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Les Indo-Européens, ce mythe dont se sont emparés les nazis...

Le terme «indo-européen» s'applique aux langues d’Europe et d’Asie ayant une origine commune. Pour certains, il désignerait un peuple de conquérants qui auraient colonisé le Vieux continent et seraient ainsi les ancêtres des Européens. Mais pour l’archéologue Jean-Paul Demoule, il s’agit d’un «mythe» qui a justifié la colonisation européenne. Et dont la logique extrême a conduit au nazisme.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des enfants allument des petites lampes qui forment une svastika à Chandigarh (nord de l'Inde) le 11 novembre 2004, à l'occasion de la fête hindoue de Divali. Laquelle célèbre la lumière. Pour la mythologie indienne, la svastika est un signe de prospérité. Elle «remonte à plusieurs milliers d'années et a été utlisée comme symbole de chance dans presque toutes les cultures du monde», rapporte un article de la BBC. «En Occident, la svastika est assimilée» au nazisme.  (REUTERS/Ajay Verma KK/LA)
Jean-Paul Demoule (Anne Fourès)

Au fond, c’est quoi les Indo-Européens ?
Pour certains scientifiques, linguistes, spécialistes de l’étude des mythes, anthropologues biologiques(Nouvelle fenêtre), comme pour certains représentants de l’extrême droite, il y aurait eu un jour un peuple originel. Comme il y a eu les Romains, qui, à partir d’un petit territoire, le Latium, ont bâti un immense empire en battant notamment les sauvages Gaulois. Ils ont ainsi imposé leur langue aux vaincus. Laquelle s’est ensuite diffusée dans tout l’empire et a elle-même évolué en plusieurs langues romanes.
 
Certains linguistes restent prudents. Ils en restent au phénomène linguistique proprement dit, les ressemblances et correspondances entre un certain nombre de langues. Mais d’autres tiennent un double langage. Ils évoquent le système de correspondance entre langues. Mais ils pensent aussi qu’il y a dû y avoir un peuple indo-européen, un peuple de chefs et de conquérants.

Au XIXe siècle, on est ainsi parti des Romains pour tenter de prouver la réalité d’une hypothèse d’un premier peuple originel qui aurait conquis et colonisé l’Europe et une partie de l’Asie. Un peuple très ancien venu d’un endroit quelconque. Ceux qui défendent cette thèse y ont trouvé le modèle pour justifier la colonisation européenne du monde qu’ils avaient sous les yeux, un monde qui leur paraissait évident. La colonisation avait pour but affiché d’apporter la civilisation aux sauvages.

Pour vous, les Indo-Européens constituent ce que vous appelez «le mythe d’origine de l’Occident»…
Tout groupe humain a besoin d’un mythe fondateur : il s’agit de dire que ce groupe a été fondé par une divinité, qu’il est plus beau que les autres…
 
Au départ, pour les Européens, le mythe fondateur, c’était la Bible. Mais ils se retrouvaient ainsi dans une situation schizophrène. Car la Bible, ils la devaient aux juifs, qu’ils détestaient et persécutaient. Ils ont donc cherché un mythe d’origine alternatif qui offrirait aux peuples européens une identité différente.
 
Gravure d'une Bible ancienne (environ 1627) représentant la reconstruction du Temple de Jérusalem après le siège menée par les Assyriens. (The Art Archive)

Progressivement, au XVIIIe, a émergé l’idée que l’origine du mythe fondateur pourrait se trouver du côté de l’Inde, qu’on commence alors à découvrir en raison des guerres(Nouvelle fenêtre) que s’y livrent l’Angleterre et la France. L’Inde apparaît comme une sorte de paradis spirituel et intellectuel, le modèle d’une civilisation idéale. Un écrivain allemand, Friedrich Schlegel(Nouvelle fenêtre), publie ainsi un ouvrage intitulé Sur la langue et la sagesse des Indiens(Nouvelle fenêtre).
 
Concernant les théories émises par les savants de l’époque sur l’origine des Indo-Européens, vous décrivez des constructions scientifiques qui apparaissent aujourd’hui bien peu rigoureuses, dans certains cas franchement délirantes…
Avant la Renaissance, on attribuait tout à Dieu. C’est à partir de cette époque que la science occidentale commence à accumuler (notamment dans les cabinets de curiosités, ancêtres des musées) et à mettre en ordre, avec Linné(Nouvelle fenêtre), les espèces animales, végétales, et ce qu’on appelait les «races» humaines.

A partir du XIXe siècle, on s’est mis à formaliser les choses. Comme je l’ai déjà dit, pour justifier l’existence de conquérants indo-européens dans un passé très lointain, on partait des Romains. C’était le modèle dominant. Ceux qui défendaient ces thèses étaient des gens profondément sincères. Mais qui n’en ont pas moins développé des modèles très simplistes, non prouvés. Et dangereux idéologiquement. Ils ont ainsi prétendu mesurer la suprématie de la race blanche avec l’étude des crânes dolichocéphales ou brachycéphales(Nouvelle fenêtre).
 
Il y a donc eu une dérive…
Oui, une dérive vers l’extrême droite. Et si l’on pousse la logique jusqu’au bout, on arrive au nazisme. Pour autant, le paroxysme de cette idéologie indo-européenne, qui existait alors déjà depuis plusieurs décennies, a réussi à s’imposer en Allemagne dans des conditions historiques particulières : le traité(Nouvelle fenêtre) de Versailles en 1919 et l’humiliation qu’il a engendrée. Par la suite, on l’a vu ressurgir en France dans les années 70 avec la Nouvelle Droite(Nouvelle fenêtre). Mais aussi aux Etats-Unis dans les années 90. Un livre(Nouvelle fenêtre) y publiait une courbe de l’intelligence humaine mesurée par le QI avec une thèse simple : les Blancs sont plus intelligents que les Noirs. Donc inutile de dépenser de l’argent public pour des programmes sociaux au profit des seconds… 
 
Hitler au congrès du parti nazi à Nuremberg en septembre 1939 (BERLINER VERLAG/ARCHIV / DPA-ZENTRALBILD / DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP)

Je le répète : le nazisme est la logique de cette idéologie poussée au bout. Mais il faut voir que les théories indo-européennes se sont développées indépendamment des opinions politiques. Elles ont été débattues par des gens comme Antoine Meillet, qui a occupé une position centrale dans la linguistique française jusque dans les années 30 : lui défendait des idées socialistes. Elles ont également été discutées par ses célèbres élèves Georges Dumézil(Nouvelle fenêtre) et Emile Benvéniste(Nouvelle fenêtre) qui avaient des positions politiques radicalement différentes : le premier était Action française, le second proche des communistes !
 
Si tout cela n’est qu’un mythe, d’où viennent les Occidentaux ?
Dans l’état actuel des connaissances, on pense que les Occidentaux, mais aussi les autres humains, viennent tous d’Afrique. Un premier groupe d’individus, lointains descendants de Lucy(Nouvelle fenêtre), l’a quittée entre 1,5 et 2 millions d’années : il s’agit de l’homo erectus qui a donné naissance à l’homme de Neanderthal. Il y a 100.000 ans, un second groupe de 20.000 à 30.000 personnes, dites homo sapiens sapiens, est parti de la même région et s’est réparti sur l’ensemble de la planète, éliminant peu à peu homo erectus… Tous les humains descendent de ces deux groupes. C’est vous et moi ! Ensuite, ils n’ont cessé de se mélanger, dans leurs gènes comme dans leurs langues. 

  (DR)

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