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Malgré la fermeture, prévue pour dimanche, du News of the World, le scandale des écoutes illégales prend de l'ampleur

Le premier ministre, David Cameron, a dû s'expliquer vendredi sur sa proximité avec le groupe Murdoch, propriétaire du tabloïd, au cours d'une conférence de presse improvisée.Il a tenté de justifier pourquoi il avait conservé jusqu'en janvier comme directeur de sa communication Andy Coulson, ex-rédacteur en chef du journal, placé en détention.
Article rédigé par France2.fr avec agences
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Confrères britanniques du News of the World évoquant les derniers développements de l'affaire d'écoutes... (AFP - Tung Ng - EyePress)

Le premier ministre, David Cameron, a dû s'expliquer vendredi sur sa proximité avec le groupe Murdoch, propriétaire du tabloïd, au cours d'une conférence de presse improvisée.

Il a tenté de justifier pourquoi il avait conservé jusqu'en janvier comme directeur de sa communication Andy Coulson, ex-rédacteur en chef du journal, placé en détention.

Ce dernier, dont la maison a par ailleurs été perquisitionnée, a été son directeur de la communication d'abord dans l'opposition puis au 10, Downing Street, résidence du chef du gouvernement britannique. Il a été interpellé vendredi par Scotland Yard qui le soupçonne de "participation à des écoutes téléphoniques illégales" et de "corruption" en lien avec le paiement de policiers-informateurs. Certains des agents travaillant sur ce dossier enquêtent notamment "sur des paiements inadéquats faits à la police", selon le communiqué du "Yard".

Andy Coulson ainsi qu'un journaliste du News of the World ont été placés en liberté conditionnelle vendredi soir après une journée de garde à vue. "Ils ont été remis en liberté conditionnelle et doivent se présenter à nouveau en octobre", a indiqué Scotland Yard.

Le journaliste est un ancien correspondant pour les affaires royales du journal, Clive Goodman, qui a été interpellé pour les mêmes motifs qu'Andy Coulson. Il avait déjà purgé quatre mois de prison pour écoutes illégales en 2007. Les policiers ont par ailleurs effectué une descente dans les locaux Daily Star, concurrent de News of the World, où travaille désormais Clive Goodman.

Andy Coulson avait déjà dû précédemment abandonner son poste de rédacteur en chef de l'hebdomadaire en 2007 quand son correspondant pour les affaires royales et un détective privé avaient été emprisonnés dans le cadre de cette affaire d'écoutes. Une affaire gigantesque. Selon la police, 4000 personnes auraient été écoutées: hommes politiques, membres de la famille royale, stars de l'écran et du monde sportif, mais aussi une jeune fille assassinée, de proches de militaires morts en Irak et en Afghanistan (voir plus loin)...

"La décision de le nommer [à la tête de la direction de la communication du 10 Downing Street] était seulement la mienne et j'en prends l'entière responsabilité", a déclaré David Cameron lors de sa conférence de presse improvisée.

"La vérité est que nous sommes tous concernés: la presse, les hommes politiques, les dirigeants des partis - et je m'inclus dans ce nombre. Nous n'avons pas pris cette affaire à bras le corps", a poursuivi le premier ministre.

Dans le même temps, les appels se sont multipliés en faveur de la démission de Rebekah Brooks, 43 ans, ex-patronne de la rédaction du sulfureux hebdomadaire et amie de David Cameron. Elle est aujourd'hui directrice générale de News International, la branche britannique de News Corp, empire du magnat australo-américain Rupert Murdoch.

Les propositions de David Cameron

L'un des remèdes proposés est la création d'une commission d'enquête indépendante sous la houlette d'un juge, unanimement réclamée par les conservateurs et leurs alliés libéraux-démocrates au pouvoir, mais aussi par l'opposition travailliste. La commission oeuvrera en parallèle à l'enquête policière. Laquelle se trouve entre les mains de Scotland Yard, critiqué pour son peu d'empressement à mettre un terme aux agissements du News of the Word, au nom de bons procédés reposant sur des échanges croisés d'informations.

David Cameron a annoncé l'ouverture d'une autre enquête, sur l'éthique et la culture de la presse. Elle sonne de facto le glas de la commission de contrôle des médias, la Press Complaints Commission. Cet organisme d'autorégulation a souvent été accusé d'avoir fait preuve de laxisme vis-à-vis des méthodes d'investigation douteuses, voire illégales de certains journalistes, au nom du sacro-saint droit du public à être informé.

David Cameron a par ailleurs tenté de désamorcer une bombe à retardement politique, en laissant entrevoir un report du feu vert gouvernemental au projet de rachat du bouquet satellitaire BSkyB par Rupert Murdoch. Attendue dans les jours à venir, la décision devrait intervenir au plus tôt en septembre, selon des sources proches du dossier.

Le rachat donnerait à Rupert Murdoch, qui possède déjà le tiers des médias d'information britanniques, une position ultra-dominante et attentatoire au pluralisme, selon les nombreux adversaires du projet. The Guardian et The Daily Telegraph, qui s'y opposent, soupçonnent le magnat australo-américain d'avoir cyniquement sabordé le News of the World, pourtant fort rentable, pour sauver le rachat de BSkyB au coeur de la stratégie de son groupe.

Les deux journaux pensent également que Murdoch espère récupérer les 2,8 millions du tabloïd en créant prochainement une édition dominicale du Sun.

Sordides écoutes...

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase est le piratage présumé de la messagerie du téléphone portable d'une adolescente, Milly Dowler, 13 ans, enlevée et assassinée en mars 2002. Selon l'avocat de la famille de la collégienne, la police se demande si le piratage du portable et l'effacement de plusieurs messages n'ont pas détruit des éléments qui auraient pu être utiles aux enquêteurs, au moment où tous les moyens étaient mis en oeuvre pour retrouver la jeune fille.

En 2007, le correspondant local du NOTW et un détective privé, Glenn Mulcaire, avaient été condamnés à des peines de prison ferme après un premier scandale d'écoutes d'hommes politiques, de personnalités, de membres de la famille royale, de stars de l'écran ou du monde sportif.

Outre le piratage présumé de l'adolescente, ces enquêteurs d'un genre un peu particulier auraient écouté les portables de victimes de crimes crapuleux, de proches de personnes tuées dans un attentat d'Al Qaïda à Londres en 2005 (52 morts), ou encore les familles de militaires morts en Irak ou en Afghanistan. Selon la police, 3000 à 4000 personnes auraient ainsi pu être victimes de ces écoutes.

Le père d'une des victimes de l'attentat de Londres a révélé à la BBC que les autorités lui avaient signalé que ses coordonnées personnelles apparaissaient sur une liste de lignes téléphoniques ayant pu être écoutées.

Il a expliqué qu'au moment des attentats, il n'avait eu aucune nouvelle de son fils "pendant plusieurs jours". "On était au téléphone de manière frénétique, afin d'obtenir des nouvelles de David, pour savoir où il pouvait être. (...) On parlait de choses très intimes, de choses très personnelles, et le fait de penser que ces types ont peut-être écouté tout ça, c'est horrible", a-t-il dit.


200 licenciements
News of the World, tabloïd dominical à sensation, créé il y a 168 ans et qui tire à 2,8 millions d'exemplaires, est le fleuron en Grande-Bretagne de l'empire médiatique du magnat australo-américain de la presse. Un empire qui compte The Times, The Sunday Times, The Sun....

Au fil des années, le tabloïd s'est fait le champion des scoops. Il a récemment démasqué une affaire de matchs de cricket truqués impliquant des joueurs de l'équipe nationale pakistanaise. Mais ses méthodes ont souvent été dénoncées, après des exclusivités acquises à grand renfort de caméras cachées et de journalistes déguisés en cheikh ou hommes d'affaires.

"L'activité de News of the World est de demander des comptes aux autres mais il a échoué quand il s'est agi de lui", a estimé la direction du groupe de Murdoch pour justifier la fermeture. "Toutes les affaires sorties" par le journal "sont ternies par une faute de comportement. Si les récentes allégations sont vraies, ce type de comportement inhumain n'a rien à faire dans notre entreprise", a-t-elle ajouté.

"Le cancer était trop profond, trop généralisé, pour être guéri", a commenté un spécialiste des médias, Max Clifford. En clair, la réputation de tout un groupe de presse était en jeu... D'autant que des appels au boycott avaient été lancés.

La fermeture va entraîner le licenciement de 200 personnes. Cette mesure fait dire à certains que l'on fait payer au personnel des mesures décidées par d'autres.

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