Vrai ou faux Guerre en Ukraine : la France fait-elle partie des cinq pays qui fournissent le plus d'aide militaire à Kiev, comme l'affirme le ministre des Armées ?
Paris ayant choisi de garder secrète une partie des équipements fournis à l'Ukraine, il est difficile d'évaluer son poids dans l'aide militaire internationale.
"Nous n'avons pas à rougir". Dans un entretien au JDD (article payant), samedi 19 novembre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu assure que la France se trouve "dans les cinq premiers pays" en matière d'aide militaire. Le ministre évoque la formation et la logistique, précisant qu'il s'agit de "l'intégralité de notre aide militaire" et pas uniquement des armes.
Selon le Kiel Institute for the World Economy (IfW Kiel), groupe de réflexion allemand, qui publie et actualise régulièrement un Ukraine Support Tracker (en anglais), la France se situe seulement en 13e position des pays pourvoyeurs d'aide militaire (aide matérielle et financière comprise).
Des livraisons en partie couvertes par le secret militaire
"Les classements sont le reflet de ce qui est déclaré publiquement, et non de ce qui est réellement livré", conteste Sébastien Lecornu, dans le JDD. Effectivement, la France a choisi, depuis le début de la guerre en Ukraine, "de ne pas être très transparente dans ce domaine, au nom du secret stratégique", explique Pierre Haroche, chercheur en relations et sécurité internationales à la Queen Mary University of London. Il s'agissait alors d'éviter que Moscou sache "ce qu'on livre et quand on le livre aux Ukrainiens". Cet argument "a perdu de sa force au fur à mesure du conflit, les autres pays étant devenus transparents sur le sujet".
Face à cette relative opacité, "on ne peut donc pas savoir sur quoi se base Sébastien Lecornu", regrette François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. Contacté par franceinfo, le cabinet du ministre, tout en rappelant que "la France ne déclare pas tout ce qu'elle donne", communique une liste partiellement chiffrée.
La France livre ainsi à l'Ukraine de "l'équipement pour combattants" tel que "des casques, des gilets pare-balles, des jumelles vision nocturne, des rations de combat, des tenues NBC, du matériel médical", des munitions de tous calibres, des armements antichars et antiaériens (2 batteries de missile sol-air Crotale), des véhicules blindés VAB et de transports, du carburant, de l'artillerie notamment 18 canons Caesar, des lance-roquettes unitaires (LRU) et des canons de 155 mm TRF1.
À la différence de pays comme les Etats-Unis, où les écarts entre les promesses de dons et les livraisons effectives peuvent être importants, "la France donne ce qu'elle promet" fait remarquer Pierre Haroche, confirmant les propos du ministre au JDD. Cette bonne conduite n'est cependant pas suffisante pour la placer en tête des pays fournisseurs d'aide, avertit le chercheur.
Des formations et un soutien logistique
En complément, Paris apporte un soutien en termes de formation et de maintenance. Une aide "difficile à valoriser, mais pourtant critique sur le champ de bataille", assure Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l'armement militaire. Elle permet en effet à la France de livrer des "capacités opérationnelles" complètes à l'Ukraine : entraînement à l'utilisation des armes, logistique, fourniture de pièces détachées pour les réparations. Dans le domaine de la formation, le ministère des Armées annonce que la France a formé 400 spécialistes ukrainiens et assurera l'entraînement de 2 000 soldats ukrainiens supplémentaires.
Enfin, l'aide française comprend un volet financier. En novembre, l'Assemblée nationale a décidé de consacrer près de 200 millions d'euros pour un fonds spécial pour l'équipement militaire de l'Ukraine. En outre, la France est, selon Sébastien Lecornu, est des plus gros contributeurs du fonds de mutualisation de l'UE.
"Il s'agit d'un fonds financier qui permet à chaque pays de se faire rembourser ses dons d'armes à l'Ukraine", explique Pierre Haroche. Paris finance ce fonds à hauteur de 550 millions d'euros sur un total de trois milliards d'euros. Cette contribution n'est cependant pas "exceptionnelle", tempère le professeur en sécurité internationale. Comme tout financement défini au niveau de l'UE, la France contribue à hauteur de son PIB et ne fait donc que remplir ses obligations institutionnelles.
La France représente 2% de l'aide militaire envoyée en Ukraine
Que représentent les livraisons françaises rapportées au volume total fourni à l'Ukraine ? Environ "2 %, en tonnes d'équipements", chiffre François Heisbourg qui s'est rendu en Pologne, où est stockée l'aide militaire avant d'être acheminée vers l'armée ukrainienne. Ce qui situe la France, selon les estimations du chercheur, en 8e position pour les livraisons d'armes.
Un chiffre qui fait bondir le ministère des Armées : "On ne fait pas la guerre avec des ratios, se défend le cabinet de Sébastien Lecornu. Nous répondons à des besoins ponctuels qui permettent des contre-offensives."
"Il suffit qu'on livre 18 canons Caesar aux Ukrainiens pour faire la différence sur le terrain et leur permettre d'obtenir de victoires stratégiques sur le terrain."
Le ministère des Armées françaisesà franceinfo
"L'Ukraine n'aurait pas passé l'été sans les canons Caesar, les HIMARS américains qui ont permis d'arrêter l'offensive russe en détruisant ses pièces d'artillerie et surtout en lui cassant ses dépôts de munitions", abonde Stéphane Audrand.
En outre, estime l'expert, la valeur financière des matériels comptabilisés dans les classements n'est pas forcément un bon indicateur pour mesurer l'impact des armes livrées sur le terrain. "La France a livré des 'vieux machins', les VAB", des véhicules blindés de transport, qui ont "plus de 40 ans". "Je pense qu'en valeur nette comptable, ils valent le prix de la ferraille, pourtant les Ukrainiens sont ravis de ces véhicules, parce qu'ils sont rustiques, faciles à prendre en main et très mobiles", souligne le spécialiste en armement.
La France donne moins que la Pologne
Mais si l'importance du soutien français sur les champs de bataille est plus significative, il n'en demeure pas moins inférieur à celui fourni par les "grandes puissances", estime François Heisbourg. "Les Américains, les Polonais fournissent un effort très supérieur" à la France. La Pologne a par exemple, selon le Kiel Institute (PDF en anglais, page 4), cédé près de 240 de ses chars à l'Ukraine, soit 30% de son stock. Les Etats-Unis se sont engagés à livrer 126 obusiers de 155 mm à Kiev, dix fois plus que le nombre de canons français.
Avec "2% des livraisons d'équipements, vous ne pouvez pas peser dans la durée durant le conflit", tranche François Heisbourg. Et si les canons Caesar, "arrivés à un moment critique", ont été "exceptionnellement utiles", "ce n'est pas avec 18 unités que vous pouvez changer le cours de la guerre", conclut le spécialiste.
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