Grenier à blé de l’Europe, pôle sidérurgique important, les atouts de l’Ukraine sont connus. Mais depuis son émancipation, cette ex-république de l’URSS a du mal à développer une économie autonome, surtout que sa dépendance énergétique envers la Russie reste un atout important entre les mains de Moscou.
Plus grand pays d’Europe (si on ne compte pas l’immense Russie), l’Ukraine et ses 46 millions d’habitants peut compter sur des terres agricoles généreuses et un sous-sol minier très riche. L’URSS en avait fait son grenier à blé (après les terribles famines des années 30, connues sous le nom de Holodomor) et un de ses centres sidérurgiques les plus importants (le Dombass, région natale du président Ianoukovitch).
Ses ressources sont nombreuses (manganèse, fer, charbon et uranium) et l’emplacement de l’Ukraine, entre le monde russe et l’espace économique européen, lui donnent des atouts indéniables. Mais ce qui a fait sa richesse ne suffit plus aujourd’hui. La production de fer et d’acier, en partie cédée au groupe Mittal, et les exportations agricoles ne permettent pas d’équilibrer la balance du pays.
Le pays est resté très dépendant de ces deux secteurs économiques qui représentent près de 60% de ses exportations. Or, notamment en ce qui concerne l’acier, la concurrence internationale est très forte.
Des richesses nombreuses
L'un des principaux atouts de l'Ukraine reste son agriculture. Celle-ci représente d'ailleurs 20% de ses exportations. «Demain, l'Ukraine sera compétiteur sur l'exportation céréalière, comme il l'est déjà aujourd'hui en viande de volaille», explique Jean-Jacques Hervé chargé de mission à l'Index Bank et ex-conseiller du ministre ukrainien de l'Agriculture. Les investisseurs occidentaux n’ont d’ailleurs pas oublié ce pays qui, outre ses richesses naturelles, disposent d'une main d'œuvre bon marché.
Côté industrie traditionnelle, la mise à niveau est plus difficile. Les vieilles industries ont été obligées de s'adapter à la compétitivité et aux prix mondiaux, provoquant la fermeture de nombreuses unités. L'Ukraine a d'ailleurs décidé de céder ou de fermer de nombreuses mines de charbon. Une partie de sa sidérurgie a été privatisée, notamment au bénéfice du groupe Mittal. Mais preuve de la solidité des liens économiques issus de l’Histoire, la Russie est toujours le premier client de la métallurgie ukrainienne. Par ailleurs, il semble qu'une grande part des investissements réalisés en Ukraine provienne de Russie.
Sur le plan industriel, «l'Ukraine est renommée par ses constructions mecaniques et son industrie de transformation des métaux. Ses usines fabriquent les turbines à vapeur les plus puissantes dans le monde, les laminoirs gigantesques, de puissants excavateurs, des locomotives, des tracteurs, des tours automatiques, des appareils de haute precision, des automobiles et des avions, des navires, des téléviseurs, des postes de radio, des appareils de cinéma et de photo, des objets d’usage domestique les plus divers», précise le site de présentation de l’Ukraine dans un style, qui n'est pas sans rappeler celui de la grande époque soviétique.
Comptes dans le rouge
Malgré ces avantages, le solde commercial du pays affiche un déficit de 11,6% du PIB. Kiev reste en effet quasi totalement dépendant de l’énergie russe dont le prix ne cesse de monter. Résultat, la dette du pays atteint les 76% de son PIB et le pays enregistre un déficit budgétaire de 3,8% avec une croissance en berne en 2012 (+0,12%) après des années de croissance honorable (+5,2% en 2011, 4,1% en 2010, mais -14,8% en 2009).
Le FMI a suspendu ses interventions en faveur de l’Ukraine. L’organisation internationale demande en effet à Kiev des mesures radicales pour poursuivre ses financements, avec notamment une révision (à la hausse) du prix du gaz aux particuliers, une modification de sa politique de change (la monnaie nationale, la hrivna est en chute libre) et une consolidation budgétaire.
«L'économie de l'Ukraine montre des signes d'amélioration, mais des défis considérables demeurent. Flexibilité limitée du taux de change, important déficit budgétaire, et les pertes quasi budgétaires considérables dans le secteur de l'énergie, ont donné lieu à un important déficit du compte courant extérieur et une perte régulière des réserves de change», notait le FMI.
Des chiffres qui peuvent aussi s’expliquer par certaines faiblesses structurelles du pays. Au niveau des infrastructures, mais aussi en raison de l’image du pays. Ainsi, sur la question de la corruption, le pays est particulièrement mal classé. Transparency le situe au 144e rang entre l’Erytrée et la Syrie…
Population en baisse
Un chiffre témoigne des difficultés de l’Ukraine. La population a reculé de quelque 7 millions d’habitants entre 1996 et 2013. «A peu près stable à deux enfants par femme du milieu des années 1960 à la fin des années 1980, elle s’est brusquement effondrée dans les années 1990, jusqu’à 1,1 enfant par femme en 2001, l’un des taux de fécondité totale les plus bas d’Europe (…). La population ukrainienne est entrée dans une phase de déclin sous l’effet de pertes migratoires importantes combinées à un gigantesque déficit naturel (dû à une très faible fécondité alliée à une forte mortalité)», expliquel'Institut national des études démographiques (Ined).
Une interdépendance qui vient de loin
On l'a vu, Moscou et Kiev ont gardé des systèmes économiques très complémentaires. L'énergie est russe et dans certains secteurs, Moscou est de loin le premier client de l'industrie ukrainienne. «Les wagons de chemin de fer utilisés en Russie sont assemblés à l'usine Louhanskteplovoz en Ukraine, et certains tubes produits uniquement en Ukraine constituent une des principales exportations ukrainiennes vers la Russie. L'Ukraine accueillait environ 40% des centrales nucléaires à l'époque soviétique, et de nos jours elle exporte de l'électricité vers la Russie à partir de ces mêmes centrales nucléaires. En revanche, ces mêmes centrales sont alimentées par du carburant nucléaire russe (les projets de diversification sont en cours) dont l'uranium est extrait en Ukraine. Le constructeur aéronautique Antonov assemble les avions à Voronej, en Russie, à partir d'ailes et de moteurs produits en Ukraine puis exportés en Russie. Alors que l'Ukraine a hérité de grands chantiers navals déployés à proximité de la mer Noire, la Russie a gardé les ingénieurs capables de concevoir les vaisseaux. Les exemples se suivent et se ressemblent de l'aéronautique à la construction d'armes», notait en 2011 la Fondation Robert Schumann pour illustrer la complexité des rapports économiques entre les deux pays.
Kiev cherche sans doute à moins dépendre de Moscou, mais hésite à couper des liens structurels très forts entre les deux économies. Mais la crise actuelle dépasse les seuls aspects économiques. Entre une Russie qui cherche de nouveau à s'imposer sur la scène interationale et une Europe dans le doute, Kiev est plus que jamais entre les deux. Et Lénine, dont la statue vient d'être mise à terre par des manifestants ukrainiens, ne disait-il pas en 1918 : «Perdre l'Ukraine, c'est perdre la tête.»
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