Guerre en Ukraine : faut-il voir dans les morts de civils à Belgorod et Donetsk un changement de stratégie de Kiev ou un dommage collatéral ?
Une nouvelle escalade entre Moscou et Kiev. La Russie et l'Ukraine ont connu des épisodes de violences ces derniers jours. Samedi 30 décembre, 25 personnes ont été tuées dans un bombardement à Belgorod, en Russie, succédant à une attaque de missiles contre l'Ukraine la veille, qualifiée de "massive" par Kiev, et qui avait fait une quarantaine de morts. L'attaque de Belgorod a été la plus meurtrière pour les civils en Russie depuis le début du conflit.
Le lendemain, dans la nuit du dimanche 31 décembre au lundi 1er janvier, quatre personnes ont été tuées et 13 blessées lors d'une frappe ukrainienne sur Donetsk, ville de l'est de l'Ukraine sous contrôle de Moscou, selon un responsable installé par la Russie. "L'ennemi avait pour but de faire le plus de mal possible à la population civile", a déclaré Denis Pouchiline, à la tête de la "république" de Donetsk, affirmant que ces frappes n'avaient "aucun sens sur le plan militaire".
En représailles à ces attaques sans précédent sur le sol russe, le président Vladimir Poutine a promis une amplification de son offensive. "Nous allons intensifier les frappes, aucun crime contre les civils ne restera impuni, c'est une certitude", a-t-il lancé lors de la visite d'un hôpital militaire, lundi.
Des doutes sur la réelle cible des frappes
"Jusqu'à présent, les frappes ukrainiennes se concentraient sur des cibles militaires, nombreuses dans la région de Belgorod", souligne un article du Monde. Ou sur les réseaux de télécom ou le système électrique, comme en octobre. Mais cette fois-ci, les frappes ont touché en "plein centre de la ville, là où les gens se promènent, avant le réveillon du Nouvel An", a dénoncé Vladimir Poutine lundi. Si "les attaques sur la Russie ont déjà eu lieu de la part des forces ukrainiennes, Belgorod étant une cible des défenses ukrainiennes", rappelle à franceinfo Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe et vice-présidente de l'Observatoire géostratégique de Genève, "c'est la première fois qu'il y a autant de victimes civiles."
La question reste de savoir si les civils étaient visés par cette attaque. "Juste après la frappe, le ministère de la Défense russe a déclaré que les dégâts étaient dus à l'interception des missiles ukrainiens", rapporte Ulrich Bounat, analyste géopolitique de l'Europe centrale et de l'Est, citant l'agence de presse russe Interfax. C'est plus tard que la version russe a changé, Vladimir Poutine qualifiant d'"acte terroriste" le bombardement sur Belgorod. "L'explication précédente a disparu au profit d'une version simpliste, selon laquelle les Ukrainiens auraient visé délibérément les civils", rapporte le chercheur associé chez Open Diplomacy. Mais il énumère plusieurs éléments validant le premier récit d'une interception ratée. Tout d'abord, des images du centre-ville de Belgorod "montrent la queue d'un missile qui ressemble énormément à un missile antiaérien S-300". Ensuite, "quand les Russes changent de version, c'est que l'initiale ne correspond pas au narratif officiel que la Russie veut mener et qu'ensuite, la propagande reformule le message." Quant à l'attaque de Donetsk, elle "visait, semble-t-il, un rassemblement de militaires et de blogueurs russes", ajoute Ulrich Bounat.
Un changement de stratégie serait "contre-productif"
Volodymyr Zelensky lui-même "ne parle plus de contre-offensive" mais, note Carole Grimaud, "met l'accent sur la défense", au terme d'une année marquée par l'échec de sa contre-offensive estivale et le gel quasi total de la ligne de front. Comme lors d'un entretien à The Economist, publié lundi, dans lequel le dirigeant ukrainien affirme que la mission la plus urgente de Kiev est de "défendre l'Est et de sauver les grandes villes de l'Est et du Sud". Ainsi que d'isoler la Crimée. Ce dernier objectif pourrait faire des victimes civiles – le pont de Kertch étant "utilisé au quotidien par les habitants", décrit Carole Grimaud –, mais il s'agirait de "dommages collatéraux" et non de "frappes délibérées sur les civils comme peuvent le faire les Russes les maternités, les hôtels, etc", complète Ulrich Bounat.
Il faudra, de l'avis des deux spécialistes, analyser le comportement ukrainien les prochaines semaines pour savoir s'il y a réellement un changement de stratégie ciblant davantage les civils de la part de Kiev. Ce serait "complètement contre-productif", note toutefois Ulrich Bounat : "Du point de vue des Occidentaux, les Ukrainiens sont les agressés dans cette guerre et les Russes, les agresseurs. Cette posture suscite un élan de solidarité international. Si Kiev décidait de cibler les civils, cela poserait un véritable problème pour le soutien occidental."
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