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Elections européennes : quatre mois après sa création, le Brexit Party veut "changer la politique pour de bon" au Royaume-Uni

Les Britanniques se rendent aux urnes jeudi pour élire leurs eurodéputés. Organisées à la dernière minute, ces élections qui, traditionnellement, mobilisent peu, marquent l'émergence cette année d'une toute nouvelle force : le Brexit Party. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz - Envoyée spéciale à Gloucester
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La tête de liste aux élections européennes dans la circonscription du sud-ouest du Royaume-Uni, Ann Widdecombe, à Gloucester, mercredi 22 mai 2019.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Qu’ils en veuillent ou non, les Britanniques ne viennent-ils pas de l’obtenir, ce fameux second référendum sur leur sortie de l’UE ? Ironie du sort, il s’agit des élections européennes. Jeudi 23 mai, les électeurs d’outre-Manche doivent choisir leurs eurodéputés. Alors que le gouvernement de Theresa May a obtenu une rallonge jusqu’au 31 octobre pour convaincre son Parlement divisé de valider son accord de sortie négocié avec Bruxelles, les futurs ex-heureux élus ne devraient siéger qu’une poignée de semaines avant de quitter définitivement Strasbourg. Dans ce contexte un brin absurde (même selon les standards britanniques), le Brexit Party devrait faire une entrée fracassante sur l’échiquier politique. Donnée triomphante par tous les sondages, la nouvelle formation anti-Union européenne de Nigel Farage, qui a quitté le Ukip fin 2018, n’existe pourtant que depuis janvier.

Comment expliquer cette ascension fulgurante ? Franceinfo a cherché la réponse à Gloucester, une ville moyenne qui, non loin de la frontière galloise, a accueilli le dernier meeting de campagne du parti avant le D-Day.

Un positionnement populiste assumé

"Qu’est-ce que nous voulons ? Le Brexit ! Quand le voulons-nous ? Maintenant !" Face à quelque 300 personnes rassemblées dans le Gloucester Guildhall, Paul Soden s’improvise chauffeur de salle. La veille, ce restaurateur de la ville, qui se présente au micro en tant que "brexiter lambda", a assisté à un meeting du Brexit Party à Londres. L’enthousiasme observé dans la capitale lui a fait monter "les larmes aux yeux", confie-t-il sur scène. Alors, de retour chez lui, il propose à l’assemblée de se lâcher un peu et invite la foule à brandir pancartes et drapeaux. Dans les gradins de la salle de spectacle, l’assistance s’exécute à grand renfort de "woohoo !"

Des supporters du Brexit Party lors d'un meeting à Gloucester (Royaume-Uni), le 22 mai 2019.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

"Nous voulons changer la politique pour de bon", "nous ne sommes plus en démocratie", "nous voulons une vraie liberté d’expression", "une alternative", etc. Au détour de généralités, les interventions des interlocuteurs qui se succèdent à la tribune donnent à comprendre le positionnement de ce parti populiste assumé : les références à Donald Trump sont applaudies, Theresa May, le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn ou encore le président de la Chambre des communes John Bercow sont mentionnés dans les huées. On rit du Guardian et de la BBC, on loue la liberté qu’apportent les réseaux sociaux et on s'agace face à des médias qui "nous traitent de racistes et d’imbéciles".

Ici, tous ont rejoint le parti il y a quatre, cinq ou six semaines. Et déjà, ils ont de quoi se réjouir. Dans cette circonscription du sud-ouest de l’Angleterre, un récent sondage YouGov crédite le Brexit Party d’un score inespéré pour une formation naissante : 42% des intentions de vote, soit 3, voire 4, des 6 sièges attribués à la région.

Il y a trois ans, la ville de Gloucester avait voté à 58,5% pour le Brexit et c’est dans le vaste pub de Paul Soden, en plein cœur du centre-ville piétonnier, que les partisans du "Leave" avaient célébré leur victoire toute la nuit. "Cette ville n’est pas tout à fait comme les autres", explique Richard Ford, une figure politique locale passée au Brexit Party. A quelques heures du meeting, il a donné rendez-vous à d’autres militants autour d’une table du pub. Le parti, trop jeune, n’a d'ailleurs pas de QG en régions. "Gloucester est l'une des villes qui a le plus voté pour le 'Leave' dans le Sud-Ouest. Mais c'est surtout une ville considérée comme un 'swing seat'", explique-t-il entre deux coups de fil et trois poignées de main.

L'électorat de la ville balance d’un parti à l’autre en fonction des élections, sa particularité étant qu’il vote traditionnellement comme le reste du pays.

Richard Ford, membre du Brexit Party à Gloucester

à franceinfo

Et sur le terrain, une tendance très claire s’est dessinée après le lancement, parNigelFarage, de la campagne duBrexitParty, le 12 avril.

"Quand on s'installe avec des panneaux du Brexit Party dans la rue, les gens viennent spontanément nous dire qu'ils voteront pour nous", explique Rob McCormick. Ce militant, ancien électeur du Parti travailliste passé par les eurosceptiques du Ukip avant de rejoindre le Brexit Party le mois dernier, n’aurait jamais pensé "qu’on militerait encore pour le Brexit en 2019".

"Les partis de classe, c'est terminé"

Pour autant, l'élan n'a pas faibli, au contraire. "L’atmosphère est la même qu’en 2016. Les gens sont même encore plus motivés, car ils sont en colère. Les 'leavers' n’ont pas disparu après le référendum. Les gens qui ont milité pour le Ukip ou pour Vote Leave n’ont pas changé d’avis, ils sont toujours là ! En ne réalisant pas le Brexit, le gouvernement et le Parlement les ont trahis." Avec ces européennes, "le Brexit Party leur donne l’occasion d’envoyer un message fort à Westminster."

Rob McCormick, militant du Brexit Party, à Gloucester, au Royaume-Uni, le 22 mai 2019.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Surtout, le Brexit Party se nourrit de la désintégration de ses rivaux. "Rob a longtemps voté travailliste. Pour ma part, j’étais conservateur. Et nous voilà aujourd’hui, comme des frères dans le Brexit Party", explique Richard Ford tout sourire. "Le temps où les ouvriers votaient pour le Labour et les cols blancs pour le Parti conservateur est révolu depuis longtemps, poursuit-il. Les partis de classe, c’est terminé. Ce qui vous définit aujourd’hui, c’est votre positionnement vis-à-vis du Brexit." Or, ceux qu’il appelle "les dinosaures" – "Tories" et "Labour" – n’ont jamais tranché. Divisé, le Parti conservateur ne semble même plus vouloir lutter contre la perspective d’un échec cuisant, assuré d’être sanctionné pour sa mauvaise gestion du Brexit.

Incapable de se positionner, le Labour ne convainc guère plus les "leavers" que les "remainers", partisans du maintien dans l'UE. Les pro-Brexit des deux camps viennent ainsi grossir les rangs du Brexit Party, lequel exhibe dans son nom la simplicité radicale de son programme. Mais si le jeune parti a pu en quelques semaines se hisser là où il est aujourd’hui, c’est grâce aux forces vives d’un autre mouvement à la dérive : le Ukip. Rob McCormick, Paul Soden et Richard Ford sont tous passés par ses rangs. Tous viennent juste de le quitter.

Des jeunes sur la scène où se déroule un meeting du Brexit Party, le 22 mai 2019, à Gloucester (Royaume-Uni).  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

En février 2018, Gerard Batten a pris les commandes du parti fondé par Nigel Farage, avec une ambition : assumer un positionnement à l’extrême droite du spectre politique. Pour ce faire, il s’est entouré de figures ô combien controversées, telles que l’ancien leader du mouvement d'extrême droite English Defense League, Tommy Robinson, ou le youtuber alt-right Carl Benjamin, en troisième position sur la liste Ukip dans la circonscription du Sud-Ouest. Un candidat "misogyne, raciste et antisémite", s'indigne Rob McCormick, qui a poussé dans les bras du Brexit Party l’essentiel de ses troupes. Mi-février, huit eurodéputés Ukip en exercice – avec 18 sièges, le parti eurosceptique était le premier parti britannique à Strasbourg après le scrutin de 2014 – ont fait défection, et tous les sondages indiquent que les électeurs feront de même.

Enfin, la nomination choc de Gerard Batten a eu pour effet de normaliser le personnage de Nigel Farage. Pourtant régulièrement épinglé – voire aspergé de milkshake – pour ses sorties racistes, il apparaît désormais comme un homme capable de rassembler tous les "brexiters" sous cette nouvelle bannière.

Une ex-ministre conservatrice comme tête de liste

L’aile droite du Parti conservateur est séduite. Ann Widdecombe ne s’en cache pas : "Je n'aurais jamais rejoint le Ukip, balaye la tête de liste du parti dans le sud-ouest du pays. Mais quand Nigel Farage a lancé le Brexit Party, je me suis dit que c’était le moment ou jamais de prendre une décision." Pour se lancer dans la course aux européennes, cette ancienne ministre conservatrice sous John Major (entre 1995 et 1997) a mis un terme à sa retraite. Quelques instants avant de monter sur la scène du Gloucester Guildhall, elle raconte : "J'étais en croisière en Norvège. J’ai demandé le numéro de Nigel Farage à quelqu’un que je connais et je l’ai appelé." Sa réaction ? "Il était ravi", lance simplement celle qui fut encartée chez les conservateurs pendant 55 ans.

La tête de liste aux élections européennes dans la circonscription du sud-ouest du Royaume-Uni, Ann Widdecombe, à Gloucester, le 22 mai 2019.  (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Et pour cause : la popularité d’Ann Widdecombe se mesure à l’applaudimètre lors de son entrée en fanfare sur la scène. A 71 ans, elle n'est pas qu'un visage connu de la droite conservatrice. Elle est à la fois expérimentée et médiatique, de cette façon qui n'appartient qu'aux politiciens britanniques. En 2010, elle s'est réinventée en star de la téléréalité, en apparaissant dans "Danse avec les stars" puis, quelques années plus tard, dans "Celebrity Big Brother". "Si on fait un bon score demain, il y a fort à parier que nous attirerons encore bien d'autres visages connus", présage-t-elle. Et plutôt chez les poids lourds de la politique que chez les vedettes du petit écran.

Du neuf avec du vieux ?

Derrière Ann Widdecombe et ses colistiers, des militants ont été installés sur la scène. Des places privilégiées attribuées à quelques jeunes gens, d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, pourtant rares dans les gradins. Cela n'empêche pas les différents interlocuteurs de faire valoir tour à tour les avantages de la diversité du Brexit Party. "Avec cette diversité, nous pouvons faire office d'exemple et montrer qu'il est possible d'avoir ces débats dont nous avons tant besoin. Nous pouvons aussi faire preuve de la créativité nécessaire à l'élaboration d'un nouveau chemin", s’enthousiasme Nicola Darke, jeune femme qui clôture la liste du Brexit Party.

Alors que le parti n'a pas encore dessiné la ligne politique qu'il suivra une fois tournée la page des européennes, l'occasion de remporter une élection sans avoir à siéger fait de ce scrutin une aubaine pour la jeune formation, pour l'instant rassemblée derrière un mot d’ordre qu'elle ne peut guère contribuer à mettre en œuvre, faute de représentation au Parlement. Ainsi, ce scrutin n’est qu'un tremplin vers des "élections générales qui pourraient arriver plus vite que prévu", note un militant qui mise sur la fin prochaine de l'ère Theresa May.

Impossible pourtant de savoir de quoi l’avenir du Brexit Party sera fait, tant son destin est lié à la sortie (ou non) du Royaume-Uni de l’UE. A en croire les sondages, Ann Widdecombe est assurée d’un siège à Strasbourg. Mais un siège pour combien de temps et, surtout, pour quoi faire ? "Que je sois élue pour cinq jours ou pour cinq ans, je suis prête à me battre de la même façon", lâche-t-elle à franceinfo. Et de répéter : "Demain, ce n'est pas la fin. Ce n'est que le début."

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