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Guerre en Ukraine : pourquoi les combattants étrangers capturés dans le Donbass risquent la peine de mort

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un combattant étranger de nationalité marocaine est escorté au tribunal par les forces de l'ordre de la république autoproclamée de Donetsk, le 9 juin 2020. (KONSTANTIN MIHALCHEVSKIY / SPOUTNIK / AFP)

Les autorités prorusses leur refusent le statut de "prisonniers de guerre", les privant de la protection des conventions de Genève. Trois d'entre eux ont déjà été condamnés à la peine capitale.

"Ils doivent être tenus responsables des crimes qu'ils ont commis." Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s'est exprimé pour la première fois, lundi 20 juin, au sujet des deux Américains capturés dans le Donbass, alors qu'ils combattaient aux côtés de l'armée ukrainienne. "Ce sont des mercenaires et ils étaient impliqués dans des activités illégales sur le territoire de l'Ukraine", a affirmé le responsable sur la chaîne NBC (en anglais). Des propos lourds de sens, au regard du droit international.

Alexander Drueke et Andy Huynh, deux anciens militaires, étaient apparus dans une vidéo tournée par les médias russes la semaine dernière. Ils expliquaient avoir été engagés pour combattre les troupes russes près de Kharkhiv, dans une unité étrangère qui s'est donnée le nom improbable de "Task Force Baguette" – en raison de la présence de volontaires français. "Notre équipe s'est retrouvée isolée au milieu d'une offensive russe", écrivait cette dernière (en anglais) à la mi-juin, en annonçant la capture des deux hommes.

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Le sort réservé aux deux hommes fait désormais l'objet de vives inquiétudes, d'autant que leurs conditions de détention n'ont pas été précisées. Dmitri Peskov s'est contenté de déclarer qu'ils se trouvaient aux mains des "autorités", en référence au pouvoir séparatiste du territoire de Donetsk. Quant à savoir s'ils risquent la peine de mort, le porte-parole russe a déclaré : "Cela dépend de l'enquête."

Prisonniers de guerre ou mercenaires ?

Cette déclaration n'est guère encourageante. Le 9 juin, deux Britanniques et un Marocain avaient déjà été condamnés à mort par la Cour suprême de ce territoire prorusse, après un procès de deux jours. Aiden Aslin, Shaun Pinner et Brahim Saadoune étaient détenus depuis leur reddition, lors de la prise de l'usine Azovstal de Marioupol. Les trois hommes avaient un mois pour faire appel et tenter de commuer leur condamnation en peine de prison. Mais le 22 juin, ils n'avaient toujours pas déposé de recours, selon Denis Pouchiline, le leader des séparatistes de Donetsk. Si le jugement est confirmé, les lois locales prévoient que leur sentence soit exécutée par un peloton d'exécution.

Trois combattants étrangers attendent leur procès dans la république séparatiste de Donetsk (est de l'Ukraine), le 9 juin 2022. (KONSTANTIN MIHALCHEVSKIY / SPOUTNIK VIA AFP)

Au moment de leur procès, ils n'ont eu d'autre choix que de reconnaître les faits, derrière les barreaux et sous la contrainte. Les images ont été largement diffusées par les médias russes. "Leur objectif est de terroriser l'opinion occidentale en menaçant de tuer trois otages", avait commenté la procureure générale d'Ukraine, Iryna Verechtchouk. Absence de publicité des débats, d'indépendance et d'impartialité des tribunaux, refus du droit de témoigner sans contrainte... Les Nations unies dénoncent depuis 2015 des violations aux règles du procès équitable dans les territoires de Donetsk et Louhansk.

Au-delà même des conditions du procès, le statut de ces hommes fait débat. Liz Truss, secrétaire d'Etat aux Affaire étrangères britannique, a qualifié Aiden Aslin et Shaun Pinner de "prisonniers de guerre", un statut défini par les conventions de Genève. Celui-ci prévoit qu'un combattant capturé "ne peut pas être poursuivi pour des actes liés à sa participation à un conflit quand ils sont conformes au droit humanitaire international", explique Vaios Koutroulis, spécialiste du droit humanitaire, interrogé par franceinfo. En d'autres termes, "un soldat qui en tue un autre est protégé contre des poursuites pénales pour homicide intentionnel", à l'exception bien sûr des crimes de guerre.

L'interprétation de la Russie et des séparatistes est opposée, puisque l'intégralité des combattants étrangers semblent considérés comme des "mercenaires". A Donetsk. Aiden Aslin, Shaun Pinner et Brahim Saadoune étaient ainsi poursuivis pour leur "participation à un conflit ou à des hostilités en tant que mercenaire" (article 430 du Code pénal local), ce qui les prive de la protection du droit humanitaire international.

Un statut qui change tout

Le choix de ce statut est discutable, le ministère ukrainien des Affaires étrangères ayant bien déclaré que ces hommes étaient des "militaires" de ses forces armées. Les deux Britanniques, qui étaient présents en Ukraine depuis des années, combattaient au sein des Marines. Quant au ressortissant marocain, il avait fait ses études dans le pays avant de débuter une formation militaire, en novembre 2021, puis d'intégrer la 36e brigade de la marine. Son père, par ailleurs, a précisé au journal Madar 21 que Brahim avait aussi la nationalité ukrainienne.

"Si ces personnes ont été intégrées aux forces armées, cela veut dire deux choses : elles ont le droit de participer aux hostilités et ont droit au statut de prisonniers de guerre."

Vaios Koutroulis, spécialiste du droit humanitaire

à franceinfo

"La définition du statut de mercenaire est restrictive et cumule six conditions", ajoute Vaios Koutroulis. Parmi elles : un recrutement via une filière dédiée, le fait d'obtenir un avantage personnel et la non-intégration aux forces armées. Dans les faits, "il est d'ailleurs très rare que des personnes remplissent l'ensemble de ces conditions".

Au-delà des forces armées, "les membres des autres milices et ceux des autres corps de volontaires" sont considérés comme des prisonniers de guerre, précisent encore les conventions de Genève. De nombreux volontaires étrangers combattent ainsi au sein de la Légion internationale pour la défense territoriale de l'Ukraine, intégrée de facto au sein de l'armée depuis sa création en février par le président Volodymyr Zelensky.

Les prisonniers de guerre peuvent être détenus sans autre forme de justification que la poursuite du conflit. "Il n'est pas nécessaire de porter de charges à son encontre, ou de constituer un dossier judiciaire", explique Vaios Koutroulis. L'article 118 des conventions de Genève prévoit leur libération et leur rapatriement "sans délai" à la fin des hostilités.

"L'application du droit est la même pour toutes les parties au conflit : agresseur ou agressé. Tous les soldats ont droit à la même protection, y compris les soldats russes."

Vaios Koutroulis, spécialiste du droit humanitaire

à franceinfo

La gravité des peines encourues montre l'importance de ces statuts. Alexander Drueke et Andy Huynh seront-ils considérés comme des prisonniers de guerre ou poursuivis comme des mercenaires ? La Russie applique actuellement un moratoire sur l'application de la peine de mort, mais les régions séparatistes d'Ukraine, elles, l'ont rétablie en 2014.

Des interprétations diverses et abusives

Les derniers garde-fous sont peu à peu levés. La Russie ne fait plus partie du Conseil de l'Europe depuis le 15 mars, mais la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a tout de même fait droit aux demandes de Brahim Saadoune, avec une mesure d'urgence réclamant à la Russie que cette peine de mort ne soit pas appliquée. ll n'est pas certain que Moscou y prête une oreille attentive. Le 7 juin, la Douma a signé un projet de loi pour formaliser le retrait russe de la CEDH, qui n'attend plus que la signature de Vladimir Poutine pour entrer en vigueur.

"Il n'existe pas d'organe international qui pourrait être investi pour qualifier ces statuts pendant le feu des hostilités, avec des critères objectivement opposables."

Vaios Koutroulis, spécialiste du droit humanitaire

à franceinfo

Chaque acteur peut donc être tenté d'interpréter à sa manière ces statuts. D'ailleurs, ces interprétations abusives ne concernent pas les seuls combattants étrangers. A la radio russe, le leader des séparatistes de Donetsk, Denis Pouchiline, a annoncé mardi la création prochaine d'un tribunal international ad hoc pour juger les "criminels de guerre" – désignant les combattants "terroristes" ukrainiens du régiment Azov. Les procès pourraient débuter à Marioupol à la fin de juillet, en présence de la presse et des ONG. Contacté par franceinfo, Nicolas, un combattant français présent dans le Donbass, ne se fait guère d'illusions en cas de capture : "Je préfère me mettre une balle ou faire péter une grenade."

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