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Les espionnes de la Première guerre mondiale

Le rôle important des femmes pendant la Première guerre mondiale est souvent méconnu. On sait encore moins que certaines d’entre elles ont travaillé avec une grande efficacité pour les services secrets des deux camps. Seul émerge de l’oubli le cas, devenu mythique, de la danseuse Mata Hari (fusillée en 1917). Mais qui n’aurait été qu’«une espionne de pacotille» (dixit «Le Point») !
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'infirmière britannique Edith Cavell, exécutée en 1915 par les Allemands pour avoir aidé des soldats alliés à passer de Belgique occupée aux Pays-Bas, pays neutre. (AFP - Ann Ronan Picture Library)

En 1914, les autorités françaises se méfiaient de l’espionnage, explique l’universitaire Chantal Antier dans un article de la Revue historique des armées. «C’est l’honneur du caractère français qu’il répugne de toutes ses forces à l’emploi de la traîtrise et de la perfidie», écrivait alors le journal Lecture pour tous. Résultat : les «services» de l’Hexagone ont pris du retard. Un retard qu’il a donc bien fallu combler.
 
Influencé par l’exemple britannique, l’état-major à Paris est peu-à-peu amené à prendre davantage en compte le rôle des femmes pour la fourniture d’informations sur le camp d’en face. «L’importance de leurs renseignements sur les déplacements des troupes ennemies, par route, rail ou air, leurs rencontres avec des officiers allemands, les informations fournies grâce à leur rôle auprès des blessés, des prisonniers, des déserteurs, se révèlent de plus en plus utiles», observe Chantal Antier.
 
A partir de 1915, des femmes commencent à rejoindre les rangs des services secrets. D’autant que «les commandements veulent remplacer les hommes espions, plus facilement repérables que les femmes», explique un article de La Croix. Elles feront souvent «preuve d’un redoutable professionnalisme».
 

Photo non datée de la danseuse et espionne néerlandaise Mata Hari, de son vrai nom Margaretha Zelle. (AFP - STR)

Aujourd’hui, la mémoire collective se souvient surtout de la danseuse et courtisane Mata Hari (de son vraie nom Margaretha Zelle), d’origine néerlandaise, apparemment plus mythomane qu’efficace. Travaillant tant pour les Allemands que pour les Français, cette «espionne de pacotille» «n’a jamais fourni la moindre information valable», estime Le Point. Sa vie, assurément romanesque et sulfureuse, est devenue un mythe porté au cinéma : en 1931, avec Greta Garbo (film de George de Fitzmaurice) ; en 1964, avec Jeanne Moreau (film de Jean-Louis Richard) ; en 2005, avec Sylvia Christel (film de Curtis Harrington).
 
Propagande de guerre
Côté britannique, l’Histoire a notamment retenu le nom de l’infirmière Edith Cavell qui dirigeait un hôpital de la Croix-Rouge à Bruxelles, ville occupée par les Allemands pendant le conflit. Son établissement accueille de nombreux soldats britanniques, belges et français. Edith Cavell fait passer la frontière à plusieurs centaines d’entre eux. Arrêtée à la suite d’une trahison, elle est soumise à un interrogatoire serrée. Elle est fusillée en 1915 avec ses compagnons.

Son histoire «émeut la presse et les diplomates du monde entier. Tous s’insurgent contre cet ‘‘assassinat’’». L’affaire sera ensuite récupérée par la propagande de guerre britannique. Celle-ci instituera un véritable culte patriotique : conception d’illustrations, rédaction de livres, fabrication d’objets divers à son effigie…
 
Côté français émerge notamment les noms de Louise de Bettignies, la «Jeanne d’Arc du Nord».

Gouvernante dans une autre vie, cette dernière s’engage en 1915 comme agent de renseignement pour le Secret Intelligence Service britannique. Son attachement à la religion catholique lui ouvre de nombreuses portes. Elle va alors animer un vaste réseau d’espionnage dans le nord de la France et en Belgique, territoires occupés par les Allemands. Réseau qui a  notamment fourni de nombreuses informations sur l’artillerie du Kaiser. Arrêtée, elle est condamnée à mort. Une condamnation finalement commuée en prison à vie. Transférée dans un bagne outre-Rhin, elle y mourra de la tuberculose.
 
Carte postale typique du culte patriotique entretenu autour du personnage de l'infirmière britannique Edith Cavell, fusillée en 1915 par les Allemands. On y voit l'infirmière, morte, étendue par terre, toute de blanc vêtue comme une sainte, avec debout près d'elle un Allemand (qui ressemble fort à Guillaume II) pistolet baissé... Traduction de la légende: «Miss Edith Cavell assassinée. (...) Souvenez-vous !» (AFP - The Picture Desk)

«Des yeux inquiétants»
Pour la Belgique, alors occupée par l’Allemagne, l’Histoire a retenu le nom de Gabrielle Petit, elle aussi recrutée par les services d’Albion. Sous le pseudonyme de Melle Legrand, «elle constitue un petit groupe d’agents chargés de surveiller les déplacements et les effectifs des troupes allemandes. Elle aide également de jeunes volontaires à rejoindre l’armée belge et diffuse de la presse clandestine», raconte Le Soir. Arrêtée, elle sera exécutée en 1916.
 
Et qu’en était-il du côté allemand? On sait que Berlin a recruté des Françaises qui seront fusillées par leurs compatriotes. On connaît aussi le nom de «Fräulein Doktor Elsbeth Schragmüller», Mademoiselle le Docteur Elsbeth Schragmüller, qu’entoure une «véritable légende». Une espionne comme on les aime, avec ses «yeux d’acier, des yeux qui vous scrutent et vous transpercent, des yeux inquiétants», se souvient un agent français, selon des propos rapportés par l’universitaire Marianne Walle. Au-delà de son regard, l’espionne suscitait l’admiration pour ses qualités, notamment sa parfaite connaissance des enjeux stratégiques du temps et son sens des responsabilités.
 
Elle est notamment à l’origine du recrutement de Mata Hari. «Mais elle est rapidement déçue des résultats et en prévient ses chefs», constate Chantal Antier. Dans le même temps, ses ennemis lui attribuent la réalisation de nombreux exploits : livraison de la formule du gaz moutarde aux Allemands, bombardement de l’est de Paris en 1916 par un zeppelin qui aurait été guidé par des signaux lumineux…
 
Pourquoi n’est-elle pas mieux connue ? Un service de renseignement «ne défile pas sous l’Arc de triomphe. (…) Ce que nous avons fait ne nous appartient pas», expliquait un chef espion français de l’époque. Le sens du devoir et l’anonymat plutôt que la célébrité…

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