne avec les lobbyistes, ce sont bien les entreprises et les grosses qui sont présentes, bien plus que les associations de consommateurs ou les ONG. Alors, Pascal Durand, l’eurodéputé d’Europe Ecologie les Verts monte lui aussi au créneau.
Dernier témoignage, celui de la socialiste Pervenche Béres qui dirige au Parlement européen la délégation française. Elle espérait une Commission européenne plus ouverte, elle craint aussi cette volonté de concentrer plus de pouvoirs dans l’administration bruxelloise. Elle n’ignore pas que cette idée de moins et mieux légiférer est dans l’air du temps, mais ses récentes expériences avec Jean-Claude Juncker ne l’incitent pas à l’optimisme.
Alors comment tout cela va-t-il évoluer. Nous sommes dans l’Union européenne, il va donc falloir négocier. Et sans doute assez longuement. Une première réunion s’est tenue fin juin et on va revoir un système et un accord inter-institutionnel qui datent de 2003, avant même l’adoption du Traité de Lisbonne. Autant dire à l’époque préhistorique, avant que les pouvoirs du Parlement européen soient renforcés par ce même traité. Pour ces négociations, le Parlement sera représenté par l’ancien Premier ministre belge et président du groupe des libéraux, Guy Verhofstadt. Curieusement, c’est lui qui n’a pas voulu répondre à notre demande d’interview. Ca commence mal… mais ce n’est qu’un début.
Quelques éléments du dossier
Reste aussi au-delà de la guéguerre entre les institutions européennes à bien saisir et comprendre ce que veut l’opinion publique européenne. Pour certains dont les syndicats, ce REFIT nouvelle formule n’arrange rien. Déjà de nombreux textes qui pourraient s’avérer vitaux pour, par exemple, la santé des travailleurs sont bloqués. On se souvient de la colère créée par l’abandon, peut-être revu, de textes sur l’économie circulaire. Enfin, mais cette fois bloquée par les Etats et donc abandonnée par la Commission européenne, la Directive sur le congé maternité.
J’écrivais en début d’article le mot enfer. Et qui dit enfer, dit diable. Et qui dit diable dit détails. En Europe, le diable se cache souvent dans ce que l’on appelle dans le jargon des plus ou moins initiés les actes délégués, en gros, les décrets d’application. Des textes élaborés sans grande transparence par la Commission européenne pour la mise en pratique des grands textes, des grandes politiques. La Commission vient de promettre que ces actes délégués feraient désormais l’objet d’une forme de consultation avant d’être adoptés. Sans doute un plus, une façon de faire passer quelques pilules au Parlement européen. Mais aussi un risque, celui de voir les cabinets de lobbyistes s’engouffrer dans cette nouvelle fenêtre de tir pour défendre leurs intérêts qui sont rarement collectifs et bien souvent très particuliers.
Le vice-président de la Commission européenne Frank Timmermans est à la manœuvre. Il a promis, juré, presque craché, que les normes environnementales sociales et en matière de santé ne seront pas remises en cause par cette nouvelle plateforme REFIT et par l’accord inter-institutionnel qui se prépare.
Il faut dire que ce serait ballot, alors même qu’il s’agit de défendre ces mêmes normes européennes dans le cadre des négociations sur le Traité transatlantique.
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