Cet article date de plus de neuf ans.
Macédoine: le «jeu hyper-dangereux» du pouvoir
Vives tensions entre Slaves et albanophones, manifestations pro et antigouvernementales, scandales d’écoutes illégales… La Macédoine est engluée dans une grave crise qui pourrait conduire à son éclatement. Une crise complexe dont certains pensent qu’elle pourrait être manipulée par le pouvoir. L’analyse de Vladimir Vasak, grand reporter à Arte, qui connaît très bien la région balkanique.
Publié
Temps de lecture : 6min
Que se passe-t-il exactement en Macédoine ?
Il faut comprendre que la Macédoine est un pays qui a du mal à exister. Cette ancienne république de la fédération yougoslave a été créée par Tito selon le principe du «diviser pour mieux régner».
A mon avis, on ne comprend pas le problème actuel de la Macédoine si l’on ne prend pas en compte sa situation démographique. Comme au Kosovo (où ils constituent aujourd’hui 90% de la population), les albanophones macédoniens font beaucoup d’enfants, plus que les slavophones. Dans ce contexte, ils sont en train de devenir davantage qu’une minorité.
Le gouvernement slavophone (mais qui compte aussi des ministres albanais !) évite de faire des recensements. Le dernier, qui date de 2001, avait compté entre 25 et 30% d’Albanais. Aujourd’hui, la proportion est sans doute de 35 à 40%. Le pays est donc divisé entre les deux communautés. D’une manière générale, depuis sa fondation en 1991, il est menacé d’une scission entre Nord albanophone et Sud slave.
Le gouvernement agite cette menace et se présente comme le garant de l’unité du pays. Une unité qui serait menacée en raison des rapports de force entre ces communautés, mais aussi entre mafias albanophone et slave, entre chrétiens (slaves) et musulmans (albanais)…
La difficile cohabitation entre Slaves et albanophones
Sujet du France 3 en date du 10 avril 1999, mis en ligne par l'INA le 23 juillet 2012
Pour mieux asseoir son pouvoir, le gouvernement crée des tensions dans le pays. A tel point qu’on se demande parfois s’il n’est pas à l’origine des affrontements de Kumanovo (18 morts, dont huit policiers, le week-end du 9-10 mai 2015, NDLR). Ce pourrait être là un levier pour mieux agiter l’épouvantail des tensions. Un peu comme la Nuit de cristal en Allemagne en 1938.
Le pouvoir mène ainsi un jeu hyper-dangereux, complètement mafieux, comme s’il appuyait en même temps sur l’accélérateur et sur le frein. Cela rappelle l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 90. Lequel a abouti à la création de la Macédoine indépendante, micro-Etat qui a du mal à trouver sa place. Celui-ci revendique ainsi l’héritage d’Alexandre le Grand et se dispute avec la Grèce qui veut se l’accaparer !
Au bout du compte, tout cela me semble très balkanique.
C'est-à-dire ?
L’idée de l’éclatement d’un ensemble composé de peuples très différents avec une dimension ethnique et religieuse. Dans le même temps, cet éclatement se produit parmi des individus qui ont le sang assez chaud, qui sont assez latins dans leur comportement !
On a l’impression de vous entendre parler d’un film d’Emir Kusturica…
Oui, c’est un peu ça ! Une ambiance provocante, déjantée, très alcoolisée. Et dangereuse.
Précisément, y a-t-il un vrai danger que le pays éclate ?
On en revient au problème démographique. Il suffirait que l’Albanie ou le Kosovo attise la question albanophone en Macédoine et revendique la création d’une «grande Albanie» qui comprendrait aussi une partie du Monténégro.
Vive tension en Macédoine
Euronews, 10 mai 2015
Comme je l’ai déjà dit, les Albanais de Macédoine ont pour eux la démographie. De plus, comme leurs homologues du Kosovo, ils ont un côté très entreprenant. Ils voyagent beaucoup à l’étranger où ils s’investissent. En Suisse, nombre de pizzerias seraient tenues par des Albanais, également très présents dans la sélection helvétique de football. Et ce n’est pas un hasard s’il y a une ligne aérienne directe entre Skopje, la capitale de la Macédoine, et Zurich.
Résultat : on peut imaginer que cette communauté dynamique constitue, à terme, la moitié de la population du pays. Elle pourrait alors demander la constitution d’un gouvernement albanophone. Ce qui constituerait une bombe !
Un article de RFI parle d’une «menace du radicalisme islamique». Qu’en est-il exactement ?
Personnellement, j’ai un peu de mal à y croire. On en parlait déjà du temps de la guerre en Bosnie dans les années 90. Il y a effectivement des extrémistes, mais ce sont plutôt des mafieux. Sur place, j’ai toujours vu un islam assez cool avec, par exemple, des jeunes filles portant des jupes courtes.
L’islamisme est peut-être aussi une menace agitée par le gouvernement qui peut ainsi se prévaloir d’être un rempart.
Et quelle est l’attitude de Bruxelles face à ces problèmes ? Rappelons que la Macédoine est candidate à l’Union européenne.
Celle-ci est embêtée. A Bruxelles, on se demande si la seule façon de résoudre les tensions ne serait pas d’intégrer ce pays dans l’Union. L’intégration de la Croatie a ainsi permis de calmer les contentieux avec la Serbie sous le chapeau de l’UE. De ce point de vue, je me demande si la Yougoslavie de Tito, même autoritaire et dictatoriale, n’a pas constitué une petite UE. Elle a maintenu sous le chapeau socialiste plusieurs nations qui n’avaient pas grand-chose à voir entre elles.
Il faut comprendre que la Macédoine est un pays qui a du mal à exister. Cette ancienne république de la fédération yougoslave a été créée par Tito selon le principe du «diviser pour mieux régner».
A mon avis, on ne comprend pas le problème actuel de la Macédoine si l’on ne prend pas en compte sa situation démographique. Comme au Kosovo (où ils constituent aujourd’hui 90% de la population), les albanophones macédoniens font beaucoup d’enfants, plus que les slavophones. Dans ce contexte, ils sont en train de devenir davantage qu’une minorité.
Le gouvernement slavophone (mais qui compte aussi des ministres albanais !) évite de faire des recensements. Le dernier, qui date de 2001, avait compté entre 25 et 30% d’Albanais. Aujourd’hui, la proportion est sans doute de 35 à 40%. Le pays est donc divisé entre les deux communautés. D’une manière générale, depuis sa fondation en 1991, il est menacé d’une scission entre Nord albanophone et Sud slave.
Le gouvernement agite cette menace et se présente comme le garant de l’unité du pays. Une unité qui serait menacée en raison des rapports de force entre ces communautés, mais aussi entre mafias albanophone et slave, entre chrétiens (slaves) et musulmans (albanais)…
La difficile cohabitation entre Slaves et albanophones
Sujet du France 3 en date du 10 avril 1999, mis en ligne par l'INA le 23 juillet 2012
Pour mieux asseoir son pouvoir, le gouvernement crée des tensions dans le pays. A tel point qu’on se demande parfois s’il n’est pas à l’origine des affrontements de Kumanovo (18 morts, dont huit policiers, le week-end du 9-10 mai 2015, NDLR). Ce pourrait être là un levier pour mieux agiter l’épouvantail des tensions. Un peu comme la Nuit de cristal en Allemagne en 1938.
Le pouvoir mène ainsi un jeu hyper-dangereux, complètement mafieux, comme s’il appuyait en même temps sur l’accélérateur et sur le frein. Cela rappelle l’éclatement de la Yougoslavie au début des années 90. Lequel a abouti à la création de la Macédoine indépendante, micro-Etat qui a du mal à trouver sa place. Celui-ci revendique ainsi l’héritage d’Alexandre le Grand et se dispute avec la Grèce qui veut se l’accaparer !
Au bout du compte, tout cela me semble très balkanique.
C'est-à-dire ?
L’idée de l’éclatement d’un ensemble composé de peuples très différents avec une dimension ethnique et religieuse. Dans le même temps, cet éclatement se produit parmi des individus qui ont le sang assez chaud, qui sont assez latins dans leur comportement !
On a l’impression de vous entendre parler d’un film d’Emir Kusturica…
Oui, c’est un peu ça ! Une ambiance provocante, déjantée, très alcoolisée. Et dangereuse.
Précisément, y a-t-il un vrai danger que le pays éclate ?
On en revient au problème démographique. Il suffirait que l’Albanie ou le Kosovo attise la question albanophone en Macédoine et revendique la création d’une «grande Albanie» qui comprendrait aussi une partie du Monténégro.
Vive tension en Macédoine
Euronews, 10 mai 2015
Comme je l’ai déjà dit, les Albanais de Macédoine ont pour eux la démographie. De plus, comme leurs homologues du Kosovo, ils ont un côté très entreprenant. Ils voyagent beaucoup à l’étranger où ils s’investissent. En Suisse, nombre de pizzerias seraient tenues par des Albanais, également très présents dans la sélection helvétique de football. Et ce n’est pas un hasard s’il y a une ligne aérienne directe entre Skopje, la capitale de la Macédoine, et Zurich.
Résultat : on peut imaginer que cette communauté dynamique constitue, à terme, la moitié de la population du pays. Elle pourrait alors demander la constitution d’un gouvernement albanophone. Ce qui constituerait une bombe !
Un article de RFI parle d’une «menace du radicalisme islamique». Qu’en est-il exactement ?
Personnellement, j’ai un peu de mal à y croire. On en parlait déjà du temps de la guerre en Bosnie dans les années 90. Il y a effectivement des extrémistes, mais ce sont plutôt des mafieux. Sur place, j’ai toujours vu un islam assez cool avec, par exemple, des jeunes filles portant des jupes courtes.
L’islamisme est peut-être aussi une menace agitée par le gouvernement qui peut ainsi se prévaloir d’être un rempart.
Et quelle est l’attitude de Bruxelles face à ces problèmes ? Rappelons que la Macédoine est candidate à l’Union européenne.
Celle-ci est embêtée. A Bruxelles, on se demande si la seule façon de résoudre les tensions ne serait pas d’intégrer ce pays dans l’Union. L’intégration de la Croatie a ainsi permis de calmer les contentieux avec la Serbie sous le chapeau de l’UE. De ce point de vue, je me demande si la Yougoslavie de Tito, même autoritaire et dictatoriale, n’a pas constitué une petite UE. Elle a maintenu sous le chapeau socialiste plusieurs nations qui n’avaient pas grand-chose à voir entre elles.
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