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La victime d’un attentat terroriste face aux arcanes de la justice en Europe
Guy Benarousse a été gravement blessé dans l’attentat antisémite de la rue des Rosiers à Paris, le 9 août 1982. Six personnes avaient été tuées et 22 autres blessées. Lui-même est resté handicapé. Il a raconté à Géopolis les imbroglios juridiques qui bloquent la tenue d’un procès. Imbroglios en France. Et en Europe.
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Le 9 août 1982 a bouleversé la vie de Guy Benarousse. Ce jour-là, il est grièvement blessé au cours de l'attentat antisémite perpétré rue des Rosiers à Paris: sa jambe est à moitié pulvérisée par un pistolet mitrailleur. Dans l’hôpital militaire où il est transporté, les médecins sont persuadés qu’il ne remarchera plus. Ils tentent pourtant une opération.
Six mois après l'attentat, il pose enfin le pied par terre grâce aux efforts de ses soignants. Mais aussi à tous ceux qu’il s’est imposés. Sa rééducation peut commencer.
Aujourd’hui, Guy Benarousse a toujours mal à la jambe droite (séquelles d'une phlébite grave). Le genou gauche est bloqué. Mais comme il l'a dit aux médecins militaires qui l’ont examiné: «Ça va !» Le taux de son invalidité est fixé à 60%. «Comme ça, au moins, en termes d'autorisation de prêt ou autre, ça rend la vie moins compliquée», affirme ce père de deux enfants.
Un procès qui n’arrive pas
En 1990, Françoise Rudetzki, fondatrice de l’association S.O.S. Attentats, obtient de l'Etat français la reconnaissance du statut de «victimes civiles de guerre» pour les personnes touchées par des attentats ou prises en otages. Un soulagement pour Guy Benarousse.
Reste un très gros point noir: un procès qui n’arrive toujours pas. Trois mandats internationaux ont été lancés par la justice française depuis 2006 sans succès. Aucun des trois suspects n’a pu être entendu. Chacun est exilé dans un pays différent. L’un d’eux, Walid Abdulrahman Abou Zayed, vit aujourd’hui en Norvège. «Le droit international, les règles juridiques, sont complètement inadaptés face au terrorisme», constate Françoise Rudetzki. Avant de conclure: «On s'achemine vers un procès par défaut (en l'absence des accusés, NDLR)».
Obstacle norvégien
Géopolis a demandé à l’ambassade de Norvège à Paris les raisons qui rendent impossibles l'extradition de Walid Abdulrahman Abou Zayed. La représentation diplomatique n’a apporté qu’une réponse très laconique: «Des contacts sont engagés avec les autorités compétentes», a-t-elle simplement indiqué.
Naturalisé norvégien, Walid Abdulrahman Abou Zayed vit depuis 1991 à Skien, petite ville au sud-ouest d'Oslo. Ses proches nient toute implication dans l’attentat de la rue des Rosiers. Pour eux, «il y a erreur sur la personne». «Mon mari n'a jamais tué personne (…), n'est jamais allé en France», a affirmé sa femme au Figaro.
«A ce jour, d'une manière générale, il n'y a pas de disposition juridique en Norvège permettant d'expulser un citoyen norvégien vers la France ou tout autre pays», déclare un responsable du ministère public norvégien sous couvert d'anonymat. Il précise également que pour Oslo, «un acte terroriste perpétré en 1982 serait couvert par la prescription». Des propos confirmés à l'AFP par le ministère de la Justice et au sein des services antiterroristes du pays scandinave.
Il faut dire qu’en droit norvégien, le délai de prescription pour homicide est de 25 ans au moment des faits. Or, l’attentat de la rue des Rosiers a eu lieu il y a 33 ans...
Une loi supprimant toute prescription pour «actes de terrorisme graves» a certes été votée en 2013 par le parlement norvégien. Problème : elle n'a pas d'effet rétroactif.
La situation pourrait toutefois évoluer : l'Union européenne négocie actuellement avec la Norvège l'adoption d’un dispositif de mandat d'arrêt européen. Le système permettrait d'accélérer la remise d'une personne recherchée aux autorités d'un autre pays dans le cadre d’une coopération judiciaire.
Victime en colère
Le combat de Guy Benarousse est loin d'être achevé. Au niveau judiciaire, évidemment. Mais aussi au niveau administratif. «Par exemple, la case ‘‘victime d'attentat’’ n'existe pas dans la nomenclature de la Sécurité sociale» française, explique-t-il. «Par ailleurs, aujourd’hui, grâce à la reconnaissance du statut de victime, le soutien psychologique post-traumatique dont je bénéficie m’aide ainsi que l'accompagnement de l'Association française des victimes du terrorisme. Mais il m'a manqué pendant de longues années», ajoute-t-il.
Guy Benarousse est une victime en colère. Il en veut aux politiques qui ont rendu, estime-t-il, «des terroristes fréquentables». «Je pense à toute la famille Assad», précise-t-il. Il attend avec impatience le procès de l'exilé norvégien et des autres. Et de poursuivre: «Nous vivons dans des Etats de droit. Il ne devrait y avoir aucune justification à tuer ou blesser des civils, aucune justification à ne pas pouvoir les juger.»
Guy Benarousse s’est fixé un autre rendez-vous chaque 11 mars, à l’occasion de la Journée de l’UE en mémoire de toutes les victimes d'attaques terroristes en Europe et dans le monde. Le 11 mars 2015, il était présent à Bruxelles, à l’occasion du 11e anniversaire des attentats de Madrid (191 tués et au moins 1800 blessés).
A cette occasion, les deux vice-présidents de la Commission européenne, Frans Timmermans et Frédérica Mogherini, ont déclaré: «Aujourd'hui, nous nous souvenons et rendons hommage aux personnes qui ont perdu leur vie dans des attentats terroristes en Europe et dans le monde, nous exprimons notre sympathie et notre soutien sincère à ceux qui portent encore les cicatrices physiques et mentales de ces actes abominables.» Guy Benarousse souhaite qu’au-delà de ces paroles apaisantes, les actes suivent.
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