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La Bulgarie, entre tragique et comique, vue par le cinéaste Petar Valchanov
Dans «Glory», qui sort le 19 avril 2017, les cinéastes bulgares Kristina Grozeva et Petar Valchanov racontent l’histoire de Tzanko, cantonnier qui trouve une valise de billets et rend l’argent à la police. Il est alors décoré par un ministre flanqué de Julia, redoutable chargée de relations publiques. Une plongée ubuesque et kafkaïenne dans la Bulgarie de 2017. Rencontre avec Petar Valchanov.
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Tzanko est bègue. Il vit seul dans des conditions matérielles difficiles. Mais il reste honnête face au monde de la corruption, des politiques, des carriéristes et des mafieux. Un monde notamment incarné par Julia, personnage à la fois insupportable et attachant… Pour autant, ce film écrit simplement et traité sans pathos, mais humaniste et sensible, n’est en rien manichéen. Il donne envie de plonger plus avant dans le cinéma bulgare.
Malgré des séquences très drôles, «Glory» est un film très noir. Est-il un reflet de la Bulgarie d’aujourd’hui?
Effectivement, il reflète la réalité actuelle. Nous traversons une période de transition vers la démocratie. Une période qui dure quand même depuis 28 ans! Nous vivons dans une fausse démocratie. Depuis la chute du communisme, le 10 novembre 1989, nous avons certes eu des changements. On peut par exemple sortir du pays. Mais les gouvernements sont les mêmes. Même s’ils se parent d’un drapeau démocratique.
Pourtant, en 28 ans, de nouvelles générations ont accédé aux responsabilités. Les individus n’ont-ils pas changé?
Certes, la société est plus ouverte qu’avant. Mais la corruption a profondément touché la mentalité des Bulgares à tous les niveaux de la société.
Au final, cette société est à la fois drôle et tragique. En Bulgarie, on dit que l’on vit dans l’absurde. Le tragique et le comique vont main dans la main.
Est-ce un trait typiquement bulgare? Ou s’agit-il d’un héritage de la société communiste, à l’image de ce qui s’est passé dans les autres pays de l’ex-bloc de l’Est?
Effectivement, on trouve cela dans les autres Etats anciennement communistes. Et particulièrement dans les Balkans où tout est transitoire depuis des siècles: on y a connu cinq siècles de gouvernement ottoman, la Première guerre mondiale, la Seconde guerre, le communisme, la chute de celui-ci…
C’est cette réalité qui a servi de base au film. Nous avons voulu capter ce mélange de tragique, d’absurde, de comique et le rendre en image. Le film tente de donner une des images possibles de la réalité. Il s’inspire de la vraie vie. Evidemment, nous y avons ajouté une certaine dose de fiction.
Comment l’idée des personnages vous est-elle venue?
Les thèmes et les personnages s’appuient sur la réalité. Nous nous sommes inspirés d’articles de journaux. Pour The Lesson (sorti en 2015), nous y avons ainsi trouvé l’histoire d’une enseignante qui a braqué une banque. C’est aussi là que nous avons découvert l’affaire d’un cantonnier qui avait trouvé un tas de billets sur des rails.
Des personnages comme Tzako, le cantonnier, il y en a beaucoup en Bulgarie. C’est dit brutalement dans le film: lui gagne 350 levs (170 euros) par mois. Dans ce système corrompu, des gens comme lui doivent se débrouiller pour s’en sortir. Ce sont des individus qui vivent entre deux époques: le communisme et la période qui a suivi. Ils ont conservé certaines valeurs de la période précédente, notamment la sincérité, une certaine forme de pureté et d’innocence.
N’est-ce pas une idéalisation du passé stalinien?
C’est vrai qu’aujourd’hui, on a tendance à idéaliser l’époque communiste. A dire qu’avant le 10 novembre 1989, les gens étaient plus ouverts, plus sympas, plus tranquilles. Que régnait le calme et la paix, qu’on ne fermait pas les portes à clef. Qu’on se contentait de ce qu’on avait. En clair: c’était mieux avant, la vie était plus simple…
Mais en disant cela, on a tendance à oublier que cette période avait un prix: la censure, l’impossibilité de sortir du pays… Il fallait même une autorisation pour se marier dans la capitale!
Dans ce film, nous essayons de montrer les contradictions dans lesquelles se débat la société bulgare. Ce que l’on appelle la tragédie-comédie post-communiste.
La Bulgarie est membre de l’Union européenne depuis 2007. L’intégration dans l’UE n’a-t-elle pas contribué à faire évoluer les choses de manière positive?
C’est une intégration 100% positive! Mais les changements sont très lents. Le fantôme du communisme est toujours là: la corruption, la mafia… Cet héritage continue à nous étouffer. Je pense qu’il faudra deux ou trois générations pour que les mœurs et les esprits se purifient, pour que les mentalités changent.
Comment se porte le cinéma bulgare aujourd’hui?
La production n’est pas très importante: entre cinq et sept films sortent chaque année. Alors que se perpétue une forte tradition du cinéma d’avant 1989, on voit émerger aujourd’hui une nouvelle génération de cinéastes. Pour eux, il s’agit de montrer la réalité telle qu’elle est.
Est-il difficile de tourner dans votre pays? Y a-t-il de la censure?
Oui, c’est difficile! Mais pour le moment, nous ne connaissons ni censure ni pressions. De toute façon, ce que tu dis, tout le monde s’en fout! On a l’impression que les gens vivent sous anesthésie, qu’ils sont apathiques.
Dans le même temps, il est difficile de trouver des financements. Les politiques ne s’intéressent pas à la culture. Ils préfèrent construire des autoroutes!
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