Brexit : "J'ai voté pour rejoindre l'Europe en 1975 et je veux en sortir"
Parmi les électeurs âgés du Lincolnshire, la transformation de l'Europe des débuts en "machine énorme" incite certains à vouloir revenir à un Royaume-Uni "indépendant".
"Olééé olé olé oléé..." Mégaphone en main, drapeau anglais dans le vent, Brian Rush roule à la vitesse d'un tracteur dans les rues d'Hubberts Bridge, dans l'est de l'Angleterre. Il a tout du supporter de foot un peu fou, harranguant les habitants de ce paisible village aux pelouses parfaites. Mais Brian Rush n'est pas là pour cela. En cette fin de journée, mardi 21 juin, ce conseiller municipal convie les électeurs à une réunion publique en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Ils sont une trentaine à avoir répondu à son appel, dont plusieurs élus locaux du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (Ukip), et un député conservateur en tête d'affiche. Des fanions aux couleurs de l'Angleterre et du Royaume-Uni sont accrochés au plafond, dans le bar du Orchard Holiday Park qui accueille le meeting. Qu'ils aient opté pour un thé ou pour une bière, les participants partagent presque tous deux caractéristiques : leur âge avancé et leur défiance envers l'Union européenne.
Les personnes âgées ont connu le référendum organisé en 1975 pour décider, déjà, du maintien ou non dans l'UE. A l'époque, le "oui" l'avait emporté avec 67% des voix. Ici, dans le Lincolnshire, berceau de Margaret Thatcher, le score avait atteint 75%. "Comme beaucoup de gens dans cette salle, j'ai voté pour rester, parce qu'on nous présentait l'Europe comme une simple zone de libre-échange, se souvient Mike Beecham, 68 ans, membre de Ukip venu d'une ville voisine. C'était bien, et si cela était resté en l'état, nous n'aurions pas de raisons de nous plaindre aujourd'hui."
"On assiste au déclin de l'empire européen"
Mike Beecham s'interrompt. Il doit installer l'écran en face du vidéo-projecteur, car la réunion va débuter avec la diffusion du film de campagne Brexit, the movie, dénonçant le fonctionnement des institutions européennes. "L'Union européenne était un projet magnifique, fabuleux, pour commencer, regrette Colin Mair, 65 ans, qui a voté "oui" en 1975. Mais c'est devenu une machine énorme qui avale tout, avec des commissaires que les gens n'ont pas élus."
Ce conseiller régional Ukip estime que la bureaucratie est en train de conduire l'Union européenne à sa chute. "On assiste au déclin d'un empire, explique-t-il. Tous les empires sont morts de leur oisiveté, de leur torpeur. C'est pareil ici : l'UE est trop lente à décider, alors qu'on est dans un monde où il faut savoir réagir rapidement." Il espère qu'un Brexit aura un "effet domino" sur les autres pays et que l'Europe pourra repartir sur de nouvelles bases - qu'il peine à détailler.
Hubberts Bridge est situé au cœur des Fens, une région marécageuse convertie en champs, réputés pour leur fertilité. On y traverse des plantations infinies de pommes de terre, de choux, de poireaux ou encore de laitues. "C'est une agriculture qui demande beaucoup de main-d'œuvre, car on ne peut pas utiliser de machines comme pour le maïs par exemple, précise Colin Mair. Cela a attiré beaucoup de travailleurs d'Europe de l'Est, qui travaillent dur, et beaucoup de problèmes avec."
Revoir les règles d'immigration européenne
En janvier, la ville voisine de Boston a été désignée par un rapport d'un think-tank comme étant "la ville la plus divisée du Royaume-Uni", selon le site de The Independent (en anglais). Ici, plus d'un habitant sur dix est originaire d'Europe de l'Est (un record outre-Manche) et le mélange des communautés est difficile. Boston possède aussi le taux de criminalité par habitant le plus élevé du pays, selon le site du Daily Mail (en anglais).
Une ambiance lourde, qui fait de l'immigration un des thèmes centraux de la campagne locale pour le Brexit. "Beaucoup de ces migrants sont jeunes et fertiles, ce qui est une bonne nouvelle, car cela relance la natalité, reconnaît Colin Mair. Mais cela met aussi une pression sur les services publics, pour les places à l'école par exemple, et c'est dur à gérer en pleine austérité imposée par le gouvernement conservateur."
Une bière à la main, Peter Critchlow, 72 ans, coordinateur de la campagne "Vote Leave" dans une circonscription voisine, est inquiet pour l'emploi des jeunes. Bien qu'ayant récemment vécu en France pendant dix ans, il est de ceux qui veulent en finir avec la libre-circulation des travailleurs en Europe. "Aujourd'hui, les emplois locaux à faible qualification sont accaparés par des entrepreneurs venus de l'étranger, dit-il. Dans dix ans, ce seront des Européens bien plus qualifiés, qui auront gravi les échelons, qui viendront prendre nos emplois. Il faut partir avant cela."
Dans la salle, un des orateurs du soir appelle les participants à se mobiliser jusqu'au dernier moment en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. "Une façon de sauver l'UE d'elle-même", clame-t-il. Peter Critchlow, lui, résume en un éclat de rire ce qu'il fera en attendant les résultats jeudi : "prier pour le Brexit".
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