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Témoignage "On nous a simplement montré le fonctionnement des fusils" : un jeune Français raconte son engagement auprès de l'armée ukrainienne

De nombreux volontaires étrangers se sont engagés dans la guerre en Ukraine. C'est le cas de Marcus, un jeune français originaire de région parisienne qui combat au sein d'une brigade près de Kiev. Vie quotidienne, motivations, formation : il raconte son choix à franceinfo.

Article rédigé par franceinfo - Valérie Crova
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Marcus s'est engagé aux côtés de l'armée ukrainienne le 18 juin.  (DR)

Marcus, c'est son nom de guerre, est arrivé en Ukraine le 2 mai 2022. Ce technicien en informatique de 31 ans n'avait aucune expérience de la guerre mais, dès le 18 juin, il s'est engagé avec l'armée ukrainienne. "L'Ukraine a été la grande découverte de la vie de soldat et de ce qu'est la guerre", raconte-t-il au micro de franceinfo, alors qu'il suit actuellement une formation avec sa brigade près de Kiev, qui compte d'autres étrangers. 

franceinfo : Vous n’avez pas eu de formation militaire ?

Marcus : On n'est pas formés. C'est bien le problème ! Avant l'Ukraine, j'ai pris des "cours particuliers", on va appeler ça comme ça, dans un centre d'entraînement en Pologne qui s'appelle l'European security academy et qui propose des cours pour apprendre le maniement des armes à feu et la tactique militaire pour les civils ou les gens qui sont déjà dans l'armée ou la police. J'ai passé deux semaines en Pologne : pendant une semaine, j'ai appris le maniement des armes de poing et des fusils, notamment Kalachnikov. La deuxième semaine, j'ai appris comment appliquer un bandage compressif, ou arrêter une hémorragie. Avant de partir, j'avais entendu des retours comme quoi les volontaires étaient très peu formés.

"Dans mon unité, on n'a pas du tout été formés ou entraînés comme on peut l'être dans une armée occidentale."

Marcus

à franceinfo

On nous a montré simplement le fonctionnement de nos fusils. On est allé un peu sur le champ de tir pour voir comment ça se passe quand on manipule une kalachnikov. On a fait deux ou trois exercices pour apprendre à bouger en escouades, mais on n'a pas un entraînement physique intense comme celui qu'on peut voir dans l'armée française, par exemple.

Vous avez rejoint quelle unité ?

Mon unité est une unité de la défense territoriale et la brigade à laquelle j’appartiens s’appelle "Première brigade d’opérations spéciales Ivan Bohun" [du nom d'un colonel cosaque ukrainien]. De la même manière que la Légion internationale est également rattachée à la défense territoriale, on utilise le terme "spéciale" dans le sens où on recrute des volontaires étrangers dans cette brigade. On aura ainsi un peloton constitué d'Ukrainiens, un autre de Géorgiens et de Biélorusses, ou encore un peloton constitué de personnes anglophones. Toute la communication se fait en anglais.

"On était trois francophones dans mon peloton : moi et un autre Français. On avait également un Québécois francophone qui a été tué au combat pendant une de nos missions à la fin juillet."

Marcus

à franceinfo

Notre brigade est basée à Jytomyr près de Kiev. On a été déployés dans le Donbass, du côté de Siversk. On avait les forces russes qui étaient à 500 mètres de l'autre côté d'une rivière. Des membres de mon unité spécialisée dans la lutte antichar ont participé à la bataille de Severodonetsk, mais moi, de mon côté, les papiers n'étaient pas encore tout à fait réglés, notamment en terme de contrats et de papiers militaires. Donc, en fait, j'ai été déployé juste après et notre unité a pris position près d’un village qui s'appelle Bilohorivka. C'est le village où les Russes avaient tenté un franchissement en mai. Et début juin, ils ont été repoussés par l'armée ukrainienne. Ils ont perdu un peu plus de soixante véhicules si ma mémoire est bonne.

L'écussion de la "Première Brigade d’opérations spéciales Ivan Bohun" à laquelle appartient Marcus. (DR)

Comment êtes-vous payé ?

Je suis rémunéré selon un barème, en fonction de la quantité de jours qu'on passe en zones de combat. On reçoit une solde de base qui est de 15 000 hryvnas, qui correspond en fait à notre grade. Cela fait 430 euros à peu près, auquel s'ajoute un bonus de 3 000 hryvnas par jour si on est déployé en position de combat. Moi personnellement, je ne fais pas ça pour l'argent et je vous avoue que j'ai un peu de mal à évaluer à quel point la rémunération est bonne ou pas.

"On n'est jamais assez bien payé pour mettre sa vie en danger. Moi, ce qui me motive, c'est le fait que si l'Ukraine perd, d'autres pays suivront."

Marcus

à franceinfo

Et c'est ça qui me pousse à me lever tous les matins et à prendre mon arme pour rejoindre mes camarades dans les positions de combat. En fait, l'argent, c'est un plus, ce n'est pas négligeable. Et je vous avoue que je gagne plus que le salaire que je touchais en France.

Quelle est votre motivation ?

Elle est très pure et peut être un peu naïve. C'est tout simplement sur mon passeport français : il y a marqué République française, mais il y a également marqué Union européenne : cela veut dire qu'au-delà de mon statut de citoyen français, je suis également citoyen européen. Et pour moi, l'Ukraine, c'est l'Union européenne, quand bien même ils n’ont jamais signé les papiers.

"Pour moi, ils font partie de l'Union européenne et l'Union européenne étant attaquée, mon devoir de citoyen européen, c'est de prendre les armes pour aller la défendre."

Marcus

à franceinfo

Je descends d'une famille de militaires. Mon grand père paternel a fait la guerre d'Algérie. Mon père était au début de sa vie d'adulte dans l'infanterie de marine et mon grand-père maternel a été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Et si on remonte encore plus loin, j'ai perdu tous mes arrière-grands-pères pendant la Première Guerre mondiale. Donc, si vous voulez, je suis dépositaire de cet héritage. Le peuple ukrainien se bat pour sa liberté, son indépendance et quand j'ai vu ce qui se passait là bas, j'ai appelé des amis ukrainiens. À ce moment-là, dans ma tête, il y a quelque chose qui a basculé. Je me suis dit : moi, dépositaire de cet héritage de combattants pour la liberté, je ne peux pas rester chez moi, dans mon canapé, à ne rien faire.

Et qu'en pense votre famille ?

Je ne suis pas marié. J'ai ma mère, ma petite sœur et mon petit frère. Alors évidemment, quand je leur ai annoncé la nouvelle que je partais en Ukraine, ils l'ont pris avec une certaine réticence et puis, évidemment, de la peur, de l'inquiétude. Mais je fais en sorte de leur donner un maximum de nouvelles. Je suis né dans le sud, mais j'ai passé la majeure partie de ma vie en région parisienne. Je vais fêter mes 31 ans en septembre. 

Jusqu’à quand pensez-vous rester en Ukraine ?

La réponse qui me vient de manière évidente, ce serait jusqu'à la fin de la guerre, mais ça peut durer un moment. Honnêtement, je ne sais pas jusqu'à quand je continuerai. Je continuerai tant que j'aurai cette motivation chevillée au corps que ce que je fais est important. Le jour où cette motivation commencera à s'effriter, je commencerai à me poser la question de savoir si je rentre en France ou pas. Dans tous les cas, je pense que ma vie va se dérouler maintenant en Ukraine parce que j'ai rencontré quelqu'un, une ukrainienne. Elle est professeure d’anglais. Pendant la guerre, on trouve la mort, mais on peut parfois aussi trouver l'amour !

Après, il faut encore que le gouvernement ukrainien accepte que les volontaires étrangers ayant combattu puissent obtenir la nationalité ukrainienne. Si on m’offre la possibilité d'acquérir la nationalité ukrainienne sans pour autant que je perde ma nationalité française, je pense qu'effectivement, j'accepterai cette nationalité ukrainienne et je resterai vivre en Ukraine. Aussi parce que j'ai mon contrat dans l'armée qui court.

Le récit de Marcus, un jeune Français engagé en Ukraine, au micro de Valérie Crova

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