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Guerre en Ukraine : pourquoi la bataille de Bakhmout n'est pas encore terminée

La Russie a revendiqué la prise de la ville. L'Ukraine a démenti. Pour les troupes de Kiev, poursuivre les combats dans cette cité dévastée a un intérêt stratégique en vue de la contre-offensive annoncée de longue date.
Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un quartier de Bakhmout (Ukraine) entièrement détruit par les combats, le 21 mai 2023. (ARMED FORCES OF UKRAINE / AFP)

Un champ de ruines que personne n'entend lâcher. Théâtre de la plus longue et de la plus meurtrière bataille depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, Bakhmout a de nouveau été l'objet d'une guerre de communication, samedi 20 et dimanche 21 mai. Moscou a d'abord revendiqué le contrôle de cette ville-symbole, ce que Kiev a aussitôt démenti. 

Si elle était confirmée, la prise de la cité minière de l'est de l'Ukraine par l'armée russe et le groupe paramilitaire Wagner permettrait à Moscou d'afficher une victoire, après des revers humiliants à Kharkiv et Kherson notamment. Elle interviendrait toutefois avant une contre-offensive que Kiev répète préparer depuis des mois. Le patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, "a beau y avoir planté un drapeau russe ce week-end, la bataille de Bakhmout n'est clairement pas terminée", assure à franceinfo le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale. "Bien au contraire, la ville va continuer de jouer un rôle dans les prochaines semaines." Franceinfo vous explique pourquoi.

Affaiblir l'ennemi avant la contre-offensive

L'armée ukrainienne encercle toujours une partie de la ville et a déjà amorcé des contre-attaques dans la cité et ses environs. Les forces ukrainiennes ont encore repris ces derniers jours "quelques kilomètres carrés de territoire sur les hauteurs, dans les faubourgs au nord et au sud de cette ville de Bakhmout", expose Maryse Burgot, l'envoyée spéciale de France Télévisions. "Elles vont donc continuer à pilonner les forces russes. Pour les Ukrainiens, l'heure n'est pas du tout à admettre une quelconque défaite." C'est aussi ce qu'a avancé, lundi, la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Maliar, en assurant que les troupes ukrainiennes engagées à Bakhmout "[contrôlaient] certains bâtiments", ajoutant sur Telegram que "la bataille sur les flancs, au nord et au sud, se [poursuivait]".

Continuer de se battre à Bakhmout permet en outre à l'armée ukrainienne d'épuiser les forces russes en vue de la fameuse contre-offensive. "En continuant les combats, les forces ukrainiennes peuvent continuer d'infliger un maximum de dommages à l'ennemi. Bref, affaiblir les Russes avant la contre-offensive, et gagner du temps pour être prêt le jour J", résume le général Jérôme Pellistrandi. Si elle se confirmait, la victoire russe dans la ville aurait ainsi lieu à un coût très élevé pour Moscou. Début mai, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche assurait à l'agence Reuters (article en anglais) que plus de 100 000 combattants russes avaient été tués ou blessés depuis décembre, principalement à Bakhmout.

Protéger Kramatorsk et Sloviansk

La topographie du secteur est par ailleurs à l'avantage de Kiev, souligne le général Jérôme Pellistrandi. "Autour de Bakhmout, ce sont des champs, relève l'expert militaire. C'est un espace ouvert, plus propice à la manœuvre pour Kiev et plus laborieux à défendre pour Moscou. Il pourrait donc y avoir des tentatives de reprise."

Cette stratégie d'encerclement permet aussi à Kiev de protéger ses arrières, analyse le spécialiste des questions de défense. "Si les Ukrainiens décidaient de se retirer complètement de Bakhmout, Moscou aurait alors le champ libre pour progresser encore. N'oublions pas que derrière, on arriverait vite vers les villes de Sloviansk et surtout Kramatorsk. Cette ville se trouve à seulement une cinquantaine de kilomètres de Bakhmout et compte 150 000 habitants. C'est le cœur du Donbass."

Contenir les troupes russes

Car l'intérêt tactique des manœuvres en cours va bien au-delà de Bakhmout, selon l'expert militaire. "En fixant les soldats russes qui se trouvent actuellement dans la ville, Kiev empêche Moscou de les déployer à un autre endroit sur le territoire, analyse l'expert militaire. Pendant qu'ils sont à Bakhmout, ils ne sont pas utilisés ailleurs. Et donc ils ne sont pas là où Kiev imagine lancer sa contre-offensive." Interrogé sur BFMTV, Xavier Tytelman, ancien aviateur militaire et rédacteur en chef de l'édition numérique de la revue Air et Cosmos, abonde. "Ce serait très étonnant que les Ukrainiens lancent la contre-offensive du côté de Bakhmout", estime l'expert, pour qui la prise de Bakhmout ne constituerait pas un tournant du conflit.

Pour Moscou, la conquête de la ville ne semble de toute façon pas être de nature à changer la donne. "Je ne vois vraiment pas comment ils pourraient être en mesure de relancer une offensive puissante depuis Bakhmout", analyse le général Jérôme Pellistrandi. Des mois de combats ont laissé la cité exsangue. "Il n'y a pas d'électricité, pas d'eau, il n'y a plus rien. Neuf maisons sur dix sont détruites", décrit Arkadijs Goncarovs, un humanitaire, joint par franceinfo. "Il y a encore des civils qui sont cachés dans des caves. Des personnes en situation de handicap, des personnes qui n'ont pas d'argent pour partir. Il y a aussi des personnes qui attendaient l'armée russe."

Au-delà du symbole que peut représenter la prise d'une ville, la Russie voulait s'ouvrir la route vers Sloviansk et Kramatorsk, les deux villes du Donbass qui lui échappent toujours. "La Russie dit avoir libéré une ville. Non, non, ils ont surtout libéré un champ de ruines, une ville vidée de ses habitants", ajoute Jérôme Pellistrandi. Avant la guerre, la cité industrielle abritait 70 000 habitants. En mars, elle n'en comptait plus que 4 000, piégés au milieu de combats extrêmement violents. "Moscou montre des images où on voit les forces russes nettoyer des rues. Mais la ville est inutilisable", conclut l'expert.

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