Reportage "Si je meurs maintenant, ce sera le destin" : en Ukraine, le fatalisme des villageois proches de la ligne de front

Les Ukrainiens vivent avec la guerre au quotidien et certains finissent par oublier le danger. Une forme de fatalisme visible notamment dans l’est du pays, comme avec ce pêcheur qui habite dans un village à six kilomètres de la frontière russe.
Article rédigé par Agathe Mahuet - Jérémy Tuil et Yashar Fazylov
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Mykola pêche dans sa rivière près du village de Voltchansk dans l'est de l'Ukraine à six kilomètres de la frontière russe, avril 2024. (AGATHE MAHUET / RADIO FRANCE)

Mykola Alexandrovitch a posé son tabouret et sa vieille canne à pêche à l'endroit qu'il préfère au bord de la rivière, malgré le son lointain des bombardements. "On s'est habitués. C'est tous les jours ! Il y a une semaine, j'étais assis là, et il y a eu huit frappes sur le village. Des maisons ont été détruites. J'ai retrouvé un énorme morceau de missile dans mon potager", raconte-t-il.

Les Ukrainiens vivent avec la guerre, au quotidien, et certains finissent par oublier le danger à force de voir passer les missiles au-dessus de leurs têtes. Une forme de fatalisme visible notamment dans l'est du pays, comme dans ce village de Voltchansk, à six kilomètres de la frontière russe.
 
Le pont écroulé dans la rivière, à 100 mètres de Mykola, fait partie du décor de Mykola. Ce sont les Ukrainiens qui l'ont fait sauter il y a deux ans, pour ralentir l'ennemi, quand les Russes sont entrés par ici. L'homme de 73 ans explique que pêcher, c'est apaisant. Il repioche des vers dans sa petite boîte jaune, impassible malgré les tirs. Ceux-là semblent venir d'Ukraine, et frapper la Russie. "C'est tout près, indique Mykola. À chaque fois je compte. D'abord le tir et six secondes après il y a l'explosion."

"On maudit tous cette guerre"

À force d'attendre que ça morde au bord de sa rivière pendant des heures, Mykola est devenu presque un spécialiste. "Quand c'est le mortier que les Russes envoient, ça siffle, indique l'Ukrainien. Si c'est un missile, d’abord on entend le départ, puis le missile vole. Tu entends comme un avion qui passe et enfin l'explosion."
 
La bouche pleine de couronnes en or, l'ancien policier explique qu'il pourrait aller vivre à Kharkiv mais qu'il ne veut pas partir et abandonner ce qu'il a dans son village. Le regard vers la frontière, il est soudain ému : "Qu'est-ce que cette guerre apporte ? À nous, à eux ? De chaque côté, il y a des morts, dit-il en ravalant un sanglot. C'est dur d'en parler. On maudit tous cette guerre. J'ai mon petit-fils, il a 26 ans. Déjà trois ans qu'il y est. Où est-il maintenant ? Je ne sais pas."
 
À ses pieds, dans un sachet plastique, trois gardons fraîchement pêchés s'agitent encore. Les poissons ont-ils peur de la guerre ? "Non !" répond Mykola. Et lui ? "Ça m'est égal. J'ai déjà vécu ma vie ! Si je meurs maintenant, ce sera le destin. On ne peut pas y échapper. C'est la vie, comme on dit !"

Le reportage de nos envoyés spéciaux à Voltchansk (Ukraine)

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