"Je suis Dado" : un comique italien menacé par la mafia après une chanson
Le tort de Dado ? Avoir composé une chanson pour moquer les funérailles somptuaires d'un parrain de la mafia, à Rome. Visé par des menaces, il persiste et signe.
"Vittorio Casamonica, roi de Rome." L'affiche placardée sur l'église donne le ton. Carrosse antique tiré par six chevaux, pétales de rose largués par hélicoptère sans autorisation de vol et musique du Parrain... Le jeudi 20 août dernier, le clan des Casamonica n'a pas fait dans la dentelle, lors des funérailles somptuaires de son chef. Les images des festivités ont choqué les Romains et, parmi eux, un certain Dado, 44 ans. Sous ce pseudo, le comique Gabriele Pellegrini publie régulièrement des chansons satiriques sur des thèmes d'actualité. Cette fois, il détourne les paroles de Non viglio mica la luna – un tube italien des années 1980.
Dans cette chanson, Dado rêve de devenir un parrain, pour jouir de la bienveillance des autorités et mener grand train. "Je veux un adjoint à la mairie qui m'aide à voler, trente maisons à louer mais sans payer, être sans le sou mais rouler en Porsche." Les chevaux, les pétales de rose, la musique... Les paroles rejouent les spectaculaires funérailles de Vittorio Casamonica, à partir des détails livrés par la presse. "Avec mes coauteurs Marco Terenzi et Emiliano Luccisano, nous lisons les journaux, explique le quadragénaire à La Repubblica (en italien), et nous cherchons à rendre pop des informations qui ne le sont pas."
Je voudrais un cercueil flamboyant / Mon visage en grand devant l'église / Et un groupe qui joue les notes / du 'Parrain', roi de Rome.
Un symbole en plein scandale à la mairie de Rome
Pour comprendre l'impact de la vidéo des funérailles, il faut rappeler la crise sans précédent que traverse la capitale italienne, confrontée à une enquête sur un réseau mafieux infiltré dans la mairie, pendant laquelle est apparue le nom des Casamonica. L'affaire est si grave que la ville a été placée sous l'autorité d'un préfet, en lieu et place du maire, Ignazio Marino.
La chanson de Dado fait écho à la colère des Romains en évoquant "un maire à genoux" et en réclamant – non sans ironie – "un préfet qui chute depuis la Lune". Dado est devenu le porte-drapeau de cette fronde populaire, à deux mois du maxi-procès de 59 personnes plongées dans les affaires. Ce n'est pas un coup d'essai. En juin dernier, l'humoriste avait déjà détourné le tube d'Abba Mamma mia en Mafia mia.
"Tu les auras tout de suite, tes funérailles"
Certes, le comique est un coutumier des sujets sensibles, y compris du bouillant derby local entre la Roma et la Lazio. Mais cette fois, la violence et le nombre des commentaires lui ont donné le tournis. Les Casamonica, les Di Giorgio, les Di Silvio, les Spada... Piqués dans leur orgueil, plusieurs clans mafieux ont rédigé menaces et injures, sur Facebook. "Fais attention à ce qu'ils ne te croisent pas dans la rue... Ou tu les auras tout de suite, tes funérailles", écrit Alex Di Giorgio, cité par Il Giornale (en italien), tandis que Consi Casamonica lâche un inquiétant : "Fais le comique tant que tu peux le faire." Ces menaces sont à prendre au sérieux. Quatre jours après les funérailles, une équipe de la Rai 3 a été agressée par le clan Casamonica, lors du tournage d'un sujet consacré à l'affaire.
"J'ai juste chanté une chanson, comme d'habitude", fait mine de s'étonner Dado, interrogé par La Repubblica (en italien). Même quand j'ai attaqué l'Etat islamique, je n'ai jamais reçu de telles menaces. A côté des Casamonica, l'Etat islamique, c'est le Lions Clubs [une organisation philantropique]". Mais Dado n'est pas seul. Plusieurs centaines de commentateurs ont profité de l'occasion pour défendre l'humoriste et insulter les mafieux. Certains responsables politiques ont également félicité l'humoriste, à commencer par Beppe Grillo, ancien comique lui-même. Le leader du parti antisystème M5S a qualifié ces menaces de "consécration", ajoutant que "la vérité, même quand elle arrache un sourire, fait peur à la mafia".
Une soirée dédiée à la liberté d'expression et de satire
Mais Dado n'est pas tendre non plus avec la presse et l'Etat. Dans son entretien à La Repubblica, il évoque aussi "la façon dont les journalistes ont tant insisté sur le carrosse, avec toutes ces photographies, comme s'ils avaient enfin trouvé quelqu'un pour endosser toutes les fautes du pays". Ses grimaces sont donc adressées au système tout entier, qui a "corrompu les valeurs. Si Vittorio était un malfrat, il ne devait pas être en liberté. Soit ce sont les journalistes qui se sont trompés, soit c'est l'Etat."
Les intimidations n'ont pas éteint la gouaille du comique, bien au contraire. Dado fait le tour des plateaux de télévision pour marteler qu'il n'a jamais eu peur. Mieux, la dernière représentation de son spectacle, A l'Ombre du Colisée, sera dédiée à la liberté de caricature, vendredi 4 septembre. A cette occasion, il a même invité le maire Ignazio Marino, sans obtenir de réponse. "Il est encore en tongs", maugrée l'humoriste, interrogé par le site Tiscali (en italien). Par contre, le maire-adjoint m'a témoigné sa sympathie."
Evidente référence au mouvement de soutien à Charlie Hebdo, la soirée aura pour slogan "Je suis Dado", en français dans le texte. Et, bien entendu, elle débutera avec le tube antimafia du moment.
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