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La peur de l'immigration se répand en Europe

Bateaux en perdition venant de Turquie, Syrie ou Libye vers l’Italie, manifestations en Suède et en Allemagne, arrivées en Espagne, polémiques en France ou au Royaume-Uni, l’immigration s’invite en Europe comme sujet politique de l’année 2015. Tour d’horizon d'un phénomène qui agite toute l'Europe, même des pays peu touchés jusque-là comme l'Allemagne ou la Suède.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Manifestation anti immigration de Pegida à Dresde en Allemagne le 22 décembre 2013. (KAY NIETFELD / DPA / AFP)

En 2014, ce sont plus de 207.000 migrants qui ont tenté de traverser la Méditerranée, un chiffre presque trois fois plus élevé que le précédent record de 2011, selon les chiffres donnés par le Haut Commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme. Derrière la froideur de ces chiffres, il y aussi le drame des quelque 3.419 migrants qui ont perdu la vie en mer, toujours selon l'ONU.

21 millions d'immigrés non communautaires ?
Front national de Marine Le Pen en France, Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP ) de Nigel Farage en Grande-Bretagne, Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders aux Pays-Bas, Aube Dorée en Grèce, Démocrates de Suède... entendent surfer sur ce thème.

Dans une Europe en panne de croissance, les chiffres (plus ou moins officiels) de l'immigration extracommunautaire font état de 21 millions de personnes. Un chiffre à rapporter aux 500 millions d'habitants de l'Union européenne.

Ils sont utilisés par de nombreux partis politiques de droite ou extrème-droite qui critiquent leurs gouvernements sur le thème de l'immigration. Les chiffres indiquent la provenance de ces étrangers: 37 % d’Européens dont le pays ne fait pas partie de l'UE (principalement turcs, albanais et ukrainiens), 25% d'Africains, 21 % d’Asiatiques et 15% d'Américains. 

Le graphique suivant montre les destinations des migrants au sein de l'UE.


Immigration non communautaire par pays (source eurostat) graphitque venant de TV5 (source Eurostat) (Create infographics)


Allemagne 
«Européens patriotes contre l'islamisation du pays»...C'est le mouvement qui monte en Allemagne. Ce groupe, Pegida, a organisé des manifestations qui ont réuni des milliers de personnes dans les rues de Dresde (Saxe dans l'Est du pays) ces dernières semaines. Elles ont  aussi essaimé dans plusieurs villes d'Allemagne.

Le mouvement qui inquiète l'Allemagne semble dépasser le simple cadre de l'extrème-droite. «Chaque lundi à la nuit tombée, le mouvement enfle. De 500 participants, on est passé à 10 000 en quelques semaines. Jeunes, vieux, hommes, femmes et même des familles ; la société civile semble se mobiliser. Et si quelques centaines de néonazis et une poignée de fonctionnaires du parti d’extrême droite NPD se mêlent aux drapeaux noir, rouge et or ou aux croix hissées au-dessus de la foule, ils semblent noyés dans le mouvement. "C’est très surprenant, explique Werner Patzelt, politologue à l’université de Dresde. C’est comme si quelque chose qui n’attendait que ça venait de se cristalliser… Pegida est né du fait qu’une partie importante de la population se rebelle contre un développement sur lequel on ne l’a pas consultée et qui n’a jamais été débattu : le fait que l’Allemagne devienne une terre d’immigration"», racontait Libération.

L'ampleur de ce phénomène a obligé la chancelière Angela Merkel à en parler lors de ses voeux du 31 décembre. Elle a appelé ses concitoyens à ne pas participer aux manifestations anti-islam en Allemagne, estimant qu'elles étaient organisées par des gens au «coeur» rempli de «préjugés» et de «haine». Ces manifestations s'inscrivent dans un contexte plus large dans lequel apparaît, même en Allemagne, un certain euroscepticisme.  

Le nombre de demandeurs d'asile a plus que doublé cette année en Allemagne, notamment en raison du conflit syrien, et l'immigration nette est son niveau le plus élevé depuis 20 ans, ce qui semble inquiéter une partie de la population. 

Les partis officiels et les économistes ont beau expliquer que l'immigration est une chance pour l'Allemagne, il semble que le mouvement prend de l'importance dans ce pays dont la population pourrait tomber de 82 millions à 74,7 millions de personnes d'ici 2050, voire même 65 millions d'ici à 2060, loin derrière le Royaume-Uni ou la France.

Le cargo Azedeen arrivé en Italie avec des centaines de migrants.  2 janvier 2014 (ALFONSO DI VINCENZO / AFP)

Italie
L’Italie continue de recevoir des milliers de migrants qui prennent tous les risques pour franchir la Méditerranée. Le jour de Noël, ce sont quelque 1.300 personnes qui ont été secourues en plusieurs opérations au large de la Sicile. 
 
Ces derniers jours, ce sont des cargos entiers qui sont arrivés avec chacun plusieurs centaines de passagers à bord.
 
Du 1er janvier au 17 décembre 2014, selon les dernières statistiques du  ministère de l'Intérieur, 167.462 immigrés sont arrivés en Italie par la mer, selon le ministère italien de l'Intérieur: soit une moyenne de 477 par jour. Selon les chiffres officiels, ils étaient partis de Libye pour plus de 80% d'entre eux et le reste d'Egypte et de quelques autres pays.
 
L’Italie ne connait pas réellement de mouvement anti-immigration, même si des bouffées de violences peuvent apparaître. Pourtant, la Ligue du Nord entend se positionner sur ce créneau pour progresser dans toute l’Italie; «Noi con Salvini» (nous avec Salvini, nom du chef de la Ligue du Nord), sera le nom de son mouvement dans le  sud du pays, la Ligue du Nord gardant ce nom dans les régions septentrionales du pays, où elle est implantée depuis plus de 20 ans.

Royaume-Uni
La pression du parti Ukip sur la politique anglaise a mis l’immigration au cœur des débats au Royaume-Uni à quelques mois des législatives.  Mais dans le pays, c’est plus l’immigration au sein de l’UE qui semble faire débat. Sur ce thème et celui de la critique de l'Union européenne, Nigel Farrage, le leader du Ukip, a réussi à propulser son parti en tête des dernières européennes au Royaume-Uni.
 
Même le parti travailliste évoque l’immigration alors que les législatives de mai approche. M. Miliband, le leader des travaillistes, a ainsi promis de limiter l'accès aux prestations sociales des immigrés, pendant deux ans.

Manifestation de soutien le 2 janvier 2014 devant une mosquée de la ville suédoise d'Uppsala victime d'une attaque le 1er janvier.  (ANDERS WIKLUND / TT NEWS AGENCY / AFP)

Suède
Une bombe incendiaire a été lancée contre une mosquée de la ville d'Uppsala dans la nuit 1er janvier, la troisième attaque de ce type en huit jours en Suède. Le premier ministre suédois, Stefan Löfven, a appelé à condamner fermement ces attaques qui surviennent alors que le débat autour de l'immigration et de l'intégration des réfugiés s'intensifie dans ce pays traditionnellement tolérant mais où des explosions de violence ont eu lieu dans certains quartiers.

Il est vrai que dans cet état peu marqué par la culture de l'immigration, le nombre de réfugiés augmente. Le pays a du enregistrer plus de cent mille demandes d'asile en 2014, un record.

Une force politique est venue bousculer l'alternance entre sociaux-démocrates et conservateurs : les Démocrates Suédois qui surfent sur le discours anti-immigration et anti-Europe. Le parti a réussi à prendre sa place au parlement suédois et à gagner des sièges lors des dernières européennes.


Migrants sur une des clôtures entourant l'enclave espagnole de Melilla en territoire marocain (mars 2014). (JOSE COLON / AFP)

D'autres pays européens du sud font face aussi à des arrivées de migrants mais les réponses politiques ne sont pas les mêmes. Près de 150 migrants ont été secourus au large de l'Espagne depuis le 30 décembre alors qu'ils tentaient pour la plupart de traverser dans des embarcations de fortune la Méditerranée. L'Espagne a enregistré l'entrée de quelque 4700 migrants via ses enclaves marocaines de Melilla ou Ceuta. Pourtant l'extrème-droite reste quasi inéxistante dans le discours public, même si le gouvernement de droite essaye de faire passer des lois pour tenter de limiter l'immigration. En Grèce, en revanche, Aube Dorée, parti néo-nazi, a réussi à marquer le paysage politique en n'hésitant pas à s'en prendre physiquement aux immigrés qui s'installent ou traversent le pays.


En France, le Front National, notamment, surfe sur la thématique de l'immigration. Sur l'arrivée des bateaux épaves en Italie, Marine Le Pen a proposé «une politique clairement dissuasive» visant «un rapatriement systématique des navires vers les pays d'origine, et non de destination. C'est la seule façon de tarir progressivement le flux de cargos vers le continent européen». A droite, on évoque régulièrement une réforme des traités de Schengen.

Une Europe vieillissante
Les économistes semblent pourtant tous d'accord sur l'importance de l'immigration dans un continent à la population vieillissante.
 «Si vous fermez la porte (à l'immigration ), vous en paierez le prix économique», explique Jean-Christophe Dumont, spécialiste des migrations internationales à l'OCDE.

Entrées illégales en Europe selon Frontex (Frontex)

La pression migratoire est notamment due à la déstabilisation de régions entières, et tout particulièrement celle de la Libye à la suite du conflit qui a renversé Khadafi. En effet, les chiffres de l'immigration italienne montre que 80% des migrants partent des côtes libyennes. Le conflit en Syrie est une autre raison des chiffres importants de demande d'asile dans de nombreux pays d'Europe.

Face à cela, l'Europe apparaît divisée et sans politique claire malgré plusieurs sommets consacrés à la question. La lutte contre les trafiquants utilisant de «nouveaux moyens» pour entrer dans l'UE sera l'une des «priorités» de l'Union européenne en 2015, a néanmoins déclaré Bruxelles en ce début d'année.

Le président de la Commission européenne,  Jean-Claude Juncker, a appelé de ses voeux un «renforcement des capacités opérationnelles de Frontex».  En présentant son programme devant le Parlement européen en juillet, il avait demandé aux Etats membres de l'UE de «mettre en commun plus de ressources  pour renforcer le travail de Frontex et mettre en place des équipes européennes  de garde-frontières». Pour le nouveau patron de la commission «cette tâche incombe conjointement à tous les États  membres de l'UE, au Nord comme au Sud, et doit être assumée dans un esprit de solidarité». Une façon de souligner l'absence de solidarité qui marque ce dossier en Europe et qui a poussé l'Italie à abandonner, pour des raisons budgétaires, son opération «mare nostrum» qui a permis le sauvetage de milliers de migrants.

Cependant, le nouveau commissaire en charge de ce dossier a apporté des indications sur une modification de la position de Bruxelles sur certaines dispositions techniques.

Une récente enquête de l'UE montre que le sujet pèse fortement sur les opinions publiques. 
«L’immigration est un sujet de préoccupation des Européens. La plupart des Européens (52 %) ont une opinion positive de l'immigration des personnes provenant d'autres États membres de l'UE. En revanche, ce nombre chute lorsqu’il s’agit des migrants issus de pays non-membres de l’UE. En effet, il n’atteint plus que 37 %». Les partis surfant sur cette question n'ont pas fini de se faire entendre

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