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La Biélorussie, ce pays qui ignore Alexievitch et plébiscite Loukachenko
La Biélorussie, enclave méconnue entre Pologne, Russie et Ukraine, était au cœur de l'actualité en ce début octobre 2015. Jeudi 8, avec son premier Prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch, Biélorusse longtemps en exil. Dimanche 11, avec son «dernier dictateur européen», l'inamovible président Loukachenko, réélu avec un score soviétique.
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Pour la première fois, c'est une auteure biélorusse qui a reçu le prix Nobel de littérature 2015, décerné le 8 octobre. Née en 1948 en Ukraine de père ukrainien et de mère biélorusse, Svetlana Alexievitch a passé sa jeunesse en Biélorussie soviétique, y a étudié puis exercé le journalisme. Par la suite, elle s'est fait connaître dans le monde entier pour ses recueils de témoignages sur les grands traumatismes de l'époque soviétique – la Seconde guerre mondiale avec La guerre n'a pas un visage de femme ou Derniers témoins, la guerre russe d'Afghanistan avec Les Cercueils de zinc –, puis post-soviétique, avec La Fin de l'Homme rouge.
Premier Nobel de littérature pour une Biélorusse... de langue russe
Son œuvre, sorte de portrait-mosaïque de «l'homo sovieticus», ne peut s'écrire qu'en russe, s'est souvent justifiée l'écrivain. «Je me sens biélorusse de culture russe et cosmopolite», dit-elle. Pour cette raison, Svetlana Alexievitch n'est pas considérée en Biélorussie comme une voix de l'opposition. Le spécialiste de littérature russe Georges Nivat souligne qu'«elle n'est pas de ces indépendantistes biélorusses qui prônent l'emploi unique de la langue biélorusse (langue de haute ancienneté), ni de ceux qui s'autoproduisent, comme faisait le grand écrivain Vassyl Bykov».
Son travail porte pourtant bien aussi sur la Biélorussie, «pays supplicié, le plus martyrisé par Hitler, le plus soviétisé par l'URSS, le plus frappé par la Catastrophe, celle de Tchernobyl (...), poursuit Georges Nivat. La Biélorussie a souffert des partages d'empire, des ententes cyniques entre totalitarismes, de ses propres folies aussi. Elle n'avait pas d'usine atomique sur son sol, les vents de Tchernobyl ont fait d'une partie de son territoire une terre interdite. C’est elle que l'accident du 26 avril 1986 a ravagée avant tout ; d'immenses zones sont devenues inhabitables.» Pour le politologue biélorusse Alexandre Fedouta, «impossible de comprendre (les Biélorusses) sans lire les livres de S.Alexievitch» (lien en russe).
Parfum d'URSS
Si le petit territoire biélorusse (un tiers de la superficie de la France, 9,4 millions d'habitants) est méconnu hors de ses frontières, le travail de Svetlana Alexievitch l'est largement dans son propre pays. Introuvable en librairie, inconnu des circuits officiels de distribution. La dernière fois que l'un de ses ouvrages, Ensorcelés par la mort, sur la vague de suicides provoquée par la chute de l'URSS, y a été publié, c'était en... 1993 ! Chouchkievitch, le prédécesseur de Loukachenko, était encore au pouvoir. «C'était il y a vingt-deux ans !», s'indigne la correspondante en Biélorussie de la Novaïa Gazeta russe. A Moscou, ses livres vont être réimprimés – mais pas à Minsk.
Ici moins qu'ailleurs, la désoviétisation n'a pas eu lieu. «Nous n'arrivons pas à choisir le futur et restons accrochés à notre passé soviétique», analyse depuis longtemps le nouveau prix Nobel. Témoin de cette nostalgie, le reportage du Monde à Tchist, village des environs de la capitale Minsk. Les habitants plébiscitent un modèle essoufflé mais qui a fait ses preuves : paiement régulier des salaires, même maigres, habitations et équipements fournis par l'Etat... De toute façon, tout vaut mieux que la guerre comme en Ukraine voisine. Même aux dépens des libertés.
«Dictature douce»
Liberté d’expression, d’association, de rassemblement... des droits civils que le régime biélorusse est souvent accusé de ne pas respecter. C'est aussi le dernier Etat européen à appliquer encore la peine de mort. Pour incompatibilité avec le pouvoir, Svetlana Alexievitch s'était exilée en Europe en 2000, d'où elle continuait à dénoncer la «machinerie staliniste» dans son pays. Ces deux dernières années, elle est pourtant revenue en Biélorussie, où elle séjournait régulièrement mais qu'elle voit toujours comme une «dictature douce». Ce Nobel «va obliger le régime à m’écouter. Il peut signifier quelque chose pour tous les gens qui n’ont plus la force de croire», a-t-elle confié au quotidien suédois Svenska Dagbladet.
Le (toujours) président Loukachenko a attendu longuement, jusqu'au soir de l'annonce de son prix, pour la féliciter. L'écrivaine avait annoncé sa réélection et confié que si elle votait (elle ne l'a pas fait), ce serait pour la candidate de l'opposition Tatiana Korotkevitch, la seule à avoir fait un semblant de campagne, selon Libération. Cette dernière était peu crédible aux yeux des opposants biélorusses, qui voyaient en elle un alibi démocratique pour le régime. Elle a obtenu 4,42% des suffrages.
Le «dernier dictateur européen» réélu à la soviétique
C'est avec un taux de participation monstre de 86,75% que le «dernier dictateur d'Europe», au pouvoir depuis 1994, a pu s'offrir un cinquième mandat. Un taux record permis par l'ouverture d'un scrutin anticipé cinq jours avant la date officielle, mais qui reste sujet à caution. Les principaux dirigeants de l’opposition avaient appelé au boycott : ils n'ont pas pu se présenter, la commission électorale ayant rejeté leurs candidatures sous des prétextes variés. Quant au score final, il est mieux que soviétique : 83,49% des voix. Mieux qu'en 2010 (79,6%), et même qu'en 2006 (83%) !
C'est avec un taux de participation monstre de 86,75% que le «dernier dictateur d'Europe», au pouvoir depuis 1994, a pu s'offrir un cinquième mandat. Un taux record permis par l'ouverture d'un scrutin anticipé cinq jours avant la date officielle, mais qui reste sujet à caution. Les principaux dirigeants de l’opposition avaient appelé au boycott : ils n'ont pas pu se présenter, la commission électorale ayant rejeté leurs candidatures sous des prétextes variés. Quant au score final, il est mieux que soviétique : 83,49% des voix. Mieux qu'en 2010 (79,6%), et même qu'en 2006 (83%) !
Comme les élections précédentes, celle-ci est soupçonnée d'être entachée de fraudes. En 2010, des manifestations de l'opposition ont été violemment réprimées. A la suite de cette répression, l'Union européenne avait pris des sanctions qu'elle pensait depuis peu à lever. En gage de bonne volonté, le régime a libéré en août 2015 six prisonniers politiques, dont le principal opposant Mikola Statkevitch, en prison depuis cinq ans. Celui-ci a dénoncé une manipulation et appelé l'UE à maintenir ses sanctions. Une suspension provisoire de ces sanctions a finalement été décidée le 12 octobre 2015.
«Petit père des peuples» et d'une «graine de dictateur»
Le «batka» (la version biélorusse du «petit père des peuples») a glissé son bulletin dans l'urne avec à ses côtés son fils de 11 ans, repéré par la presse occidentale comme future personnalité politique, voire successeur de son dictateur de père. On avait déjà vu le petit Kolia (Nicolas) assister aux obsèques d'Hugo Chavez en 2013, recevoir un pistolet en or des mains de Dmitri Medvedev, alors président de Russie, ou avoir un geste de dédain envers ses grands frères – légitimes, eux. Le président lui raconte des histoires de Staline et d'Hitler pour l'endormir – c'est le site d'info du Kremlin, Sputniknews, qui le dit. La relation fusionnelle qu'entretient le président avec son troisième fils, conçu hors mariage, fait ricaner les réseaux sociaux biélorusses depuis longtemps.
Exercice délicat pour le «batka» : se rapprocher de l'UE sans fâcher Vladimir Poutine
L'économie biélorusse est dépendante des hydrocarbures, mais aussi des subventions et crédits de Moscou. Depuis la crise russe provoquée par la chute du marché pétrolier et les sanctions européennes, le PIB de la Biélorussie a chuté de 3,3% sur un an au premier semestre. Et cette année, le voisin russe, lui-même en petite forme, a réduit les crédits. Il faut dire que le positionnement ambigu de Loukachenko durant la crise ukrainienne l'a contrarié. Le président biélorusse n'a-t-il pas refusé de reconnaître la Crimée russe ? De soutenir les séparatistes pro-russes de l'est de l'Ukraine ? Et où s'est conclu le plan de paix entre Vladimir Poutine, Angela Merkel, François Hollande et Petro Porochenko en février 2015 ? A Minsk.
«Petit père des peuples» et d'une «graine de dictateur»
Le «batka» (la version biélorusse du «petit père des peuples») a glissé son bulletin dans l'urne avec à ses côtés son fils de 11 ans, repéré par la presse occidentale comme future personnalité politique, voire successeur de son dictateur de père. On avait déjà vu le petit Kolia (Nicolas) assister aux obsèques d'Hugo Chavez en 2013, recevoir un pistolet en or des mains de Dmitri Medvedev, alors président de Russie, ou avoir un geste de dédain envers ses grands frères – légitimes, eux. Le président lui raconte des histoires de Staline et d'Hitler pour l'endormir – c'est le site d'info du Kremlin, Sputniknews, qui le dit. La relation fusionnelle qu'entretient le président avec son troisième fils, conçu hors mariage, fait ricaner les réseaux sociaux biélorusses depuis longtemps.
Exercice délicat pour le «batka» : se rapprocher de l'UE sans fâcher Vladimir Poutine
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Après avoir intégré le partenariat oriental, piloté par l'UE, en 2009, la Biélorussie a rejoint l'Union eurasiatique, dominée par Moscou, en 2004. Ainsi, Loukachenko profite à la fois des aides européennes et des prêts accordés par Moscou et joue sur les deux tableaux. Pourtant, se trouver sous influence de Vladimir Poutine le rend assez peu crédible aux yeux de l'Union européenne.
Svetlana Alexievitch a ainsi conseillé à l’UE de se méfier de l'autocrate biélorusse. «Tous les quatre ans, de nouveaux responsables européens (...) pensent pouvoir régler le problème Loukachenko sans savoir que c'est un homme indigne de confiance.»
Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, n'a pas manqué d'ironiser. Son porte-parole voit dans ce Nobel «une bonne leçon pour Loukachenko. A chaque fois qu'il se prosterne devant l'Occident, celui-ci lui crache à la figure.» En tout cas, ce Nobel lui porte «un coup dans le dos, analyse le journaliste suisse Christof Franzen. Ainsi qu'à Vladimir Poutine, dans la mesure où Svetlana Alexievitch est souvent considérée comme un écrivain russe».
Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, n'a pas manqué d'ironiser. Son porte-parole voit dans ce Nobel «une bonne leçon pour Loukachenko. A chaque fois qu'il se prosterne devant l'Occident, celui-ci lui crache à la figure.» En tout cas, ce Nobel lui porte «un coup dans le dos, analyse le journaliste suisse Christof Franzen. Ainsi qu'à Vladimir Poutine, dans la mesure où Svetlana Alexievitch est souvent considérée comme un écrivain russe».
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