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Gérard Onesta: «L'Europe va droit dans le mur en klaxonnant»

Né en 1960, Gérard Onesta, aujourd’hui conseiller régional vert de Midi-Pyrénées, a siégé 15 ans comme député au Parlement européen (PE) jusqu’en 2009. Longtemps vice-président du PE, il a été classé parmi les meilleurs parlementaires de l’institution pour la qualité de son travail et son assiduité. Il porte aujourd’hui un regard sans concession sur l’UE.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Gérard Onesta à Toulouse le 27 janvier 2010. (AFP - Eric Cabanis)
Vous avez intégré une Assemblée locale en France après avoir été membre pendant des années du Parlement européen. Cela a dû vous changer…
Cela a effectivement été un changement de culture et de fonctionnement institutionnel. Au Conseil régional, le soir de l’élection, on sait déjà comment les choses vont se passer pendant la législature. Il y règne un culte de l’exécutif : le président propose, la majorité vote en bloc, l’opposition est crétinisée. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et l’assemblée. En France, c’est la même chose dans les institutions similaires, qu’elles soient locales ou nationales.
 
Au Conseil régional, je fais de la régression intellectuelle. En arrivant le matin, je me demande ce que je vais y apporter. On y apprend les informations par la presse.
 
A l’inverse, le Parlement européen est très intéressant sur le plan démocratique. On y trouve 100 partis politiques regroupés en huit groupes. On y parle 23 langues. Les postes sont répartis à la proportionnelle. Résultat : l’opposition peut présider des commissions. Alors qu’en France, la majorité peut daigner, ou non, lui accorder une présidence.
 
En France, on pourrait s’inspirer de ses méthodes. Regardez l’affaire de l’immunité du sénateur Serge Dassault ! Au PE, elle ne se serait pas du tout passée comme cela. La commission juridique aurait entendu les personnes et fait une proposition. On serait ensuite passé au vote nominal en plénière, alors que dans cette affaire, c’est le bureau du Sénat qui a pris la décision à huis clos.
 
Comment voyez-vous l’évolution des institutions européennes ?
On va droit dans le mur en klaxonnant. Tout le monde est prévenu. Y compris le mur !

Après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse (21 septembre 2001), Gérard Onesta, élu de la région, brandit, lors d'une session du Parlement européen à Strasbourg le 1er octobre 2001, un morceau de ferraille ramassé dans son jardin. Jardin qui se trouve à plus d'un kilomètre du lieu de l'explosion.   (AFP - Belga - Gérard Cerles)

Pourtant, l’Europe est un objet politique indispensable dans la boîte à outils française. Aujourd’hui, tous les problèmes sont globaux : la délocalisation et le dumping social, l’environnement… Quand on est candidat à l’Assemblée à Paris, on se garde bien de dire que deux tiers du travail d’un député français consistent à mettre à la sauce nationale des directives venues de Bruxelles. Ce n’est plus la France qui décide ! On cache combien l’UE surdétermine notre quotidien.

Le problème vient du traité fondateur de l’Union. Il instaure une grande liberté de circulation des marchandises et des hommes (qui, dans le texte, ne sont d’ailleurs pas mentionnés en première position !) en levant toutes les protections et les barrières. Dans ce contexte, les services publics sont négligés. Les entreprises privées se concentrent sur les marchés rentables où elles font baisser les prix. Les premiers sont obligés de suivre. Résultat : c’est comme cela qu’on arrive à fermer des bureaux de poste dans l’Ariège.

Pour résoudre ce genre de problème, il suffirait d’ajouter dans le traité une phrase pour promouvoir les services publics. Et la dérégulation ne serait pas le renard libre lâché dans le poulailler.

Vous êtes donc d’accord avec les amis de Jean-Luc Mélenchon…
Non, car eux veulent en rester aux Etats-nations. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible. Les problèmes climatiques ne s’arrêtent pas aux frontières d’un pays membre. Et lors de la crise financière de 2008, on a réussi à arrêter le feu grâce à l’Europe.
 
Quels sont les problèmes de l’UE ?
Pour moi, ils tiennent en quelques mots : complexité, problème de légitimité, opacité, budget rikiki.
 
Complexité d’abord. L’UE a un fonctionnement complexe. Il y a des chambres pour tout, c’est illisible. Il y a même une science qu’on appelle la «comitologie» qui permet aux institutions de dialoguer à travers plusieurs centaines de comités !
 
La légitimité, maintenant. Depuis Montesquieu, dans un système démocratique, le peuple élit des représentants au sein d’une assemblée. Celui-ci choisit un exécutif qui applique les décisions de l’assemblée. La Commission, elle, se fout de la notion d’exécutif. C’est un coup d’Etat permanent. C’est un peu comme si en France, les présidents de conseils généraux décidaient seuls la politique de la nation, à l’unanimité et à huis clos…
 
Le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso, à Bruxelles le 28 juin 2012. (AFP - Citizenside - Zaer Belkalai)

Opacité ensuite. Elle est en partie liée aux institutions et au huis clos dont je parlais à l’instant. Elle est également liée au fait que le budget de l’UE est alimenté par des impôts qui, officiellement, n’existent pas. Les médias ont aussi leur part de responsabilité. Ils parlent peu d’Europe. Et quand ils ont des correspondants à Bruxelles, ce qui est loin d’être le cas, ils ont besoin de sujets vivants et intéressants là ou il faut décrire des processus longs et complexes !
 
Budget rikiki enfin. Les pays européens mettent en commun moins de 1% de leur PIB, quand les Etats des Etats-Unis en mettent 20 %. Résultat : l’UE n’a plus 1 kopek pour financer des grands travaux. Pire : récemment, pour la première fois de son histoire, l’Europe a baissé son budget. C’est ainsi que le fameux programme Erasmus, qui permet à des milliers de jeunes d’étudier ailleurs que dans leur pays, a vu ses crédits passer de 3 à 2 milliards d’euros.
 
A vous écouter, l’UE, c’est fini…
Elle est en train de crever alors que c’est la première puissance agricole, financière, industrielle du monde. Mais c’est quasiment un nain politique. Ses institutions risquent de finir par ne plus fonctionner. On pourrait ainsi s’acheminer vers une crise majeure.
 
Que faudrait-il faire pour la sortir de l’impasse ?
Au point de complexité, de gâchis et de bêtise où l’on est arrivé, il faudrait refonder l’Europe. Elle a besoin d’une Constitution qui n’ait rien à voir avec le pavé indigeste de 2005. En quelques pages, il s’agirait de formuler les valeurs de l’UE, ses rouages. Le texte serait rédigé par une assemblée constituante, élue par les citoyens. Il serait ensuite soumis à un référendum transnational, organisé dans tous les pays de l’Union.

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