: Reportage Guerre en Ukraine : à Mykolaïv, un an après la destruction du siège de l'administration, les habitants commémorent "l'horreur qui s'est abattue" sur eux
Pendant de longues minutes, Svetlana Uvarova n'a pas bougé. Elle n'a pas parlé non plus. Emmitouflée dans sa doudoune rose, la dame d'une soixantaine d'années fixe le siège de l'administration régionale de Mykolaïv, avant de s'agenouiller pour déposer des fleurs jaunes et bleues devant les barrières métalliques qui encerclent le bâtiment. "Comment c'est possible ?", s'interroge-t-elle, encore abasourdie. Pour marquer cet anniversaire douloureux, les drapeaux ont été mis en berne dans la région, mercredi 29 mars.
Face à elle, un gouffre béant causé un an plus tôt par une frappe russe qui a tué 37 personnes. Parmi elles, deux amis de Svetlana. "Dmytro et Petro, c'étaient leurs noms. Ils avaient 41 et 42 ans. Dmytro avait une petite fille d'un an et demi, il avait déjà blessé gravement en 2014 dans l'est de l'Ukraine. Regardez, ce sont eux, là, en photo, indique-t-elle sur l'immense banderole accrochée là en hommage aux victimes. Je crois que je ne m'en remettrai jamais. Je me répète mais… Comment c'est possible ?"
Devant ce qu'il reste de l'immense bâtiment, tous les passants savent ce qu'ils faisaient, où ils étaient, le 29 mars dernier, à 8h45, quand un missile a éventré l'édifice, dans un chaos de débris et de fumée. "Je venais de me réveiller, se souvient Marianna. Notre maison n'est pas loin. J'ai entendu un bruit sourd qui se rapprochait de plus en plus. Comment je me sens un an après ? Mal. C'est ça, mal. C'est une horreur qui s'est abattue sur notre ville."
Timofeï, 12 ans, se rappelle aussi : "C'est là qu'on venait jouer parfois." Une dame, sac de courses dans la main, prend en photo les 37 bougies, avant de repartir les yeux rouges. Elle croise Elena, venue avec ses deux enfants. "C'est la première fois qu'ils viennent voir les lieux", souffle la mère de famille, bonnet noir vissé sur les sourcils. Jusque-là, je ne savais pas trop si je devais les emmener. Mais je crois que c'est important qu'ils voient en vrai ce qui s'est passé. Parce que ça peut recommencer. C'est triste, mais maintenant, c'est aussi ça l'histoire de notre ville."
A l'époque, les sauveteurs ont tenté pendant cinq jours de retrouver des survivants dans cette ville du sud de l'Ukraine, harcelée par les bombardements. Employés de l'administration, du conseil régional, du tribunal de commerce… "Je demande à chacun de se souvenir de ceux qui sont morts en accomplissant leur devoir", a commenté (en ukrainien) le gouverneur Vitaliy Kim. S'il est encore en vie, c'est grâce à une panne de réveil. Le bureau qu'il occupait a été entièrement détruit lors de l'attaque.
"La présence de civils et la nature même du bâtiment gouvernemental (…) font que ce lieu ne pouvait pas être considéré comme une cible militaire", considère l'ONG Truth Hounds, dans un rapport d'enquête (en anglais) publié l'été dernier. La partie centrale du bâtiment est totalement détruite sur dix étages. "Passage interdit", est-il écrit sur les barrières qui entourent l'accès au bâtiment, pour raisons de sécurité. Il sera d'ailleurs impossible de rebâtir les lieux, voués à la démolition.
"C'est comme pour dire à mes amis Dmytro et Petro que je ne les oublie pas"
Ecole, hôtel, caserne, bâtiment d'habitation… L'administration régionale est loin d'être un cas isolé. De nombreux immeubles de la ville sont désormais en ruines, quand d'autres ont eu davantage de chances. Toute la ville est traumatisée par la guerre, treize mois après le début de l'agression russe. Un peu partout dans les rues, des affichages rendent hommage aux combattants ukrainiens engagés sur le front. "Mykolaïv, terre des héros", proclament de grandes lettres blanches sur le boulevard central.
La capitale régionale comptait 500 000 habitants avant la guerre. L'an passé, une grande partie de la population a préféré prendre la fuite après des mois de bombardements. Aujourd'hui, personne ne sait vraiment combien sont rentrés. Autour du parc Kashtanov, un point central de la ville, les alertes aériennes ne déclenchent plus aucune réaction chez les passants. Svetlana Uvarova a déjà prévu de revenir bientôt sur les lieux. "Comme pour dire à mes amis Dmytro et Petro que je ne les oublie pas." Et se rappeler qu'elle a échappé au pire : trois jours avant l'administration régionale de Mykolaïv, c'est sa maison qui a été bombardée.
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