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Grand entretien Guerre en Ukraine : "La 3e guerre mondiale, nous l'avons vécue", déclare le maire de Marioupol, ville sous occupation russe

Vadym Boytchenko était en déplacement en France pour participer à l'université de la ville de demain. Il fustige la propagande russe autour de la reconstruction de Marioupol, et raconte la vie dans une ville dévastée par un "tapis de bombes".
Article rédigé par Virginie Pironon, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Vadym Boytchenko, maire de Marioupol, lors de l'Université de la ville de demain, à laquelle il a participé à Chantilly. (ALAIN GOULARD / UNIVERSITE DE LA VILLE DE DEMAIN)

"Il faut bien comprendre que vivre là-bas est impossible", confie samedi 8 juillet, sur franceinfo, Vadym Boytchenko, le maire de Marioupol. La ville est sous occupation russe depuis le début de la guerre en Ukraine, après de vifs combats. 500 jours après le début de la guerre, c'est un entretien rare que l'ancien ouvrier d'Azovstal, âgé de 46 ans, a accordé à franceinfo.

>> REPORTAGE. Guerre en Ukraine : Marioupol, la ville martyre que le Kremlin rêve de transformer en vitrine de la "Nouvelle Russie"

Il est actuellement en France où il a participé ce vendredi à Chantilly dans l'Oise à l'université de la ville de demain. Marioupol, port stratégique du Donbass, sur les bords de la Mer d’Azov, est tombée aux mains des Russes au printemps 2022. La maternité a été bombardée ainsi qu'un théâtre où ont péri entre 500 et 600 personnes. Le maire travaille désormais depuis Dnipro, avec son équipe de 52 personnes. Sur les 400 000 habitants que comptait la ville, 150 000 sont restés sur place. Marioupol "est la seule ville où l'avion russe a utilisé des tapis de bombe", poursuit Vadym Boytchenko. "On dit que nous avons peur aujourd’hui d’une 3e guerre mondiale", mais "cette 3e guerre mondiale, nous l’avons vécue".


franceinfo : Est-ce que c'est difficile d'être maire d'une ville occupée ? 

Vadym Boytchenko : Bien sûr que c’est très difficile. C’est très douloureux de voir ce qu’ils ont fait de ma ville. Ils l’ont détruite. Un bâtiment sur deux n’existe plus. Ça a commencé le 9 mars 2022. Les avions russes sont arrivés, et sur un rythme implacable, toutes les 20 minutes, ils ont lâché des bombes sur notre ville. C’est la seule ville où l’aviation russe a littéralement utilisé des tapis de bombe.

"En deux ans d'occupation fasciste allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, 10 000 personnes ont été fusillées. Là, en 86 jours, 25 000 personnes sont mortes."

Vadym Boytchenko, maire de Marioupol

à franceinfo

Les gens sont morts dans leurs maisons, les gens sont morts dans les rues. On dit que nous avons peur aujourd’hui d’une 3e guerre mondiale, mais cette 3e guerre mondiale, nous l’avons vécue.

Comment les gens vivent actuellement sur place ? Vous arrivez à savoir, à échanger avec eux ? 

Il faut bien comprendre que vivre là-bas est impossible. Coexister, oui, c’est possible. Attendre que le changement arrive, c’est aussi possible. Mais il n’y a pas de vie là-bas. 

La propagande russe dit précisément l’inverse ! 

Oui bien sûr, la propagande fonctionne à plein régime. Ils ont menti avant la guerre, et ils continuent. Ils disent qu’ils sont en train de reconstruire la ville. On ne peut pas dire qu’ils ne sont pas en train de le faire, c’est ce qu’il se passe. Mais la question est : où ont-ils construit ? Quelle qualité pour ces nouveaux logements qu’ils ont construits très vite ? Ensuite, il faut comprendre qu’il n’y a pas les conditions pour vivre correctement. Quand tu n’as pas d’eau, pas d’électricité, pas de chauffage, c’est une vie ça ? Et si on regarde le nombre de logements reconstruits, ça représente 3% ! Ils ont détruit la moitié de la ville, et ils en reconstruisent 3%... c’est beaucoup, ça ?  

Vous êtes venus à Paris pour parler reconstruction de la ville justement. Vous y croyez, vous un jour, à cette possibilité, de reconstruire votre ville ? 

Oui, et quand on parle de reconstruction, on parle avec des vrais chiffres. Combien de temps ça va prendre de reconstruire une ville comme Marioupol, comme elle était avant ? Ça prendra 20 ans !  C’est impossible de le faire en une année. Et c’est là que se pose la question : pourquoi les Russes se montrent si actifs à Marioupol ? On a compris, ils le font pour leur propagande, pour des objectifs internes. Ils veulent montrer que cette idée, qu’ils ont vendue aux Russes, qu’il s’agit d’une libération des russophones, est une réalité, qu’il ne s’agit pas du meurtre d’Ukrainiens, qu’il ne s’agit pas d’un génocide des Ukrainiens.

"Quand ils montrent à la télé ce qu’ils ont construit, ils filment sous un seul angle. Mais si on bougeait un tout petit peu cette caméra, on pourrait voir toute l’horreur dans laquelle ils ont plongé Marioupol."

Vadym Boytchenko, maire de Marioupol

à franceinfo

Cette horreur montre toute la méchanceté, la férocité qui a accompagné les tirs d’artillerie. Et c’est là qu’une autre question arrive : pourquoi ont-ils été si cruels à Marioupol ? J’y vois deux réponses. D’abord, ils voulaient faire peur. Ensuite, ils étaient jaloux.
  
C’est-à-dire, la jalousie, vous pouvez expliquer ? 

Ils ont vu le chemin que prenait l’Ukraine, et tous les projets qui avaient été réalisés à Marioupol. Marioupol a énormément changé ces sept dernières années. Nous sommes passés d’une ville soviétique à une ville moderne, européenne et ukrainienne. Et dans cette ville, venaient des gens des territoires occupés. Et la Russie, un an avant la guerre, avait fermé le passage entre la région occupée de Donetsk et Marioupol, pour que les gens qui venaient de Donetsk acheter des produits alimentaires, et des médicaments ne puissent pas voir à quel point la ville avait changé. On avait de nouveaux transports, on avait construit de nouvelles routes, des jardins d’enfants, des écoles. La ville commençait à avoir un visage européen. Et Poutine a compris qu’il perdait l’Ukraine. C’est pour cela qu’il a pris cette décision terrifiante d’une invasion à grande échelle du pays. C’est de la jalousie née de tous ces progrès, de ce chemin qu’a choisi l’Ukraine.

Entretien avec le maire de Marioupol, Vadym Boytchenko, au micro franceinfo de Virginie Pironon

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