Faut-il avoir peur de la concurrence polonaise ?
Direction le siège de la société Polfrost, à Varsovie. Spécialisée dans le transport routier, elle profite pleinement de l’ouverture des frontières. Ses chauffeurs de camions sillonnent l'Europe, pour le plus grand bonheur de l'un de ses directeurs, Sebastian Szlegel : "Notre chiffre d'affaires progresse d'environ 20 % chaque année. Grâce à l'adhésion à l'Union européenne, non seulement nous transportons des marchandises de Pologne vers toute l'Europe occidentale, mais en plus nous faisons d'autres types de liaisons. Par exemple nous faisons des convois de Grande-Bretagne vers la France, et de la France vers l'Espagne, l'Autriche ou la République tchèque." Ce responsable ajoute que les chauffeurs de camion qui travaillent pour sa société sont payés environ 1.000 euros net par mois. C'est 100 euros en dessous du SMIC français.
Mais peut-on vraiment résumer le boom économique de la Pologne aux camionneurs ou à d'autres salariés qui vont travailler en Europe de l'Ouest ? Certainement pas. Cela fonctionne aussi en sens inverse. La Pologne attire de nombreuses entreprises françaises et étrangères sur son sol, pas seulement en raison du coût peu élevé de la main d'oeuvre, mais aussi car c’est un pays de 40 millions d'habitants, où l'on peut trouver de nombreux clients.
Alain Kaj, un Français, dirige le cabinet Inventage à Varsovie. Il aide les grandes entreprises à s'installer en Pologne : "Quand vous commencez à avoir une classe moyenne, avec des gens qui ont une rémunération de 800 à 1.500 euros - surtout à Varsovie -, vous avez du pouvoir d’achat. Vous avez des personnes qui consomment. Il y a du potentiel, les villes se développent et sont de plus en plus riches. Je travaille en Pologne depuis plus de 20 ans, et tous les mois ça change !"
Des transformations bien visibles
Toutes ces transformations se manifestent par des chantiers à tous les coins de rue. Des gratte-ciels sont sortis de terre à Varsovie. Des centres commerciaux fleurissent et accueillent des marques comme H&M, Orange ou Castorama. Le réseau de transports se développe considérablement. On voit de moins en moins de routes sales et défoncées.
En dix ans, les fonds versés par l'Union européenne ont permis d'en rénover ou d'en construire 11.000 kilomètres. Bruno Roux, le patron du cimentier Lafarge en Pologne, participe à tous ces travaux : "Nous sommes partis de presque zéro. Il n’y avait pas d’autoroutes, pas de voies express. Aujourd’hui, il doit rester entre 2.000 et 3.000 kilomètres à construire. Varsovie n’est reliée à Berlin par autoroute que depuis quelques mois. D’ici cinq ans, on va avoir une qualité de déplacement en Pologne tout à fait équivalente à ce que l’on peut trouver en France ou en Allemagne."
Les subventions européennes permettent donc un développement bien visible par la population. Alors que l’euroscepticisme gagne du terrain en France, la Pologne est un pays euro-enthousiaste, selon le sénateur Marek Borowski : "80 % de la population soutient l’adhésion à l’Union."
Hormis les fonds européens, le bon niveau universitaire de la Pologne concourt au boom économique du pays. Les cadres et les ingénieurs qui sortent des écoles sont très prisés, raconte Monika Kocinska. Elle est chasseuse de têtes et recrute de jeunes Polonais pour le compte de grandes entreprises étrangères : "Au début, nous étions juste un pays de production, avec des gens pas très bien payés. Aujourd’hui, nous avons une autre force. Des entreprises installent leurs centres de recherche ici, notamment dans le domaine de l’automobile, pour les nouvelles technologies dans les moteurs. Nous avons des spécialistes de très bon niveau. Je pense que depuis des siècles, notre pays n’a pas connu une situation aussi bonne !"
Un boom économique à nuancer
Le revenu moyen a augmenté en Pologne. Il est proche désormais des 900 euros par mois et par personne. Mais le salaire minimum reste très faible, souligne l'ancien député de gauche Piotr Ikonowicz : "Le SMIC en Pologne, c’est 1.200 zlotys, 300 euros net par mois. Avec ça, pas question de faire vivre ta famille dans une grande ville comme Varsovie, Cracovie ou Gdansk. Tu t’endettes pour survivre, ou tu prends des boulots additionnels s’il y en a."
Et de nombreuses personnes sont désorientées par l’évolution du marché du travail, notamment des quinquagénaires qui ont connu l'ancien régime communiste, comme Régina. Elle travaille dans une exploitation agricole près de Varsovie : "D’une manière générale, ce qui a changé, c’est qu’il y a du chômage. Sous le communisme, on avait un travail stable. Aujourd’hui, très souvent nous n’avons pas des contrats normaux, en CDI, ce sont des emplois précaires payés à la tâche. Un jour tu travailles, le lendemain tu ne travailles plus, alors qu’avant tu pouvais rester 20 ans dans la même entreprise." Le taux de chômage reste élevé en Pologne, proche des 14 %, soit quatre points de plus qu'en France.
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